Pagaille dans le brouet - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Pagaille dans le brouet

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Esaü avait faim. Jacob était astucieux. L’aîné des frères était si affamé qu’il a promis d’abandonner son droit d’aînesse à Jacob en échange d’une portion du ragoût que son frère plus jeune de quelques minutes était en train de cuire.

« Regarde » a-t-il dit, « je suis sur le point de mourir. Quel bien me fait mon droit d’aînesse ? » Comme nous le savons (Genèse 25:29-34), Jacob n’a été que trop heureux d’obtempérer. « C’est ainsi que Esaü traita son droit d’aînesse avec mépris ».

Du point de vue d’une transaction purement économique, cela a quelque sens, bien que Esaü ait clairement laissé sa faim prendre le dessus sur lui. Mais le droit d’aînesse (bekorah) était sien et il pouvait le gaspiller, en accord avec la loi de primogéniture selon laquelle le fils premier-né – et uniquement lui – a droit d’héritage.

Retournons en 2000, alors que le Bureau Ovale est sur le point de changer de mains, la « nouvelle » se répand que les Clinton ont garé une camionnette devant une issue de la Maison Blanche et la remplissent de trucs de la Maison du Peuple. Il y avait du vrai là-dedans, bien que cela ait concerné des cadeaux privés faits au Président et à la Première dame (ils ont fini par rembourser environ 100 000 $ au gouvernement), mais ce n’étaient pas des objets publics et historiques qui étaient en jeu. Ceux-là, en raison de la loi, doivent rester en place et passer d’un président au suivant – à perpétuité.

Le point étant : vous ne pouvez pas donner (ou emporter) ce que vous ne possédez pas personnellement et légalement.

Ces pensées sont occasionnées par la nouvelle que le pape François a donné au patriarche orthodoxe Bartholomée, archevêque de Constantinople, un reliquaire contenant des fragments d’os de Saint Pierre, mis au jour par des archéologues dans les années 60. Bartholomée, qui a des liens très forts avec le Vatican, a décrit le cadeau du pape comme « audacieux et courageux ». C’était certainement audacieux.

Mais cela m’a paru étrange que le pape donne un trésor si essentiel de notre héritage catholique (véritable part des droits d’aînesse de l’Eglise) et je me suis demandé s’il avait même le droit d’agir ainsi.

« Le canon 1190 statue que les reliques ne peuvent être aliénées qu’avec la permission du Siège Apostolique » m’a dit le père Murray « donc le pape avait le droit d’agir comme il l’a fait ».

Dont acte.

Je me demande cependant si c’était prudent à faire, d’autant plus que ces reliques ne vont pas demeurer à Constantinople, bien sûr, mais à Istanbul, c’est-à-dire non pas l’ancienne capitale chrétienne de l’Orient mais la plus grande ville de la Turquie musulmane.

Daech n’est probablement pas le seul groupe terroriste islamique à annoncer son intention d’un jour soumettre Rome. Ils espèrent peut-être transformer la Basilique Saint-Pierre en mosquée. (N’y comptez pas trop, Abu Bakr al Baghdadi!) [NDT : il était encore bien vivant lors de la rédaction de ce texte] Mais un jour, dans l’ancienne Constantinople, cela est effectivement arrivé à une autre grande église, Sainte-Sophie, qui serait aujourd’hui certainement l’église métropolitaine du patriarche Bartholomée si Mehmet II le Conquérant ne l’avait transformée en mosquée en 1453. Celle qui fut autrefois une grande église du catholicisme puis de l’orthodoxie est restée une mosquée jusqu’en 1935, quand elle est devenue un musée dans une Istanbul se sécularisant de plus en plus.

Cette année, justement, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, a annoncé que l’utilisation de Saint-Sophie allait désormais changer. « Ayasofya », a-t-il dit, usant du mot turc pour la structure, « ne sera plus appelée musée. Son statut va changer, nous l’appellerons mosquée ».

Durant les premières étapes de sa carrière politique, M. Erdogan a semblé prendre modèle sur Kemal Atatürk, le modernisateur à tendance occidentale de la nation turque, qui l’a dirigée de 1923 jusque sa mort en 1938. Mais les opinions d’Erdogan, qui s’opposaient autrefois aux islamistes radicaux ont – ainsi que le dirait un politicien américain – évolué. Comme les Turcs se sont radicalisés, Erdogan a fait de même. La Turquie pourrait être sur le point de devenir aussi islamofasciste que l’Iran, voire plus – peut-être au point de devenir un autre Afghanistan d’avant le 11 septembre, quoique plus puissant et plus dangereux.

Naturellement, les dictateurs du style Erdogan/taliban ont leur manière de semer les graines de leur propre destruction, avec pour conséquence que parfois les choses s’améliorent, mais c’est rarement le cas.

Nous avons vu en Irak ce que signifiait une ascension pourtant brève d’Al Qaïda et de Daech pour les « reliques » de la civilisation chrétienne là-bas. Si la Turquie déraille comme l’a fait l’Irak, ce ne sera pas une catastrophe comme le feu qui a frappé Notre-Dame où les prêtres, paroissiens, policiers et pompiers parisiens ont pu sauver nombre des reliques et trésors de la grande cathédrale. Rien de semblable n’est arrivé dans la plaine de Ninive où, parmi d’autres pertes, la tombe du prophète Jonas a été anéantie. Et Jonas est un personnage révéré dans l’islam ! L’islam, dans sa version la plus militante est, par définition, une religion d’iconoclastes.

Tout compte fait, le don du pape François au patriarche Bartholomée était un geste spontané. Très certainement, les représentants d’Istanbul ont été surpris par la générosité du pape, ce qui signifie que, de retour en Turquie, il n’ont pas une place bien préparée pour installer les reliques une fois qu’ils arrivent dans le bastion de l’orthodoxie orientale : pas de plan mûrement réfléchi sur la façon de les protéger.

En tout cas, ce qui est fait est fait. Et nous prions pour que nos frères orthodoxes obtiennent de grandes bénédictions du cadeau du pape, pour que la liberté religieuse règne en Turquie et pour que le cadeau du pape se révèle courageux et non pas imprudent.

Brad Miner est rédacteur en chef de ‘The Catholic Thing’, membre de l’institut ‘Foi & Raison’ et secrétaire du bureau de ‘Aide à l’Eglise en Détresse’ aux USA. C’est un ancien rédacteur littéraire de ‘National Review’.

Illustration : le reliquaire porte l’inscription (en latin) : tu es Pierre et sur cette pierre j’édifierai mon Eglise

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/07/08/mess-of-pottage/