Récemment, il y a eu un courant continu de livres qui sonnaient l’alarme de la « polarisation » de nos politiques. Auparavant, on se lamentait de ce que nos partis politiques mélangeaient des groupes de tendances différentes, mais de caractère indécis. Par contre, maintenant, on se plaint de ce que les partis au Congrès sont en fait très cohésifs, principalement parce que ceux qui votent pour eux dans leurs circonscriptions sont eux-mêmes plus engagés, plus fermes dans l’idée qu’ils se font des principes qui définissent les buts et les intentions de leur parti.
Que l’argument vienne des libéraux ou des conservateurs, les gens qui se tordent les mains face à ce nouvel aspect de la politique vont donner une place critique à ce qu’ils appellent « les questions sociales » – c’est-à-dire l’avortement, le mariage, les droits des homosexuels, la recherche sur les cellules souches, le suicide assisté. Voilà les questions qui ont dérangé nos politiciens, entrainant un déplacement dramatique de la géographie de nos votes.
Les contés riches du New Jersey et de New York, autrefois résolument républicains, ont effectué ce déplacement entre le premier et le deuxième Bush. Le comté de Nassau à New York a élu George H.G. Bush en 1988 avec 57 pour cent des suffrages, alors que George W. Bush l’a perdu par plus de 100 000 voix.
La vérité cachée est que les différences à l’œuvre ici sont des différences morales, mais les gens qui désapprouvent la présence de ces questions parlent et écrivent comme si les sujets « moraux » n’avaient pas leur place dans notre politique, précisément parce qu’ils favorisent les désaccords sur des choses qui vont à la racine – en particulier, qui est cette « personne humaine » porteuse de droits, celle qui attire notre sympathie, notre désir de protéger et de respecter ? Le simple terme de « question sociale » révèle ici un préjugé que ceux qui utilisent l’expression n’ont pas l’air d’avoir remarqué.
Dans la pièce de théâtre de Stoppard « Les travestis », Le maître d’hôtel du consul britannique de Zurich en 1917, dit à son patron qu’il y a eu une révolution en Russie. Surpris, celui-ci demande ; « Quelle sorte de révolution ? » Le maître d’hôtel lui répond ; « une révolution sociale ». Il réfléchit : « Des femmes seules qui fument à l’Opéra, ce genre de choses ? »
En politique de nos jours, le « fait de savoir qui est protégé par la loi sur l’homicide par exemple, semble constituer une question sociale : Un bébé change-t-il d’espèce quand il est né, ou bien, est-ce que la loi sur le meurtre protège tous les humains, même quand ils sont tout petits et encore dans le sein de leurs mères ? »
Mais depuis quand la protection de la vie humaine est-elle devenue une « question sociale », quelque chose de très éloigné de l’activité principale de nos politiques et de nos lois ? La protection de la vie humaine n’est-elle pas un de ces soucis majeurs qui en appelle aux lois et à l’ordre politique avant tous les autres ?
Et quand la manière dont les enfants peuvent être engendrés et élevés a-t-elle cessé d’être un profond souci de la loi ? Quand on en arrive à la conception et à l’éducation des enfants, la différence a toujours été dans l’engagement à porter la responsabilité de l’enfant.
Samuel Goldwyn disait qu’un contrat verbal ne valait pas le papier sur lequel il était imprimé. Nous pourrions dire que « l’engagement » informel n’est pas un engagement au même titre qu’un « engagement » inscrit dans la loi. Celui-là est un vrai engagement. En effet, c’est particulièrement clair dans le cas de l’homme qui saisit sa liberté et abandonne femme et enfants à sa guise.
Il ne faut rien moins qu’une révolution de la pensée pour produire des politiciens et des experts qui pensent que ces questions de vie et de mariage ne sont pas vraiment des sujets politiques, qu’ils sont en quelque sorte exotiques, éloignés des principales préoccupations légitimes des politiques. Et par contre, les vrais sujets de politique, à leur avis, sont des questions entièrement détachées des arguments sur ce qui est vrai ou faux, juste ou injuste.
Mais le sens de ces choses nous ramène comme toujours, à Aristote et à la reconnaissance de ce que l’ordre politique est marqué par la présence de la loi, et la loi ne peut surgir que de la nature de cette créature qui peut distinguer le bien du mal.
Notre politique est davantage « polarisée » de nos jours précisément parce que les gens attachent plus d’importance à ces sujets, ou parce que ceux-ci excitent les passions morales les plus exacerbées. Mais il ne s’en suit pas que les passions de chaque bord soient également plausibles.
Imaginons l’effet qu’aurait fait, dans les années 1930 en Allemagne, quelqu’un qui aurait plaidé pour que les partis « modèrent » leur antagonisme vis-à-vis du nouveau parti, le « National-Socialisme » ? Aurait-on suggéré de faire un compromis du genre : donner aux juifs une compensation pour les biens confisqués, ou mettre une limite d’âge aux gens qu’on envoyait en camp de concentration ?
Nelson Rockefeller, quand il était gouverneur de New York, a montré ce même sens pragmatique quand il a proposé de négocier le nombre de semaines de gestation auxquelles un enfant in utero pourrait être avorté légalement. Il y a sûrement des sujets sur lesquels des personnes prudentes pourraient faire des compromis, comme Lincoln, sans faire violence à leurs principes.
Mais ce que semble exclure le regret de la « polarisation », c’est qu’à la base de tout, un côté de la question peut être bien alors que l’autre est catégoriquement mauvais
Traduction de Handwringing over « Polarization »
« Jérémie Déplorant la destruction de Jérusalem» par Rembrandt, 1630