Avec plus de 17 000 spectateurs en 20 représentations, Ourra, le spectacle musical sur les Actes des Apôtres, s’apprête à conquérir les Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux et de Paris en mai et juin 2012. Une belle aventure mais encore un long chemin (c’est le sens du mot Ourra en araméen) avant de pouvoir se hisser au rang d’un véritable musical.
Lorsque Éric Libault, auteur-compositeur du spectacle se lance dans l’aventure, il n’imagine pas être un jour dans la salle mythique de l’Olympia, le 11 mars 2012 ! Il a pour lui une foi à déplacer les montagnes et le réseau d’un chef d’entreprise du secteur financier. Son idée : mettre en scène et en musique les premiers pas de l’Eglise naissante telle que les rapportent les Actes des Apôtres. Il parvient à motiver 200 personnes pour réaliser le spectacle, obtient le concours de l’orchestre philharmonique de Prague pour l’enregistrement du CD et de la bande-son et met sur scène, dans la durée, une cinquantaine de comédiens amateurs – bénévoles dont neuf chanteurs ! C’est sans doute à quoi le public, déjà acquis à la cause, est sensible lorsqu’il se lève à la fin du spectacle pour une standing ovation téléguidée par le final (lève-toi ! chante la troupe) et par la remise, à l’entrée de la salle, de lumignons (qu’il faut restituer en sortant) portant la mention « vous êtes la lumière du monde. »
Toutefois, la production « mon cher Théophile » ne s’aventure-t-elle pas en affirmant que le résultat n’a rien à envier « aux grandes comédies musicales » ? On sait la triste fin de « la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf » ! En effet, on s’accorde à dire que la réussite artistique d’un musical repose sur un bon livret, une musique originale et un grand professionnalisme à tous les niveaux de la production. Hélas, Ourra ne remplit aucune de ces trois conditions.
Au titre du livret, il oscille entre une fidélité si scrupuleuse aux Actes des Apôtres qu’elle ôte aux situations évoquées leur force kérygmatique et des approximations pour le moins maladroites. Certes, l’idée de faire de la troisième personne de la Trinité un jardinier facétieux occupé à faire croître l’arbre qui symbolise la communauté chrétienne balbutiante au lendemain de l’Ascension, s’avère pertinente. Ce jardinier spécialisé en néophytes – littéralement nouvelles plantes – est la meilleure trouvaille du livret. Mais il faut aussi évoquer le choix malencontreux de certains épisodes relatés.
C’est le cas pour le couple d’Ananie et Saphire qu’on voit tomber raides morts au pied des apôtres pour avoir menti au sujet du prix de vente d’un champ qui leur appartenait ! (Ac 5, 1 – 11). L’auteur prête alors ces propos à Saint-Pierre : « Ce n’est pas Dieu qui les a tués. Ce n’est pas moi ; ce sont mes paroles qui leur ont, littéralement, coupé le souffle ! » Le distinguo est subtil et le malaise palpable …C’est le cas aussi en ce qui concerne le Grand Prêtre qui entonne « le blues du pharisien » alors qu’il est le chef du parti sadducéen ennemi juré des pharisiens justement (Ac 23,7-8). On est gêné à l’idée qu’un juif se soit fourvoyé dans la salle ! Plus encore, le livret insiste trop lourdement sur la prétendue responsabilité des juifs dans la mort du Christ. C’est faire fi du travail de longue haleine de nos papes qui ont, notamment depuis le concile Vatican II, tourné la page des « juifs déicides et perfides» de si tristes conséquences. Puisque le Christ est mort pour tous, c’est que tous ont pêché afin que tous bénéficient de la grâce du pardon.
Pour ce qui est de la dimension musicale d’Ourra, les mélodies évoquent irrésistiblement les chants de messe au tempo quasi liturgique renforcé par une mise en scène très statique, le tout en play-back ! Certainement pour limiter les risques avec des chanteurs amateurs. Le rendu est lisse, sans les émotions du live.
La scénographie, même si elle est habile en jouant des pilastres et cubes qu’on déplace pour moduler les divers espaces, souffre d’une création lumière trop « couleurs primaires » manquant de nuances et de costumes assez basiques. On pense en particulier au costume du Grand Prêtre, vêtu de pourpre et arborant un pectoral de pacotille. Quant aux comédiens, même les plus doués ne se départissent jamais d’un jeu au romantique convenu sans rapport avec ce feu que le Christ est venu jeter sur la terre et dont il lui tardait qu’il embrase les cœurs (Luc 12,49).
Enfin, puisque « tout travail mérite salaire », pourquoi, dès lors qu’on joue à guichet fermé dans des salles mythiques depuis la création du spectacle, ne pas professionnaliser ce musical ? Ce serait une manière concrète d’évangéliser les intermittents du spectacle que de les embaucher sur un tel projet ! Le risque de confiner l’art chrétien du spectacle vivant dans l’à-peu-près du bénévolat, n’est-ce pas, à moyen terme, lui couper les ailes et lui ôter tout crédit parmi ses pairs ? Et dans ce cas, flop, flop, flop, Ourra.
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