La discussion aurait été franche à Lourdes, nous dit-on, entre évêques, lors de leur dernière assemblée. On ne peut que se féliciter d’une telle franchise, d’autant que le sujet principal abordé concernait les retombées des grandes manifestations pour la défense du mariage et de la famille. Il est de l’ordre de l’évidence que ce grand mouvement populaire était principalement animé par des chrétiens et que les foules qui le constituaient, regroupait le public des paroisses. Ses retombées sont à étudier sérieusement, car il ne fait pas de doute non plus qu’un élan a été donné, qui se traduit de multiples façons : associations renforcées, réflexion stimulée dans des groupes de facture originale, demande de formation… Pourtant, certains s’inquiètent ou se déclarent carrément indisposés par une tendance qu’ils assimilent au parti de l’intransigeance dans la tradition dix-neuviémiste du catholicisme, celle qui s’opposait au courant libéral.
Libération a fait écho à cette inquiétude, en la traduisant de façon caricaturale, du moins par un titre accrocheur : « L’Église pèche à l’extrême droite. Réunis à Lourdes, les évêques apparaissent divisés face à des ultras cathos de plus en plus présents depuis La Manif pour tous » (9 avril). L’éditorialiste du quotidien va encore plus loin, lorsqu’il écrit : « Les légions ont accueilli une bonne proportion d’affidés des droites extrêmes. On sait que les terres catholiques comme la Bretagne rejettent le Front national. Il reste qu’une partie de la hiérarchie épiscopale cajole ces extrêmes qui savent occuper la toile comme les rues. Certains évêques ne cachent pas leurs sympathies pour ces mouvements et leurs militants excités qui ne partagent pas vraiment les valeurs de charité. » Ce type d’analyse ne pèche pas seulement par parti pris polémique. Il manque l’essentiel de la réalité, qu’il convient de rappeler à tous ceux – même dans le corps épiscopal – qui sont impressionnés par sa rhétorique.
Ce qui s’est révélé dans le phénomène Manif pour tous n’a rien à voir, par exemple, avec le succès politique du Front national, quoi qu’on pense de ce dernier. Il dessine une trajectoire intellectuelle, culturelle, métapolitique, qui est animée par des préoccupations radicalement différentes. Certes, il est intransigeant sur des convictions essentielles, sans jamais déroger aux exigences de l’ordre public et institutionnel. Il est souvent en recherche de nouvelles formes d’expression et d’inscription dans l’espace civique et associatif. Il est plus attiré par le débat de fond que par les joutes musclées. Ne pas prendre conscience de cette spécificité serait gravement préjudiciable à l’ensemble de l’Église de France. Celle-ci a mieux à faire à répondre à de légitimes attentes qu’à s’égarer dans des débats biaisés avec des adversaires qui ne sont prêts à aucune concession sur les réformes sociétales qui mettent notre avenir commun en danger. France, prends garde de perdre ton âme ! L’esprit du célèbre manifeste du père Gaston Fessard garde toute son actualité.