Malgré le refrain à la mode sur la nécessité d’accepter les gens tels qu’ils sont (y-compris vous-même), il n’y a sans doute pas caractère humain plus marqué que le désir d’être autre, ou même de devenir quelque chose d’autre.
Une immense foule de nos semblables se lance sur les vagues de « Weightwatchers », « coaches », gymnastique, psychothérapie, chirurgie esthétique (plus de quatorze millions d’américain(e)s se font charcuter chaque année) — et, dernier cri des bizarreries, « changement de genre ». Cette course au changement n’a rien de nouveau.
Au commencement, Adam et Êve voulaient être non pas eux-mêmes, mais des dieux. Si vous scrutez le futur, vous ne verrez rien de nouveau. Un « futuriste » influent comme Ray Kurzweil prédit que vers l’an 2020 on assistera à des combinaisons homme-machine. On ne sait pas ce que çà signifie. Mais les futuristes sont persuadés que nous serons améliorés, peut-être presque égaux à des dieux. De toute façon, nous ne serons plus les « pauvres de nous ».
La bizarrerie n’est pas dans le désir de changement des humains. Actuellement, elle se trouve dans ce tel hiatus entre l’attitude bien-pensante faussement démocratique d’accepter tout le monde tel qu’il est et la pratique flagrante consistant à ce que tout un chacun voudrait être transformé en un autre.
La confusion a spécialement marqué notre pensée religieuse. Les religions de par le monde sont extrêmement diverses, mais vous auriez bien de la peine à en trouver une qui ne prêche pas la nécessité de changer, de passer de notre état présent (presque toujours d’ignorance et de souffrance) vers autre chose.
Sauf, bien sûr, dans certaines formes de christianisme moderne, où on nous dit que Dieu nous aime tels que nous sommes — ce qui est vrai, Dieu merci, car autrement où en serions-nous? Mais ce n’est pas du tout dire que Dieu veut que nous demeurions tels que nous sommes. Il a de bien plus grandioses projets pour nous.
Nous semblons l’avoir oublié par simple bonté. Le but répandu — et choquant — dans la Chrétienté est la « Theosis », Dieu s’est fait homme, a souffert, est mort, est ressuscité, comme on le commémore cette semaine, afin que l’homme puisse devenir Dieu (Theos).
La plupart d’entre nous sera plus qu’un peu méfiant, et ce sera sage, à propos de la « singularité » futuriste, si jamais elle survient. Il y a un aspect « Tour de Babel » / « Prométhée » là-dedans, comme si on pouvait imaginer atteindre le paradis avec notre simple élan personnel. Il suffit de voir ces nombreux livres et films apocalyptiques pour deviner que çà ne mènera nulle part de bien.
Mais dans ces thèmes se trouve un écho à la vieille tradition biblique: une incitation à l’effort, faisant appel à la science et à la technique, pour dominer la Terre et rétablir la condition humaine depuis la Chute. Il y a une différence fondamentale: d’un côté une inspiration divine et l’ordre naturel — de l’autre, un désordre illusoire, et donc desastreux.
Même si vous n’aimez pas la civilisation industrielle, elle est grandement utile. Les travailleurs de la terre le savent bien, gagner sa vie contre les forces titanesques de la nature n’est pas, comme certains écologistes l’imaginent, comparable à bricoler dans un jardin de la campagne anglaise.
Mais tout celà est loin du sujet essentiel de cette semaine. Les Grecs, Romains, Égyptiens anciens, et autres peuples du proche, moyen ou extrême Orient ont tous connu civilisation et techniques.
L’histoire d’Israël et, à sa suite, de l’Église, révèle une tout autre forme de changement — et d’espérance. Si les racines juives n’avaient fait éclore ce phénomène global que nous appelons christianisme, ce n’est pas de la vantardise chrétienne que prétendre que l’Europe, les Amériques, l’immense étendue chrétienne en Russie, au Moyen Orient, en Afrique, en Chine, en Inde, le monde entier, seraient restés très différents.
La Chrétienté a fait naître un changement radical, une espérance radicale. Dieu fait homme, souffrant la torture et une mort cruelle, a accompli pour nous ce dont nous avions le plus besoin au fond de nous-mêmes, loin de toute science ou technique. En fait, nous avons assisté au cours du siècle dernier, en l’absence d’une croissance parallèle de la sagesse, à un développement des sciences et techniques devenues un instrument du mal au service des hommes.
Hélas, cette fantastique histoire d’un changement opéré par Dieu Lui-même, source de l’espérance chrétienne, est maintenant grandement oubliée, vulgarisée, pervertie. Comme nous ne connaissons plus vraiment ce qu’est le christianisme — les sondages montrent l’immense méconnaissance des plus simples histoires de la Bible, y-compris du simple récit de la vie de Jésus — nous avons concocté un christianisme plus conforme à nos rêves, où Dieu nous aime même dans nos péchés, et où, donc, nous n’avons pas besoin de nous transformer.
Les personnes religieuses étaient dubitatives à propos de ce que le martyr anti-nazi Dietrich Bonhoeffer appelait « la grâce à bas prix », idée selon laquelle être un disciple ne coûte rien. Et comme W.H. Auden fait dire à Hérode dans « For the Time Being » (Pour le moment), Hérode qui ne comprend rien au Christ déclare: « Tout malfaiteur pourra prétendre: « j’aime commettre des méfaits. Dieu aime les pardonner. » Le monde est vraiment organisé de façon admirable.»
Nous ne « gagnons » pas la grâce, bien sûr, et Bonhoeffer, un Luthérien, ne l’aurait jamais dit. Il mettait le doigt sur notre largeur d’esprit à notre propre égard (il écrivait bien avant l’apparition au vingtième siècle de l’auto-indulgence) — et combien nous sommes présomptueux devant le pardon divin.
La Chrétienté, si on a encore le droit de citer le Christ, implique : « Si vous m’aimez, suivez mes commandements,» et « soyez parfaits comme votre Père des Cieux est parfait.» Pas facile. Et il faut que nous soyons prêts à faire l’effort.
Beaucoup d’entre nous sont semblables aux Pharisiens: « L’effort de maîtrise de soi à faire pour nous consacrer pleinement à la vérité et à Dieu est tel que beaucoup préfèrent étouffer la grâce et l’inspiration qui les y inciteraient. Ainsi, beaucoup préfèrent être aveugles plutôt que voir.»
Voilà pourquoi la lumière du monde a dû venir et accomplir ces choses si étranges et merveilleuses, rien de plus étrange que mourir sur une Croix, et rien de plus merveilleux que ressusciter: Nous faire voir, voir ce que nous ne sommes pas, mais pouvons devenir avec la grâce. Et c’est toujours possible.
Source : Easter Change and Hope http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/easter-change-and-hope.html
Tableau : Le dernier repas, par Pieter Pourbus, 1548.