Oberammergau : la Passion née d'un vœu - France Catholique
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Oberammergau : la Passion née d’un vœu

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En 1633, à mi-parcours du cruel conflit entre protestants et catholiques connu sous le nom de Guerre de Trente Ans, un petit village bavarois a fait un vœu en échange de la miséricorde de Dieu et de sa protection contre une pandémie dévastatrice. Pour tenir à distance le virus mortel, la communauté catholique cernée de montagnes d’Oberammergau avait soigneusement interdit l’accès de leur commune aux soldats en maraude et aux étrangers. Tout allait bien jusqu’à ce qu’un villageois ayant le mal du pays revienne au bercail sous le couvert de la nuit, apportant l’épidémie redoutée.

Peu de temps après, quatre-vingt-quatre villageois avaient succombé à la maladie. Dans une tentative désespérée – et une foi ferme – les villageois se sont rassemblés dans l’église paroissiale et ont fait un serment tout simple à Dieu : si plus aucune vie n’était perdue, ils joueraient tous les dix ans la Passion du Christ. Dieu a répondu à leurs prières. Selon la tradition locale, il n’y eut plus de villageois touchés par l’épidémie.

Les gens d’Oberammergau ont continué d’accomplir leur vœu depuis plus de 375 ans, évoluant d’une simple représentation théâtrale paroissiale à un événement prisé par l’UNESCO. L’engagement envers le vœu est toujours au cœur de la représentation de la Passion d’Oberammergau.

Ce vœu a modelé une communauté d’une façon que n’auraient pu imaginer les premiers qui ont fait le serment. Durant les 200 premières années, le spectacle théâtral était un simple événement paroissial présenté durant quelques jours dans le cimetière adjacent à l’église paroissiale. Dans les années 1800, ce jeu théâtral villageois pittoresque a commencé à attirer des pèlerins, cela a culminé en 2010 quand plus de 500 000 personnes ont assisté aux spectacles journaliers de mai à octobre.

Dans une création de cinq heures qui pourrait susciter l’envie des producteurs de Broadway, l’histoire de Jésus de Nazareth est présentée depuis son entrée à Jérusalem jusqu’à sa Résurrection. Au long de la représentation, il y a un texte parlé spectaculaire, avec accompagnement instrumental et choral. Des scènes prévues pour illustrer les relations entre l’Ancien et le Nouveau Testament, dans une typologie préfigurant la vie du Christ, sont présentée au long de la pièce par des acteurs muets mimant des histoires bibliques.

Christian Steuckl, natif d’Oberammergau et directeur depuis 1990, peut offrir quelque éclairage sur la fascination mondiale pour cette pièce. Selon Steuckl, toute description dramatique de la Passion (les cinq derniers jours précédant la Crucifixion) tente de répondre à la question du Christ : « qui pensez-vous que je suis ? » Depuis presque quatre siècles, la reconstitution a essayé de répondre à la question posée aux Apôtres et à toutes les générations depuis lors.

En dépit de la popularité mondiale du jeu de la Passion, c’est un événement toujours entièrement local et communautaire. Tous ceux qui participent, depuis les acteurs qui incarnent Jésus jusqu’aux personnes qui s’occupent des animaux vivants doivent être nés à Oberammergau, ou résidents d’Oberammergau depuis plus de vingt ans, ou être marié à un natif d’Oberammergau (et avoir résidé dans la ville depuis au moins 10 ans).

Chaque aspect du spectacle est un produit local : les costumes, le texte, l’éclairage et tous les aspects techniques ; même l’âne qui est la monture du Christ pour son entrée à Jérusalem provient d’une ferme du cru. Plus de 2400 des 5000 citoyens d’Oberammergau sont directement impliqués dans la pièce.

Le casting pour la production 2020 – reportée en 2022 – a causé une grande fureur dans la presse mondiale parce qu’il inclura deux musulmans. Tous deux natifs d’Oberammergau. Chaque rôle est doublé. Judas sera joué par Martin Schuster et Cengiz Gorur, un musulman pratiquant de 18 ans. Abdullah Karaca, un autre musulman, sera l’un des deux à jouer le rôle clef de Nicodème.

La décision de Steuckl de choisir ces hommes ainsi que des protestants et même des athées ne prend son sens qu’à la lumière de la question : « qui pensez-vous que je suis ? » Le Christ a posé cette question à toute l’humanité et toutes les personnes, indépendamment de leurs croyances, sont appelées à répondre à cette question.

Durant la conférence de presse du Mercredi des Cendres de cette année, l’humilité et la grandeur stupéfiante du vœu de la ville ont été démontrées. Une tradition vieille de deux cents ans décrète que les hommes et les femmes laissent pousser leurs cheveux 15 mois avant de commencer à jouer. Le jeune maire de Oberammergau, Andreas Rodl, lui-même membre de la chorale du spectacle, a arrêté que tous ceux qui joueraient dans la pièce, hommes et femmes confondus, ne se couperaient plus les cheveux, les hommes devant de plus cesser de se raser, et ce jusque fin 2022.

Christian Steuckl, le directeur, a plaisanté sur le fait que, tous les dix ans, Oberammergau commence à ressembler à une colonie de hippies. C’était un rappel poignant de la façon dont, chaque décennie, la réalité des temps s’infiltre dans la pièce lorsque le maire a conseillé aux acteurs de veiller à ce que leur barbe n’empêche pas le port correct du masque anti-pandémie.

Ce qui a commencé au milieu d’une épidémie a continué a être affecté par les épidémies : les spectacles ont été annulés deux fois en raison de menaces de maladies. En 1920, quand l’Allemagne était appauvrie par la Première Guerre Mondiale et dans la tourmente des ravages de la grippe espagnole, le spectacle fut reporté à 1922. La saison 2020 a été annulée en raison du Covid 19 et ouvrira le 14 mai 2022.

Frederick Mayet est l’un des deux acteurs ayant interprété Jésus en 2010 et il reprend le rôle en 2022. Il est aussi à la tête du service de relations avec la presse du spectacle. C’est un petit homme saisissant, avec des yeux d’un bleu pénétrant et une chevelure blond-roux. Il est facile de déceler le magnifique sens de profonde responsabilité que ressent monsieur Mayet en incarnant le Fils de Dieu. Il a dit que les parties plus difficiles pour lui en tant qu’acteur étaient la nuit au Jardin de Gethsémani et la condition physique de la crucifixion. Durant plus de vingt minutes l’acteur incarnant Jésus est suspendu à la croix, les bras distendus supportés par des crochets.

Steuckl a décrit comment accomplir le vœu a modelé toute sa vie. Son père comme son grand-père ont joué le rôle de Caïphe. Monsieur Steuckl souligne, en plaisantant, qu’il a parfois le sentiment d’avoir été élevé par Caïphe. Tôt dans la vie, il s’est fixé pour but de devenir le directeur du spectacle, bien qu’il ait un moment envisagé d’entrer au séminaire. Sous sa direction, il y a eu plusieurs innovations, éclairant d’une douce lumière le message du Christ sur le Royaume de Dieu. Derrière sa jovialité décontractée et son apparence de vedette de film, monsieur Steuckl abrite un engagement venu du cœur pour décrire comment la mission d’amour du Christ est toujours valable aujourd’hui.

Au cours des siècles, le Jeu de la Passion n’a jamais été sans controverses. Depuis la décision de déplacer la scène hors de l’église pour rejoindre le cimetière jusqu’à la décision de choisir une femme mariée pour représenter la Vierge Marie, en passant par les disputes entre l’Eglise et la ville pour savoir qui contrôle le texte – sans compter, ces dernières décennies, des accusations d’antisémitisme.

Un Américain expatrié retraité, qui va assister au spectacle pour la cinquième fois en 2022, a décrit le Jeu de la Passion d’Oberammergau comme un microcosme où se retrouvent toute la folie et la sagesse humaines, non sans ressemblance avec le drame qui a pris place au pied de la Croix. Sur l’immense scène d’Oberammergau, le chant d’un coq peut se faire entendre, venu d’une ferme proche – un rappel poignant de ce que, depuis l’époque de Pierre jusque nos jours, accomplir des vœux et des engagements par amour de Dieu et du prochain peut être, dans un monde imparfait, un pas vers l’éternité.