Quelle est l’origine de l’ ordre ?
Frère Dominique-Marie Dauzet : Il est né dans la clairière de Prémontré, au cœur d’une forêt de l’Aisne, près de Laon, en 1121. Notre fondateur, saint Norbert de Xanten, est un richissime seigneur allemand, que sa conversion foudroyante a conduit à abandonner tous ses biens et à prêcher l’Évangile en France : de nombreux disciples l’ont suivi alors. Après un développement très rapide, l’ordre est reconnu en 1125 par le pape Honorius.
Pourquoi un succès si rapide ?
On était alors au cœur de la Réforme grégorienne, dans un pays qui connaissait une immense ferveur ; c’était le temps des croisades, des ordres nouveaux – chartreux, cisterciens, Templiers.
En un siècle, l’ordre a accueilli des milliers de frères et de sœurs, et couvert l’Europe médiévale de monastères : environ 600 abbayes prémontrées, de l’Irlande à l’Espagne, de l’Allemagne à la Bohême, la Pologne, la Hongrie, et jusqu’en Terre sainte. Un chapitre général réunissait tous les abbés, chaque année, à Prémontré.
Quels sont les moments clés de votre histoire ?
Ses neuf siècles d’existence n’ont pas été un long fleuve tranquille : entre les guerres, les épidémies, la Réforme, la Révolution, des centaines de monastères ont disparu ! Mais l’ordre a été restauré avec succès au XIXe siècle, et surtout il a participé à l’aventure missionnaire du temps de Léon XIII : les vieilles abbayes d’Europe ont exporté le charisme prémontré en Inde, en Afrique, aux États-Unis, au Brésil.
Il y a aujourd’hui une quarantaine d’abbayes dans le monde, avec environ 1 500 frères, et aussi des monastères de chanoinesses – en Pologne, en République tchèque, en Californie…
Pourquoi avoir choisi la Règle de saint Augustin, plutôt que celle de saint Benoît ?
Norbert a choisi la Règle de saint Augustin parce qu’il a voulu non pas une vie strictement monastique – comme dans la Règle bénédictine –, mais une vie canoniale. Ce sont donc des communautés fraternelles, où l’on vit dans le silence contemplatif, le partage des biens, la liturgie chorale célébrée avec solennité, mais aussi, en même temps, des communautés apostoliques, évangélisatrices, chargées du « soin des âmes ».
C’est un double charisme ?
Si vous voulez : on parle aussi de « vie mixte », puisqu’il y a une combinaison, assez féconde, entre la vie commune dans la maison, l’expérience de la charité fraternelle en Dieu, et puis les ministères apostoliques : vous trouvez chez les Prémontrés des curés de paroisse, des enseignants, des aumôniers de lycée, d’hôpital, de prison, etc. La devise de l’ordre est empruntée à saint Paul : « Prêts à toute œuvre de bien. » Ce n’est donc pas une spécificité étroite – comme d’autres ordres spécialisés dans la prédication, ou l’enseignement, etc. – mais un service un peu large, en fonction des besoins de l’Église locale.
Les Prémontrés sont généralistes, « tout-terrain », en somme. Les Prémontrés de Mondaye, par exemple, desservent trois paroisses – environ 60 villages –, tout en conservant leur vie à l’abbaye.
Vous êtes donc engagés dans les paroisses ?
Oui, entre autres services pastoraux. À Mondaye, une bonne équipe de frères assure la vie pastorale des 60 villages autour de l’abbaye, c’est déjà un grand territoire ! Les plus jeunes Frères animent des foyers de jeunes – des « patronages » – avec beaucoup d’enthousiasme, mais il faut aussi visiter les malades et les personnes âgées. L’église abbatiale elle-même est aussi paroissiale : on y célèbre de nombreux mariages et baptêmes.
Quels sont les liens entre les monastères de l’ordre ?
Chaque abbaye est indépendante, avec un abbé à sa tête, élu par la communauté. Mais le lien avec l’ordre est assuré par un abbé général, qui vit à Rome, et par un chapitre général, qui se réunit aujourd’hui tous les six ans. L’unité est aussi assurée par une spiritualité augustinienne et norbertine forte : chez les Prémontrés, on aime la vie fraternelle chaleureuse et l’hospitalité – nos monastères ont de grandes hôtelleries et accueillent beaucoup.
Il y a aussi le goût pour la belle liturgie chantée, et de nombreuses communautés de notre ordre – en langue française, ou anglaise, ou néerlandaise – ont participé activement depuis un demi-siècle à une mise en œuvre de qualité de la réforme liturgique, spécialement de la musique. On trouve aussi dans les maisons norbertines de la générosité pastorale : il y a tant à faire dans l’Église aujourd’hui.
Combien y a-t-il d’abbayes de Prémontrés en France ?
Il reste deux abbayes, celle de Frigolet en Provence et celle de Mondaye en Normandie. Les chanoines de Mondaye ont aussi deux maisons dépendantes : à Tarbes et à Conques. Cette dernière maison est un magnifique lieu d’accueil et d’apostolat sur le chemin de Saint-Jacques. L’an prochain, Mondaye ouvrira aussi une nouvelle communauté dans les Pyrénées, dans la belle petite abbaye de Sarrance, en vallée d’Aspe.
Pourquoi un habit blanc ?
C’était sûrement au Moyen Âge un signe de pauvreté – la laine écrue coûtait moins cher que la laine teinte –, mais la symbolique pascale est évidente aussi : saint Norbert disait que les anges, au matin de la Résurrection, étaient vêtus de blanc resplendissant. Pour annoncer Jésus-Christ, le vêtement blanc fait signe !
Neuf cents ans : que vous inspire ce poids des siècles ?
Un ordre ancien, par force, a une longue expérience et une certaine sagesse. Cette tradition est une richesse pour l’Église. Quand je vois ce qui arrive à certaines communautés nouvelles, en matière de gouvernance ou d’équilibre institutionnel, je suis heureux d’appartenir à une tradition religieuse dont les institutions ont été éprouvées, vérifiées. Prémontré est aussi une communauté nouvelle… mais depuis 900 ans. Et puis, tout n’est pas à inventer toujours : par exemple, la vie commune du clergé, dont on parle beaucoup aujourd’hui, n’est pas une nouveauté : elle a presque mille ans, chez les Prémontrés. Neuf cents ans d’histoire, ça donne un vrai avenir…
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L’Ordre de Prémontré. Neuf cents ans d’histoire, Frère Dominique-Marie Dauzet, Salvator, 2021, 578 p., 29 €.