Olivier Clément - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Olivier Clément

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18 JANVIER

Olivier Clément ! Ma première rencontre avec lui doit dater de près de 40 ans. C’est Charles Reymondon (il signait alors la chronique religieuse de Combat sous le pseudonyme de Baruch) qui m’avait invité à un débat à plusieurs voix où il y avait aussi le Père dominicain Féret, que je retrouverai plus tard à l’Amitié Charles Péguy. C’était pour moi une expérience nouvelle, car il me fallait m’exprimer en tant que catholique pour parler de questions religieuses. Ce que je n’avais jamais fait sur une tribune. Je me souviens d’avoir été très mauvais, inutilement agressif, ayant du mal à trouver mes marques dans le débat du moment (Intégristes / Progressistes). Il me faudra tout un apprentissage et une confrontation personnelle à la culture du temps pour être moi-même. En revanche, ma découverte, ce jour-là, ce fut Olivier Clément. Il y avait d’abord un ton, une parole, qui n’étaient qu’à lui, une chaleur, une conviction. Et puis surtout un contenu original, non-idéologique, à l’heure où l’idéologique était partout. Je fus séduit.

À l’époque, l’orthodoxie n’avait pas encore le caractère de familiarité qu’elle aura plus tard dans notre pays. Je n’étais pas indifférent, loin de là, à la liturgie de saint Jean Chrysostome, à l’univers spirituel, théologal, théologique de l’Orient chrétien. Mais il aura fallu la rencontre d’Olivier Clément pour que tout prenne une autre consistance, proche et amicale. J’avais d’autres raisons d’être prédisposé à l’entendre : mon admiration pour Dostoïevski, un peu plus tard, la révolution mentale qu’allait être la révélation de Soljénitsyne. Mais le professeur admiré de l’Institut St-Serge faisait beaucoup plus que le trait d’union avec ma « culture russe », il lui conférait une saveur française, lui apportait un approfondissement et une actualité sans cesse renouvelée. J’ai retenu les mots de Jean-François Colosimo : « Olivier Clément a apporté à l’orthodoxie en France son langage ». Non seulement, ce langage me convenait, mais il m’enrichissait, me permettait d’explorer un continent de l’âme qui éveillait le meilleur d’une pensée chrétienne. C’est dire combien je fus heureux de le retrouver plus tard au sein de la rédaction de France Catholique animée par Robert Masson. L’homme était vraiment œcuménique, au sens où il avait profondément le sens de l’Église indivise. Il ne s’agissait pas de fabriquer de l’unité artificiellement autour d’on ne sait quel minimum commun. Il fallait prendre en compte toute l’histoire dont il connaissait les méandres et les contradictions – c’était sa formation universitaire qui la lui avait rendue familière. Il n’était donc pas attiré par les querelles, encore moins par je ne sais quel repli agressif des minoritaires assiégés par le catholicisme en France. Vladimir Lossky avait été son maître, celui dont il écrit dans son autobiographie spirituelle (L’autre soleil, Stock, 1975) : « C’est par lui d’abord, par les siens, et par la vie de la petite paroisse dont il était membre [on y célébrait le rite byzantin en slavon, puis, peu à peu, en français ] que j’ai découvert l’Église non comme une morale, une idéologie, une influence sociale et politique, mais comme cette humus liturgique, eucharistique, où l’homme se nourrit et se transforme. L’homme intérieur, c’est-à-dire, à partir du cœur, l’homme tout entier. L’ascèse enlevant seulement les obstacles à cette grande montée de sève. Une fois réalisée cette découverte, l’Église ne m’a jamais fait problème. »

Pourquoi, alors que je reprends ces livres, son image me revient-elle tandis qu’il prie, s’unit de tout son cœur à la liturgie ? Ce doit être à Sylvanès, dans la superbe abbatiale cistercienne où le Père André Gouze célèbre toujours dans la grande tradition renouvelée. C’est parce que le théologien est indissociable du priant, du liturge, sachant que l’eucharistie est le sommet de la vie chrétienne, faisant resplendir la face de la terre pour une Pâque éternelle. Oui, j’avais vraiment besoin d’entendre cela dans le paysage bouleversé de l’après 68, où le concile qui venait d’avoir lieu était très souvent vécu en termes séculiers et politiques, et où bon nombre de jeunes gens qui avaient soif de Dieu, ne s’y retrouvaient pas. L’orthodoxie fut, pour un certain nombre d’entre eux, l’entrée dans une vraie conversion, et Olivier Clément y aidait puissamment.

Je n’ai malheureusement pas connu l’homme en ses dernières années. Tout juste quelques coups de téléphone me permettaient de le retrouver tel qu’en lui-même, profond, attentif. Je l’avais interrogé au moment de la Semaine Sainte où Jean-Paul II lui avait demandé de rédiger le texte du Chemin de Croix du Colisée. Il m’avait confié l’admiration qu’il avait pour cet « homme prophétique ». Le Pape avait d’ailleurs saisi à quel point la réflexion de cet orthodoxe pénétré de la catholicité de l’Église pouvait être précieuse pour aujourd’hui et demain.