Parmi les thèmes agités autour de Vatican II, celui de l’ouverture au monde a trouvé un crédit très particulier, qui se prolonge encore aujourd’hui. Une Église ouverte au monde, qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Doit-on comprendre que l’Église d’avant 1962, repliée sur elle-même, méconnaissait le monde extérieur ? J’avoue que je n’ai jamais adhéré à une proposition aussi caricaturale. Quitte à me lancer dans la provocation, j’affirmerai tranquillement qu’à certains égards l’Église pré-conciliaire était beaucoup plus proche de la population que depuis le concile. Elle avait un tissu beaucoup plus populaire, correspondait à une sociologie beaucoup plus large. Mais il faudrait longuement s’expliquer là-dessus, ce qui nous amènerait à une étude historique approfondie.
Je ne veux pas mettre sur le dos du concile la désaffection populaire à l’égard du christianisme. Ce serait absurde et injuste. Car je soutiens par ailleurs que si Vatican II n’avait pas eu lieu dans la première partie des années soixante, l’Église aurait affronté la crise de civilisation de l’époque avec encore beaucoup moins de moyens. Le concile a clarifié un certain nombre de notions sur la liberté religieuse, la vocation de l’Église et ses rapports au monde d’une façon particulièrement aigüe. La Constitution Gaudium et Spes a abordé de front les grands défis du monde d’alors. Et cela en continuité avec le Magistère qui avait précédé, notamment celui de Pie XII qui était intervenu sur nombre de sujets nouveaux, résultant de l’évolution de la planète et des incidences de l’élan scientifico-technique.
Il est toujours aussi nécessaire d’être au plus près des difficultés résultant des mutations impressionnantes auxquelles nous assistons, en essayant de les dominer comme des acteurs. Mais le défi évangélique, si présent chez saint Jean et saint Paul, qui marque l’ambivalence d’un monde humain divisé en lui-même, n’a pas disparu. Les chrétiens n’ont pas à recevoir passivement le cours des choses, ils doivent participer à sa maîtrise. Et pourquoi leurs actions et leurs projets ne seraient-ils pas d’avant-garde ? C’est Bernanos qui reprochait à certains, trop dociles à l’idéologie dominante de l’après-guerre, d’être en fait « d’extrême arrière-garde ». S’ouvrir au monde, ce n’est pas adopter l’attitude des chiens couchants, c’est être aux avant-postes du Royaume à venir.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 15 octobre 2012.