Objections de conscience et liberté religieuse - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Objections de conscience et liberté religieuse

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Allocution prononcée en italien lors d’un congrès organisé à Rome, le 29 février dernier, par l’Institut Tocqueville – Acton, la Fondation Caelo et Terra et les Éditions Rubbettino pour les parlementaires italiens et le public,

parue en anglais le 13 mars sur Zenit.org

http://www.zenit.org/article-34443?l=english

et dont voici la version française traduite par Pierre pour France Catholique..

* * *

Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à la préparation de cet événement. Voici un sujet d’importance qui commence à émerger dans tous les pays développés, des États-Unis à l’Europe, l’Australie et le Canada. Je ne jouerai pas le prophète de malheur, mais je suis persuadé que nous voyons apparaître une nouvelle approche non seulement des droits fondamentaux, mais des rapports entre les citoyens et leurs gouvernements, altérant profondément les notions de droits de la conscience, et de la conscience elle-même. Cette évolution n’est pas inéluctable. Mais nous devons tous reconnaître qu’il y a un problème et qu’il nous faut agir — même s’il est déjà bien tard.

Naturellement, je parlerai particulièrement de la situation aux États-Unis, et donc des pressions exercées par le président Obama sur les institutions catholiques, ce qui n’est pas vraiment une question de droits de conscience, comme j’essaierai de l’expliquer. On a tendance à confondre l’objection de conscience et ce qui est à mon avis le plus important — la liberté religieuse.

Pour moi trois points sont essentiels: d’abord montrer un cas réel d’objection de conscience, au sens propre du terme, puis pointer le problème culturel qui empêche de résoudre d’autres cas de conscience ; enfin j’aimerais analyser un peu la controverse répandue actuellement aux États-Unis sur l’ « Obamacare » et la liberté religieuse.

Commençons par un exemple de protection de la conscience, correctement énoncé. Dans l’État de Washington, aux États-Unis, des poursuites ont été engagées contre plusieurs pharmaciens refusant de fournir, pour des raisons de conscience, des « pilules du lendemain« , pouvant être abortives, la plus connue se nommant Ella-One. À une large majorité, l’association des pharmaciens de l’État de Washington les approuva pour des raisons de conscience. Mais l’État, et particulièrement le gouverneur Chris Gregoire, soi-disant catholique, ont tenté d’obliger tous les pharmaciens à mettre en vente tous les médicaments légalement autorisés. L’affaire fut portée devant la Cour — Tribunal d’État, non pas Cour fédérale. La Cour releva que dans le passé des pharmaciens avaient été dispensés de vendre divers médicaments et accessoires pour des motifs économiques, commerciaux ou autres. L’État n’ayant aucune raison de forcer les pharmaciens dans ces cas, quels motifs aurait-il eus à les contraindre quand de graves questions morales sont en jeu ? Les pharmaciens eurent gain de cause dans un État très à gauche de la côte du Pacifique. Mais nous savons bien pourquoi l’État a fait cette tentative; il veut supprimer toute résistance publique aux procédures que les hérauts de la gauche considèrent comme les droits les plus fondamentaux, de loin plus dignes de protection que la conscience ou la religion.

Dans cette affaire, le juge a bien agi. Mais jusques-à quand durera cette attitude de bon sens chez nos élites culturelles ? Un autre exemple pourrait apporter une réponse. Ce sera le second point de mon propos. En Amérique comme ici en Europe, le mouvement en faveur du « mariage gay » prend de l’ampleur jour après jour. Beaucoup de gens — j’en fais partie — et aussi les Églises, croient aux droits civiques des homosexuels comme à ceux de tout le monde, mais considèrent que le mariage est quelque chose d’unique, institution préexistant à l’État. Mais dans ce débat, le « mariage gay » est présenté comme un « droit fondamental », même s’il ne figure nulle part dans la Constitution Américaine, ni dans aucun autre document réglementaire. En revanche, l’opposition à ce nouveau droit sans fondement est présentée comme comparable au déni des droits civils des Noirs Américains avant 1960. (En fait, on la caricature en l’affublant d’un terme relevant de la psychiatrie: « homophobie ».)

En d’autres termes, les églises, synagogues, mosquées, chapelles, individus, etc… qui ne voient le mariage qu’entre un homme et une femme sont considérés au même plan que le Ku Klux Klan — groupe raciste américain — lors de la lutte pour les droits civiques. Ainsi, la foi et la morale traditionnelles de la majorité des citoyens sont devenues un crime contre des « droits fondamentaux ». Combien de temps reste-t-il avant que l’État mette autant que possible hors la loi ces croyants et leurs institutions, comme il l’a fait alors pour le Ku Klux Klan ? C’est peu vraisemblable dans l’immédiat, mais la logique découlant de la désignation du « mariage gay » comme un droit fondamental ou une question d’égalité fondamentale ne peut que nous entraîner sur cette pente.

Ceci nous amène au troisième point : la décision récente d’Obama de rendre obligatoire l’assurance couvrant non seulement la contraception, mais aussi les médicaments abortifs et la stérilisation par décret relatif à la couverture santé. Je dois dire que je ne saisis pas précisément pourquoi il a déclenché cette crise. Mais à la vue de son « aménagement » vous pouvez constater qu’il n’a pas encore commencé à comprendre le souci des catholiques, et aussi des évangélistes, des juifs orthodoxes, des musulmans et autres. Les évêques catholiques et autres opposants au nouveau décret tiennent une solide position légale. La liberté de religion est un droit fondamental garanti par le Premier amendement à la Constitution (Pour vous éclairer, précisons que les dix premiers amendements, connus sous le nom de « Bill of rights » [« Déclaration des droits »], ne sont pas des modifications à la constitution initiale, mais un recueil des droits que les fondateurs voulaient particulièrement protéger en les énonçant explicitement). Nous, Américains, sommes depuis longtemps fiers de notre Premier Amendement: nous vivons dans un pays qui, selon les mots de George Washington prononcés à la synagogue de Touro à Newport (État de Rhode-Island), ne donne « à la piété ni sanction, ni persécution, ni aide ».

Tout au contraire, Obama entama la conférence de presse d’annonce de son « aménagement » aux objections religieuses en soulignant que l’accès aux soins pour les femmes, y-compris la contraception, l’avortement, la pilule du lendemain et la stérilisation est un « droit fondamental ». Oh, à-propos, elles y ont droit sans que çà leur coûte un sou. Tout çà pour dire qu’il y a un droit précédent, si on peut dire, et encore plus « premier » que les protections accordées par le Premier amendement à la liberté constitutionnelle de religion. De toutes façons, nul ne semble avoir remarqué précédemment ce tas de droits jusqu’à ces dernières semaines. Naguère, ceux qui ont découvert de nouveaux droits dans la Constitution — tel le droit d’avorter — parlaient « d’émanations et pénombre » justifiant leur trouvaille. Sous ce nouvel aspect, tout organisme ou toute personne, comme les Églises, intervenant dans ces nouveaux droits fondamentaux est un sectaire à la frange de l’aventure américaine. Nombre de commentateurs laïcs ont déclaré, bien avant cette controverse particulière, que M. Obama se sent handicapé dans la gestion d’une nation moderne par des règles archaïques du dix-huitième siècle. Le New-York Times l’a répété voici trois ou quatre jours, soulignant que la Constitution aurait besoin d’une mise à jour, car ne protégeant pas l’émergence de notions modernes de « droits ».

Cela étant, la Constitution est le document qu’un ancien professeur de droit constitutionnel a juré de préserver, protéger et défendre en devenant président des États-Unis. D’où lui vient donc le droit de dénier la protection fondamentale de la loi aux personnes religieuses? Le but d’une Constitution est d’établir un gouvernement selon les lois, et non selon certaines personnes. À mon avis il nous faut distinguer deux genres de « droits ». On emploie actuellement le même mot parce que notre langage moral manque de vocabulaire pour faire la distinction.

Les véritables droits fondamentaux, au moins dans le système américain, s’appliquent à « la vie, la liberté, et la propriété. » Le gouvernement ne peut voter la vie, la liberté, la propriété à quiconque hors l’application de la loi. Ce sont des droits en vigueur en tout temps et en tous lieux, droits fondamentaux non pas accordés par le gouvernement, mais, dans notre système, don de notre Créateur. Peu importe qu’un président ou un groupe de pression n’apprécie pas cette façon de comprendre les droits fondamentaux. Ou le fondement même de notre gouvernement. Il n’y a aucune objection de conscience sur ce sujet.

En contraste, il y a des « droits » modernes — à l’alimentation, au logement, aux soins, au travail — qui sont plutôt l’expression de besoins. Tous les gens de bon sens espèrent que chacun pourra profiter de ces biens de base. Ils sont fournis pour la plupart par la société civile — particulièrement par la famille — et par le ministère de la Santé et des Affaires Sociales. D’autres organismes doivent intervenir selon les besoins, y-compris l’État. Mais l’État ne peut assurer toutes les ressources et les moyens nécessaires. Voyez le cas de la Grèce, et peut-être bientôt pour nous, membres de nations développées. Je ne vois pas bien comment on peut prétendre à un droit que nul ne peut satisfaire. C’est vraiment une question de droits fondamentaux, que dire que les églises, les synagogues, les mosquées, etc., doivent procurer des biens souhaitables (à certains) quand d’autres moyens existent, si c’est ce à quoi vous pensez d’abord ? Et à part l’objection de conscience, que penser du traitement actuel du droit fondamental de propriété ? Jadis il eût été impensable qu’un président des U.S. ose intimer à des compagnies d’assurances de couvrir certains risques, et ce, gratuitement.

De plus, il n’y avait nul besoin d’entamer ce conflit — sauf si on avait décidé au préalable de contraindre certains organismes à commettre certaines actions en dépit de leurs convictions religieuses et morales. La question n’est pas, par exemple, de la difficulté d’obtenir un avortement, même gratuit, dans des cliniques ou autres établissements, si vous considérez qu’un tel acte répond à un besoin fondamental. Et c’est pourquoi les établissements religieux ne se sont pas privés d’invoquer la clause de conscience en ce domaine. Se soumettre serait admettre que l’État a défini quelque chose comme fondamentalement légitime et véritable, et que ceux qui s’y opposent sont tout simplement agressifs et sectaires. Non. Les Églises et autres communautés religieuses déclarent que l’ordre légitime et conforme à la Constitution est tout-à-fait à l’opposé — il ne s’agit pas simplement de clause de conscience mais de mettre en avant la liberté de religion, et sa place inattaquable dans notre compréhension constitutionnelle du système américain. Et il y a tout à parier que la Cour suprême leur donnera raison.

Ce n’est pas une simple révolte de l’épiscopat catholique. Un groupe de chrétiens évangélistes et des juifs se sont exprimés en faveur de la liberté de religion. Une déclaration commune de catholiques et évangélistes a été publiée. De plus, les évangélistes et les juifs ont rappelé qu’ils ont fréquemment des institutions religieuses ne correspondant pas stricto sensu à la définition d’églises ou de lieux de culte. Ainsi il n’y a pas que les hôpitaux, universités et services d’urgence catholiques qui soient menacés. Bien d’autres formes d’activités religieuses en Amérique sont en danger, alors qu’elles forment la riche diversité de notre société. Il est encourageant de constater que la hiérarchie catholique et des responsables d’autres religions prennent au sérieux les enjeux dans le domaine de la santé. Il n’est pas seulement question de clause de conscience, mais du premier des droits : le droit à la liberté de religion. Si cette controverse — qui ne se dissipe pas — mène à une meilleure réflexion non seulement sur la liberté de religion, mais aussi sur l’importance et le rôle du gouvernement, alors tout sera pour le mieux dans l’amour de la liberté, de l’ordre et de la conscience.

Robert Royal