Parabole moderne pour période pascale - France Catholique
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Le trésor des psaumes
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Parabole moderne pour période pascale

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Un jour, durant une tempête, un arbre est tombé sur la maison de mon médecin. Un spécialiste des arbres a tracté une grue dans son allée de garage. Mais la grue qu’il avait choisie était trop faible, et au lieu de lever l’arbre, elle est tombée sur la maison, occasionnant des dommages plus importants – non seulement à la maison mais également aux autres arbres alentour, au jardin et à l’allée de garage. Une grue plus puissante fut amenée qui mena le travail à bien, mais il y eut un foutu bazar et il fallut du temps avant que tout ne rentre dans l’ordre.

C’est peut-être parce que nous sommes dans cette semaine particulière, nos pensées centrées sur la Rédemption, dans le temps liturgique le plus remarquable entre tous – dimanche des Rameaux, Jeudi Saint, Vendredi Saint, Pâques – que cette histoire me semble une sorte de parabole.

Le désastre originel qui frappe l’humanité dès le commencement est indéniable. Aussi loin que remonte l’anthropologie, elle trouve le même vieil animal-homme : violent, querelleur, obstiné, déloyal. Comme le disait Chesterton, la Chute est la doctrine chrétienne la plus facile à prouver.

Chaque époque a les équivalents de nos fléaux actuels : guerres régionales, terrorisme, effondrement culturel, chaos moral, faiblesse de l’Eglise, remous tyranniques dans le monde séculier. Et par-delà ces épreuves spécifiques, les perpétuelles questions humaines à propos de qui nous sommes, ce que nous sommes supposés faire, où nous allons, et ce que nous pouvons espérer en définitive.

Et n’oublions pas la croyance humaine affligeante que nous pouvons tout arranger par nous-mêmes. Tout ce dont nous avons besoin, c’est de la grue adéquate – la politique, la science, la technique, la thérapie, l’art… La tentation de croire en nos propres forces pour nous sauver nous-mêmes est particulièrement forte en des temps comme le nôtre, quand le progrès matériel excelle.

Mais toutes ces « grues » sont insuffisantes pour lever le poids du mal qui afflige la race humaine et elles mènent seulement à d’autres malheurs. En plus, les politiciens – ça crève les yeux – mais également les scientifiques, les thérapeutes, les artistes, etc. sont des êtres faillibles, tout comme le reste d’entre nous. Quelle que soit la puissance de « levage » qu’ils aient, et dont on peut leur être reconnaissant, jamais ils ne pourront enlever le problème de base, ni agir sans causer d’autres problèmes supplémentaires.

Vous pourriez penser qu’aucun adulte ne peut manquer de le remarquer. Mais un autre effet de la Chute est que nous n’avons pas beaucoup de compréhension de la réalité, surtout en ce qui concerne les façons fondamentales selon lesquelles nous étions censés exister dans ce monde. Donc, en dépit de toutes les preuves historiques, nous pensons qu’un certain parti politique, ou une découverte scientifique, ou une pratique comme la « pleine conscience », ou une expérience esthétique nous apportera satisfaction.

S’opposant à cela, il y a la phrase immortelle de Saint Augustin : « Seigneur, Tu nous a fait pour Toi et notre cœur est inquiet tant qu’il ne repose en Toi ».

Daniel Dennett, l’enfant terrible du néo-darwinisme, a exposé graphiquement les différences des deux approches. Nous de devrions pas chercher, a-t-il dit, des sortes de « grappins célestes » qui nous arracheraient à notre nature physique et nous promettraient quelque finalité non physique. Ils n’existent pas. Nous devrions plutôt étudier les « grues », les mécanismes matériels cumulés qui nous ont lentement produits, et les utiliser comme nous le trouvons approprié.

Comme hypothèse sur la formation du monde matériel, y compris nos propres corps, cela rend compte d’une grande partie des indices. Comme théorie pour expliquer la survenue de l’âme humaine, de l’intelligence et de la volonté – et même de la personne Daniel Dennett – cela laisse beaucoup à désirer. Dennett et beaucoup de gens de notre environnement qui semblent sains d’esprit peuvent bien se considérer et considérer l’humanité entière comme une sorte de chantier de construction. Mais comment ils savent cela – ou même seulement le pensent – comment ils peuvent mériter blâme ou louange pour leurs actes, peuvent aimer ou être aimés au plein sens humain, appartient à un autre ordre des choses.

Dennett soutient le contraire dans un livre appelé « Darwin’s Dangerous Idea »[L’idée dangereuse de Darwin]. Les gens normaux évitent le danger à moins que le devoir ne l’exige. Mais ici le danger signifie en réalité ce qui est bon chic bon genre. Si vous voulez dire quelque chose de dangereux de nos jours – le genre de choses qui peut vous valoir un licenciement, le renvoi d’un établissement scolaire, ou le ridicule sur Twitter ou Facebook – essayez donc de défendre, dans un cadre professionnel ou universitaire, le mariage traditionnel, la religion, ou les différences entre hommes et femmes.

Mais il y a quelque chose à apprendre de Dennett et des matérialistes absolus. Le monde est étrange, bien plus étrange que nous ne l’imaginons. Le darwinisme semblait étrange en son temps. Les darwinistes tardifs doivent maintenant prendre en compte l’étrangeté de la relativité, de la physique quantique et de plein d’autres choses – mais plus important encore, combien est étrange la personne humaine et combien est étrange la façon dont les personnes transcendent toutes les catégories naturelles.

J’ai parfois entendu des ex-chrétiens et des non-croyants dire que l’histoire de Jésus est bien trop bizarre. Il est tout-à-fait déraisonnable de penser que Dieu (si Il existe) aurait envoyé Son Fils (si Il existe) dans le monde (si il existe). Et pas simplement pour nous enseigner une meilleure philosophie ou une meilleure théologie, une technique de méditation ou un système moral. Il est venu souffrir et mourir, d’une des façons les plus dégradantes existant à son époque, en vue de nous libérer du poids du péché sous lequel nous avons sombré depuis les débuts de l’espèce. Pour nous racheter.

Vous pouvez, bien sûr, déclarer « déraisonnable » la Rédemption – si vous savez ce qui fait souffrir la race humaine et que cela peut être résolu en empilant des grues l’une sur l’autre – et que nous n’avons pas besoin d’un grappin divin qui vienne d’en haut [nous sortir du pétrin].

Le christianisme a changé l’histoire humaine de tant de façons fondamentales que l’hypothèse selon laquelle 1) la Rédemption est trop bizarre pour être crue et 2) notre vie quotidienne dans des sociétés techniques post-modernes définit les limites de la raison et de la déraison n’est en soi pas totalement raisonnable non plus. Vous pouvez résoudre quantités de petits problèmes avec de petites démarches. Mais quand il est question de détourner la race humaine d’illusions délibérément choisies pour la conduire vers quelque chose de si merveilleux, de si inespéré, de si au-delà de nous que nous ne l’aurions pas pensé réel si Dieu Lui-même ne nous l’avait pas montré, alors ce qui est parfaitement raisonnable peut nous apparaître assez étrange. Aussi étrange que les événements dont nous faisons mémoire durant la semaine pascale.


Robert Royal est rédacteur en chef de the Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison.

note : l’auteur a écrit ces lignes juste avant la semaine pascale


Illustration : « La chute de l’homme » par Hendrick Goltzius, 1616 [National Gallery, Washington]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/10/the-passion-and-the-easter-sky-hook/