Il y a des années de cela, quand j’étais étudiant, je suis sorti avec une jeune femme qui avait – comment le dire délicatement? – des idées très arrêtées et aucune réticence à les faire connaître. Elle était formidable : astucieuse comme un président de groupe parlementaire, entièrement orthodoxe, et délicieusement gaie la plupart du temps. Mais si elle était en train de vous partager ses pensées, vous aviez intérêt à être attentif.
Un jour, alors que nous avions pas mal discuté sur un sujet, elle a dit : « tu n’écoutes pas ». Moi, jeune et stupide, je répondis : « Ce n’est pas vrai. » J’ai alors répété toute la conversation depuis le début, reprenant parfois exactement les mots qu’elle avait employés. Je pensais : quod era demonstrandum, la démonstration est faite : j’ai écouté.
Elle m’a regardé, a incliné légèrement la tête sur le côté avec une expression que je savais signifier « je ne plaisante pas » et elle a dit : « Tu n’écoutes pas. »
Bien qu’allonger la syllabe finale, à cette époque de ma vie, ne me semblait pas renforcer substantiellement son argumentation, j’ai pensé qu’il était préférable d’essayer de comprendre ce qu’elle voulait dire.
Chaque fois que je raconte cette histoire à une de mes classes, toutes les femmes semblent savoir exactement ce qu’elle voulait dire. De fait, quand j’arrive au moment où je décris comment j’ai répété point par point toute la conversation, je peux en voir beaucoup rouler les yeux et secouer la tête. Je demande alors : « Qu’est-ce qui ne va pas ? N’ai-je pas prouvé mon intérêt ? »
Elles disent : « vous n’avez pas écouté. » « Comment cela ? Je me rappelais presque chaque mot. »
« Vous avez entendu les mots, mais vous ne l’écoutiez pas, elle. Vous étiez comme un magnétophone, pas comme un type qui se souciait réellement de ce qui se passait dans son cœur, dans son esprit, dans son âme. Vous n’essayiez pas de comprendre d’où elle venait, ce qu’il y avait derrière les mots, ce qui la préoccupait ou ce dont elle se souciait vraiment. »
« Alors, c’est important ? »
« Oh, oui » me disent-elles. « C’est la partie la plus importante d’une réelle écoute. »
« Très juste » leur dis-je alors. « Alors, est-ce ainsi que vous écoutez les autres ? Est-ce ainsi que vous écoutez votre mère et votre père quand ils essaient de vous transmettre un peu de sagesse ou de vous avertir de certains dangers ? Est-ce ainsi que vous écoutez les paroles de l’Ecriture ou les enseignements de l’Eglise ? » C’est alors que les choses deviennent intéressantes.
Je mentionne cette petite histoire parce qu’elle me revient en mémoire chaque fois que j’entends des fonctionnaires de l’Eglise parler de « sessions d’écoute » qu’ils ont faites pour préparer le Synode de je ne sais quoi. Je me demande parfois s’ils écoutent réellement.
Parce que lorsque je vais à la messe quotidienne sur notre campus, voici ce que j’y vois. La moitié des femmes portent sur la tête une mantille. Quand arrive le moment de la communion, la moitié des gamins s’agenouille, même si nous n’avons pas de banc de communion et si le bâtiment de facture moderne rend l’exercice incommode. Et après chaque messe, l’un ou l’autre des étudiants se lance dans la prière à Saint Michel Archange ou entonne le Ave Regina, parfois les deux. Personne n’a planifié cela, personne n’a encouragé les étudiants à le faire ; je crois même que les chapelains n’apprécient guère.
Ces jeunes ne sont pas spécialement « traduis ». Ce n’est pas notre segment démographique. Les gamins de l’université Saint Thomas sont dans la moyenne. Mais ils savent ce qu’ils veulent, et ce n’est pas le catholicisme allégé que leur proposent des évêques issus du Baby Boom et qui se croient encore en 1975.
Alors je reste à me demander : qui écoute ces jeunes gens ? Qui va aller au Synode de je ne sais trop quoi afin de parler pour eux et dire : « vous rappelez-vous comment c’était autrefois quand nous étions jeunes et combien nous étions frustrés que les générations plus âgées ne veuillent pas nous comprendre et ne veuillent pas faire place pour ce qui nous inspirait ? »
Eh bien, ces gamins sont ainsi. Et maintenant c’est vous, oui, vous, qui êtes les vieux croûtons figés dans vos schémas, qui ne voulez pas leur faire de la place, qui voulez conserver les mêmes messes à la guitare avec des homélies commençant toujours pas une petite histoire personnelle pittoresque. Ils détestent cela.
Les jeunes à qui j’enseigne veulent du solide. Ils veulent savoir que les gens qui leur parlent croient à ce qu’enseigne l’Eglise parce qu’ils comprennent que, s’ils se donnent à la foi dans cette culture, cela leur demandera rien de moins que de tout donner. Il veulent une Eglise zélée qui puisse tenir dans les vents mauvais qu’ils savent actuellement souffler.
Le fatras de la « révolution sexuelle » des années 60 les barbe. Ils veulent peut-être du sexe mais plus que cela, ils veulent savoir comment trouver quelqu’un qui les aime, comment faire un bon mariage et avoir une bonne carrière, et comment rester catholique dans une culture toxique qui trouve méprisable les choses qui leur tiennent à cœur. Trop d’évêques n’ont rien de profond à leur dire.
Qui parle pour ces jeunes gens ? Qui les écoute, qui entend leurs espoirs et leurs craintes pour l’avenir ? Les évêques n’entendront pas leurs voix s’ils passent leurs journées à écouter la radio nationale ou à lire le New York Times.
J’entends beaucoup de discours de certains prélats. Le pape parle tant et plus – au Vatican, dans des avions – mais à des journalistes qui haïssent l’Eglise. Les évêques allemands parlent et parlent – comme si le monde entier devait les écouter. Mais quand d’autres répondent, qu’ils avertissent et essaient de raisonner avec eux et de partager leurs inquiétudes, je ne vois pas beaucoup d’écoute. Lisent-ils les commentaires réfléchis issus de l’autre bord ? Y portent-ils attention ? Leurs réponses ne le laissent pas paraître.
Ils écoutent peut-être vaguement, comme on écoute un insecte bourdonnant que l’on chasse de la main, mais il n’y a pas de preuve qu’ils écoutent vraiment. Et selon mes étudiants, c’est pourtant crucial.
Pour aller plus loin :
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Jean-Paul Hyvernat