Lors d’une cérémonie de diplôme en 1978 à Harvard, Alexander Soljenitsyne a déclaré à une promotion sceptique :
« Si l’humanisme avait raison de déclarer que l’homme est né pour être heureux, il ne serait pas né pour mourir. Puisque son corps est condamné à mourir, sa tâche sur terre doit être de nature plus spirituelle. La vie ne peut pas être faite de plaisirs sans limites de la vie quotidienne… Cela doit être l’accomplissement d’un devoir permanent et sérieux, pour que le voyage d’une vie devienne une expérience de croissance morale, pour que l’on puisse quitter la vie en étant devenu un être humain meilleur. »
L’écrivain russe exilé n’a pas informé ces étudiants américains de la messe de Pâques russe orthodoxe à laquelle il a participé, ni de sa lettre au patriarche de Moscou à propos de la négligence du corps ecclésiastique qui n’insiste pas assez pour que les familles et étudiants russes apprennent et conservent leur patrimoine chrétien.
Cependant, il leur fit comprendre, de manière significative, que ce qui importait était de savoir si nous faisions un progrès spirituel ou non, en tant que personne. Il ne leur a pas dit que leur tâche était de créer un « monde meilleur », mais de créer de meilleures personnes, quelque soit le monde où ils se trouvaient.
Il semblait croire que de meilleures personnes provenaient effectivement de l’Est, au Moyen-Orient, sous la persécution, non pas à cause de son système, mais malgré lui, dans un lieu où les gens voyaient et vivaient réellement sous un enfer (alors qu’en Occident, les hommes ignorent le mal ou, pire, le caractérisent). C’est très chrétien, car ce qui passe par la mort pour ressusciter n’est pas la « société », mais notre propre individu, un individu qui peut être racheté ou perdu dans n’importe quelle société, corrompue ou bénie.
D’une certaine manière, l’histoire intellectuelle du monde occidental a constitué une série infinie d’objections à la réalité, voire à la possibilité de la Résurrection. Paul avait raison : la crucifixion était en effet un scandale pour les juifs et une folie pour les grecs.
S’il en était ainsi, qu’en est-il de la Résurrection du Crucifié ? Nous savons pourtant que l’Église chrétienne existe seulement où il y a des évêques qui entretiennent le credo qui enseigne la résurrection même du corps. « Si le Christ n’est pas ressuscité des morts, notre foi est vraiment vaine », a déclaré Paul aux Corinthiens.
Dylan Thomas a repris ce même Paul dans son refrain poétique, encore et encore : « Et la mort n’aura pas d’empire. . . Et la mort n’aura pas d’empire. »
Quelles sont les alternatives à la vérité littérale de la résurrection du Christ, et par conséquent de la nôtre ? Le thème des apôtres perdus a été travaillé maintes et maintes fois. Il est en grande partie épuisé et ne peut pas rendre compte de preuves.
Il y a une seule objection réelle, ayant une base intellectuelle : l’impossibilité présumée de la véritable résurrection d’une personne. Elle consiste à dire que notre existence collective et continue en tant que race continuera au cours des siècles et donnera à la vie humaine une sorte de noblesse exaltée que nous pourrons partager, ayant déjà vécu nous-mêmes. Le monde deviendra « meilleur ».
Le christianisme est attaché à la conviction de la valeur et du caractère unique de chaque personne humaine, non seulement de ceux qui sont nés, mais aussi de ceux qui ont été conçus. Nous sommes déjà nommés dans la Parole en laquelle toutes choses sont faites. Chaque personne humaine avec son propre nom unique ressuscitera le dernier jour.
Nous ne passerons pas dans le néant éternel. Et nous serons nous-mêmes, non pas des dieux, mais des membres de La Cité de Dieu, comme l’a dit Augustin.
Le seul élément incroyable du christianisme est donc ce qui le rend crédible, c’est-à-dire sa Résurrection, la fête de Pâques et ses promesses. Cette foi est très dure dans ses concepts, très dure en effet.
William Blake dans sa Jérusalem a senti très clairement qui était vraiment l’ennemi :
J’ai essayé de me faire des amis par des dons corporels mais j’ai seulement
Des ennemis. Je ne suis jamais fait d’amis que par des dons spirituels,
Par de graves disputes d’amitié et par le feu brûlant de la pensée.
Celui qui verrait la Divinité doit le voir dans Ses Fils,
Un d’abord, dans l’amitié et l’amour, puis une Famille Divine, et au milieu,
Jésus apparaitra : donc celui qui souhaite voir une vision, un ensemble parfait
Doit y voir des petits détails, organisés, et non pas,
Un démon d’une vertu, prétendu.
Tout ce qui concerne cette foi, cette Résurrection, milite contre le fait de nous refuser toute existence ultime, toute notre existence, des détails, des personnes avec des noms. Et c’est pourquoi le drame de l’existence humaine n’est pas tant constitué par notre existence en tant que fait, mais par notre existence en tant que choix.
Le professeur Robert Jastrow, astronome, a écrit récemment :
Nous voyons maintenant comment les preuves astronomiques mènent à une vision biblique de l’origine du monde (le mot « Bible est utilisé pour décrire l’univers). Les détails diffèrent, mais les éléments essentiels des récits astronomiques et bibliques de la Genèse sont les mêmes : la chaîne d’événements conduisant à l’homme a commencé soudainement et brusquement à un moment précis, dans un éclair de lumière et d’énergie.
(« Est-ce que les astronomes ont trouvé Dieu ? » – “Have Astronomers Found God?” The New York Times Magazine, 25 Juin 1978, p. 19.)
Si les histoires sur nos débuts ne sont pas si farfelues après tout, peut-être que celles sur notre fin ne sont pas forcément aussi improbables.
Le dimanche de Pâques est une fête, une célébration. Son seul intérêt et sa seule valeur pour nous est qu’elle implique, la Résurrection de Jésus, qui est la promesse de la nôtre. Nous savons que nous serons différents. Nous croyons également que nous serons littéralement nous-mêmes, avec notre propre nom, comme Jésus n’était pas un homme nouveau ou un Troisième homme, mais lui-même, Jésus. Toute autre croyance serait désespoir.
Et le jour de Pâques, le christianisme n’est pas une religion du désespoir.
Dimanche 21 avril 2019
(De son pamphlet « Voyage à travers le Carême » publié par la « Catholic Truth Society »)
*Image: La Résurrection par Benvenuto di Giovanni, 1491 [National Gallery, Washington, D.C., Etats-Unis]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/04/21/we-shall-be-different-and-ourselves/
James V. Schall, S.J. (1928 – 2019), qui a été professeur à l’université de Georgetown durant trente-cinq ans, était l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique.
Pour aller plus loin :
- SI LE LOUP PROTÈGE L’AGNEAU, ET AU-DELÀ
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- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- OBSERVATION : SCIENCE ET MIRACLE
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