Un enseignement de l’Église actuellement mal interprété concerne la distinction entre « coopération formelle » et « coopération matérielle » avec le mal, certains commentateurs insistant lourdement pour convaincre les catholiques qu’ils auraient « libre accès » au décret du Ministère de la Santé et des affaires sociales parce que payer pour les prestations de contraception ne serait qu’une forme de « coopération matérielle » avec le mal, et, disent-ils, la « coopération matérielle » ne pose pas de problème. 1.
Par exemple, David Gibson, du département « Nouvelles religieuses » de « USA Today » 2 s’appuie sur cette distinction pour s’en prendre aux évêques toujours opposés au décret du Ministère de la Santé. Citation d’un théologien anonyme: « c’est de la théologie morale, page 101 » [allusion à un forum catholique], « je ne pense pas que les évêques et leurs conseillers aient pris en compte tout l’ensemble des valeurs en cause », déclare un autre « théologien ».
Tous deux s’exprimaient « sous couvert d’anonymat », nous dit Gibson, « par crainte d’irriter la hiérarchie sur un sujet aussi délicat », les théologiens de la morale étant, comme chacun sait, d’une espèce discrète, recluse. Titre de l’article: « Les objections à la contraception font rater le raisonnement moral des catholiques ».
Vraiment ?
Eh bien, pour la « Théologie de la Morale », particulièrement en ce qui concerne les questions de protection de la santé, rien de mieux que consulter le document de base sur le sujet, « The Ethics of Health Care » [Éthique de protection de la santé] par les Pères B. Ashley et K. O’Rourke, O.P. . Voici ce qu’ils en disent:
« Parfois des gens coopèrent avec une personne accomplissant une mauvaise action en approuvant cette mauvaise action, ou en y participant en connaissance de cause… c’est une « coopération formelle » à un acte contraire à l’éthique, c’est toujours une faute. Par contre je peux coopérer avec une autre personne, non parce que j’approuve et coopère librement, mais parce que j’y suis contraint… Sous la contrainte, la coopération est dite « coopération matérielle » et elle peut être de deux ordres. Si on coopère à un acte mauvais en exécutant quelque chose d’essentiel à l’exécution de cet acte mauvais, il s’agit de « coopération matérielle directe (ou immédiate) ». Si on participe de manière accidentelle ou non essentielle, on en dit « coopération matérielle indirecte ».
Par exemple, travailler dans une clinique d’avortements parce qu’on a besoin de ce travail pour faire vivre sa famille est une « coopération matérielle ». Mais le type de « coopération matérielle » dépendra de la façon de coopérer avec la personne responsable de la mauvaise action. Si on manœuvre la pompe à aspirer le fœtus, on participe par un élément essentiel à l’exécution de l’avortement, acte intrinsèquement mauvais. Ce serait donc une « coopération matérielle directe ». La « coopération matérielle directe » à un acte mauvais commis par autrui est contraire à l’éthique, même sous la contrainte.
Cependant si on donne des soins à une femme après son avortement, ou plus simplement si on tond le gazon de la clinique, on ne participe pas à un élément essentiel de l’avortement, c’est une « coopération matérielle indirecte ». Finalement, c’est l’éventualité d’un scandale qui pourrait inciter à interdire des actes de coopération matérielle même indirecte parce que, même si l’action proprement dite a un un but moralement juste elle pourrait induire autrui à pécher.»
Vu ? Même indirecte, il vaudrait mieux éviter la coopération matérielle. Il n’existe pas de « passe-droit » pour une conscience consciencieuse.
Un jour, j’ai demandé au vice-président d’une grande société pharmaceutique — un bon père de famille catholique — s’il s’était trouvé confronté dans son travail à de graves dilemmes moraux. « Voilà, il y avait cette pompe. On pouvait l’utiliser pour des tas d’applications, mais on savait bien qu’elle servait essentiellement à pratiquer des avortements. Et j’étais gravement ennuyé.»
« Qu’avez-vous fait? — Une collègue a organisé un groupe de prière avec des réunions régulières afin que la prière fasse disparaître cette pompe de la terre. Et en fait, quand la FDA [Food and Drug Administration = organisme fédéral de contrôle des aliments et médicaments] a changé les spécifications de cette pompe, la Société a trouvé que le coût des nouveaux outillages serait trop élevé, et on a abandonné cette fabrication. Il arrive que la prière soit la plus efficace des méthodes.
Mais il y a encore une histoire à propos de cette pompe. On a découvert que chaque panne de cette ligne de production nécessitait des réparations de plus en plus longues. Le PDG demanda à ce vice-président d’aller voir pourquoi. Quand il demanda au directeur de l’usine où était le problème, celui-ci répondit benoîtement: « Bah! c’est cette pompe. Notre chef de l’entretien est catholique, et il sait à quoi elle sert, cette pompe, alors, il ne s’en occupe pas.»
Remarquez que notre chef de l’entretien aurait bien pu décider que cette réparation relevait d’une simple « coopération matérielle avec le mal », et s’en laver les mains, comme bien d’autres le font. Mais, non. Il était prêt à se faire licencier, mais, bizarrement ne le fut pas. Le directeur de l’usine ne l’a pas licencié — on peut admettre qu’il avait acquis la confiance de son patron par son comportement honnête, sérieux, travailleur. Le vice-président catholique qui me racontait cette histoire n’insista pas. Et le PDG à qui il présenta les conclusions de son enquête a sans doute grogné, mais, pour quelle raison ? nul ne sait, il laissa faire. Et finalement, le bon Dieu s’en est mêlé et la pompe a disparu.
Tout aurait bien pu se passer autrement, c’est évident. Ce chef de l’entretien risquait gros : sa situation, le gagne-pain pour sa famille, sa réputation. On se sent tout petit devant son courage.
Rappelons-nous que lors de la Shoah, il y avait un homme pour conduire le train, un pour ouvrir les portes des wagons, un pour y faire monter les prisonniers, et ainsi aucun n’avait la responsabilité du mal qui s’accomplissait. Ceux qui veulent violer votre conscience commenceront par désinformer votre conscience, et ainsi essayer d’étouffer sa voix.
Nous ferions bien de commencer à réfléchir sur le genre de sacrifices que nous aurions à consentir dans ces prochaines années. Puis multiplier par deux notre estimation. Et prier pour recevoir la grâce de résister quand notre foi sera menacée.
Photo : Sebelius et Obama quittant la tribune.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/no-cooperation-with-evil.html
Pour aller plus loin :
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