On ne peut pas être plus pauvre que quand on est mort - France Catholique
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La justice de Dieu
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On ne peut pas être plus pauvre que quand on est mort

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L’Église catholique en Amérique donne parfois l’impression d’être en mission suicide. Des évêques et des institutions prises individuellement ne semblent pas capables de distinguer leurs amis de leurs ennemis, invitent des ennemis parmi eux, ignorent les menaces, donnent l’impression que le mieux qu’ils puissent espérer est que les gens ne soient pas trop fâchés contre l’Église. Ce qu’ils pensent obtenir en faisant de belles choses non sujettes à controverse, comme fournir des services sociaux en évitant de mettre l’accent sur des sujets moraux plus délicats.

Un exemple récent : le président Obama a été somptueusement accueilli mardi à l’université de Georgetown où il a participé à un débat sur l’accroissement de la pauvreté. Évidemment, ça fait des années que personne n’est capable d’expliquer en quoi Georgetown est catholique. Ça ne vaut même pas la peine de le mentionner. Pour moi, par contre, il est toujours à noter qu’il n’y avait pas de manifestation organisée par des militants pro-vie. Ou par des défenseurs du mariage.

Ou par quiconque choqué que le président ait tenté effrontément, avec acharnement et de façon arbitraire d’imposer des positions immorales à chaque institution de la société américaine, de l’armée aux établissements d’enseignement, y compris les catholiques et autres groupes religieux. Et ça marche : certaines universités catholiques suivent déjà volontairement le mouvement en procurant des avantages aux couples de même sexe et en rejoignant la dérive culturelle générale, intimidant et même punissant ceux qui résistent.

De vrai, la seule personne ayant évoqué ces questions mardi à Georgetown a été le président lui-même, à la fin du débat. De toute évidence, il s’était préparé au moment favorable, et il a incité en douceur ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui sur l’avortement et le mariage homo à suivre le pape François et à lutter de concert contre la pauvreté. Il a même exprimé de l’admiration pour le pape et déclaré attendre impatiemment sa visite en Amérique prévue pour septembre.

Le site internet catholique CRUX a déformé ces propos en relatant que Obama aurait dit que les catholiques et les autres chrétiens devraient cesser de se concentrer sur des problèmes mineurs et joindre leurs efforts pour promouvoir le bien commun. Mais j’y étais, et le président a été attentif à ne pas aller trop loin. Cela aurait été perçu comme une gifle par les catholiques. A la place, il a usé d’hypocrisie feutrée.

Selon les façons de faire de Washington, c’était un débat « équilibré ». E.J. Dionne, du Washington Post, un partisan d’Obama, a joué le modérateur. Mais les deux autres invités Robert Putnam, un progressiste de Harvard, et Arthur Brooks, le président de American Enterprise Institute (un véritable catholique) – étaient très réfléchis, très bons sur les questions sociales, même s’ils divergent, de la droite modérée à la gauche modérée, sur ce que seraient les meilleures réponses à ces questions.

La conclusion de tout le monde, guère surprenante, était que toute société digne de ce nom doit procurer un minimum de biens publics, incluant la lutte du gouvernement contre la pauvreté avec des filets de sécurité et des programmes visant à proposer des meilleures opportunités. Comme Brooks l’a fait remarquer, même le libertaire inconditionnel croit dans une certaine mesure au bien public, quand cela fonctionne.

Il ramait à contre-courant car il régnait dans la salle le préjugé que les « Républicains » s’opposent vivement à de tels efforts. Il y a eu une certaine prise de conscience que chaque parti diabolisait l’autre à tort. Mais le président ne pouvait pas résister à sa pique habituelle contre Fox News pour avoir prétendument trouvé les quelques drôles de numéros qui profitent d’un Obamaphone immérité (NDT : allusion à un programme de distribution de téléphones portables aux citoyens nécessiteux) ou de quelque autre abus de l’aide d’État et s’en servant pour s’opposer à lui – et à l’aide aux pauvres.

Le public, en majorité des étudiants de Georgetown, a gobé cela. Le débat était financé par une paire d’associations de l’université et par l’Association Nationale Évangélique, alors il y avait, surtout parmi les plus âgés des auditeurs, un peu de diversité sur les questions politiques.

Mais les étudiants ont été touchés quand Obama a raconté comment son premier emploi a été « créé par le CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) » et quand il a encouragé les croyants et les institutions religieuses à s’impliquer davantage. Les brillants étudiants carriéristes qui vont à Georgetown ont rarement l’intention de devenir travailleur social ou même animateur de quartier. Plus généralement, ils aspirent à entrer en politique comme Obama, pas à effectuer un travail terre à terre de Mère Térésa auprès des pauvres et des marginalisés. Mais il semble qu’ils aiment parler des pauvres.

Quoi qu’il en soit, le président a recueilli les plus forts applaudissements quand il a parlé de sa propre expérience, grandissant dans un foyer sans père et essayant de comprendre la situation de son père, pour finalement l’oublier. Quand il a mentionné qu’il a eu « les moyens » d’échapper à ce handicap – rien d’étonnant, ses grands-parents blancs avaient les ressources pour l’envoyer au prestigieux lycée privé Punahoe d’Hawaï, qui ouvre les portes de Columbia et d’Harvard – si bien que ses filles auront une vie meilleure, la foule, quelle qu’en soit la raison, a éclaté de joie.

Il y avait là comme un certain manque de cohérence. Le président Obama venait précisément de dénoncer les riches qui paraît-il s’isolent de la communauté nationale dans des enclaves choisies, des écoles privées, des installations sportives (comme les terrains de golf qu’il apprécie tant?) – et refusent de soutenir les institutions publiques qu’ils ont délaissées. On niait que, étant donné les défaillances des écoles d’état, pour prendre un exemple de notoriété publique, les familles ne peuvent guère faire autre chose que se tourner vers les écoles catholiques (Obama, lui aussi, a fréquenté l’une d’elles) et autres institutions privées.

Plus positivement, le président a été plutôt bon en encourageant la stabilité des familles noires. Les naissances afro-américaines étant à 80% hors mariage, les pathologies sociales associées ne manquent pas de suivre. Il a reconnu que lorsqu’il faisait un discours de début d’année à Morehouse College ou établissement similaire, il n’hésitait pas à faire cours aux étudiants noirs sur le rôle d’époux et de père. Et il a suivi la même ligne avec le programme My Brother’s Keeper (NDT : littéralement « le gardien de mon frère », programme lancé en septembre 2014 par le président Obama pour améliorer l’instruction et la protection de la jeunesse.)

Les gens auront des réactions contrastées sur tout cela. Mais au-delà de ce mélange de lumière et d’obscurité, les institutions catholiques comme Georgetown se sont installées dans un cocon douillet. Les politiciens éminents qui font pression sur l’Église et promeuvent le mal moral y sont bienvenus.

Ne croyez pas que les gens à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église ne remarquent rien. Si l’Église croyait vraiment que la nation tue chaque année plus d’un million d’innocents dans le ventre de leur mère, est-ce qu’elle cohabiterait harmonieusement avec ceux qui promeuvent cet holocauste – simplement parce qu’ils se soucient aussi de pauvreté ?

Comme Flannery O’Connor l’a dit un jour, on ne peut pas être plus pauvre que lorsqu’on est mort.


Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison de Washington.

Illustration : Dionne, Obama, Putnam et Brooks à Georgetown.

http://www.thecatholicthing.org/2015/05/14/you-cant-be-any-poorer-than-dead/