Le Film de Clint Eastwood « Sully », sorti en 2016, raconte l’histoire de l’amerrissage d’urgence sur la rivière Hudson, en janvier 2009, du capitaine « Sully » Sullenberger, à bord d’un vol de l’US Airways dont les moteurs avaient perdu leur puissance suite à une collision avec un vol d’oiseaux peu après le décollage. Tous les 155 passagers et membres d’équipage ont survécu avec uniquement des blessures mineures. La majorité ont évacué sur les ailes de l’avion où des capitaines de ferry très réactifs et d’autres personnes des services de secours nautique de New-York les ont secourus du froid glacial.
Bien que le titre soit « Sully » et que le film se concentre surtout sur Sullenberger lui-même (joué par Tom Hanks), il est plus qu’une biographie servile. Il contient plusieurs importantes leçons et différents thèmes.
L’un des thèmes sur lequel le film revient fréquemment est la relation que les humains entretiennent avec leur technologie. Dans une scène révélatrice au début du film, Sullenberger et son co-pilote sont questionnés par les membres du Bureau National de la Sécurité des Transports. Il leur est dit que de nombreuses simulations sur ordinateur indiquent qu’ils auraient pu retourner à l’aéroport.
Skiles leur dit : « écoutez, je venais de finir mon entraînement sur l’A320, et je peux vous dire que la seule raison pour laquelle l’avion s’est comporté comme il l’a fait, de sorte que l’appareil pouvait se poser n’importe où, c’est parce que le capitaine Sullenberger a allumé le moteur auxiliaire. »
« Il ne faisait que suivre le QRH [le livret technique] » répond un membre du Bureau.
« Non, il ne suivait pas du tout la procédure recommandée » rétorque Skiles dans ce qui pourrait sembler un commentaire condamnant son capitaine. « Je le sais », poursuit-il, « parce que j’avais le livret en main. Il a allumé l’APU immédiatement après le rollback des moteurs.D’après Airbus, c’est la quinzième chose à faire sur la liste. La quinzième. S’il avait suivi cette damnée procédure, nous serions tous morts. »
Un autre lecture technique contient des données indiquant que le moteur gauche tournait toujours au ralenti et aurait eu la puissance de les tirer d’affaire. « Alors les données étaient erronées »leur dit Sully. « montrez-moi le moteur gauche, il se révélera hors service. » Quand l’avion est finalement repêché dans l’Hudson, l’ordinateur s’avère dans l’erreur. Suivre ses indications les aurait tous conduits à la mort.
Lorsqu’il lui a été demandé comment il « avait calculé tous les paramètres » quand il a décidé de faire un amerrissage forcé, Sully réplique : « il n’y avait pas le temps de calculer. J’ai dû me fier à mon expérience d’évaluation de l’altitude et de la vitesse, acquise durant les milliers de vols effectués en quatre décennies. » J’ai « fait à vue de nez » déclare-t-il aux membres stupéfaits du Bureau.
Les machines effectuent correctement beaucoup de choses. Elles calculent plus rapidement que les humains. Mais elles sont incapables de prendre une décision impliquant la vie ou la mort. Pour cela, vous avez besoin d’un homme, et généralement d’un qui soit exceptionnellement bien entraîné. Les machines peuvent aider les humains, mais c’est folie de croire qu’elles pourraient jamais remplacer le jugement humain.
Les machines sont, comme elles l’ont toujours été, juste aussi bonnes que les humains qui les utilisent. C’est quelque chose dont nous devons nous rappeler alors que nous entendons le chant des sirènes sur la voiture sans pilote. Seul un humain peut prendre la décision de risquer sa vie en accidentant sa voiture pour éviter l’enfant qui se précipite sur la rue.
Mon opinion est qu’il y aura deux sortes de passagers de voitures sans pilote. Ceux qui veulent une voiture éventuellement capable d’un accident sacrifiant les passagers et ceux qui veulent une voiture qui franchisse tous les obstacles plutôt que de risquer la sécurité des passagers. Vous-même, quel algorithme choisiriez-vous ? Nos machines ne sont pas meilleures que les humains qui les utilisent.
D’après l’écoute de l’enregistrement audio dans le cockpit lors de leur amerrissage d’urgence, lequel révèle à quel point miraculeux les deux pilotes étaient calmes et méthodiques, Sullenberger dit à son co-pilote : « je suis fichtrement fier de vous. Vous étiez à mes côtés, au milieu de toutes ces distractions. Avec tout ce qu’il y avait en jeu. Nous l’avons fait ensemble. Nous étions une équipe. » Comme les yeux de Skiles se remplissent de larmes, Sully dit simplement : « nous avons fait notre boulot ».
Quand ils reviennent à l’interrogatoire de la commission, une membre du bureau primitivement hostile félicite Sullenberger pour avoir été un rouage essentiel de l’équation qui a sauvé l’avion.
« Qu’on vous sorte de l’équation, lui dit-elle, et l’opération échoue ».
Ce n’était pas rien que moi » lui dit Sully. C’étaient nous tous. Jeff, Donna, Sheila, Doreen. Les passagers, les secouristes. Le contrôle aérien. Les équipages des ferrys et les plongeurs de la police. Nous l’avons fait. » Et c’est à ce moment que vous, le spectateur, prenez conscience que c’est cela l’histoire que Eastwood raconte depuis le début. Il a expertement montré comment tous les gens impliqués ont agi de concert et joué un rôle essentiel. Les ferry ont abordé habilement l’aile d’avion pour recueillir les passagers ; les plongeurs de la police ont sauvé ceux qui étaient dans l’eau et les membres d’équipage ont préparé les passagers. Ils ont tous « fait leur boulot ».
Quand nous pensons aux héros et à la sainteté, nous ne pensons souvent pas assez aux hommes et aux femmes qui font simplement leur travail, mais de façon excellente. Jour après jour, heure après heure, il y a des gens dont la vie et le bien-être dépend de nous, de nous effectuant bien notre travail, tout comme nos vies dépendent d’eux effectuant bien leur travail. Ceci est la base de toute communauté. C’est ce sur quoi est basées la civilisation. Pas sur un pouvoir militaire, ni sur de puissantes machines, ni sur le génie scientifique.Nos machines peuvent nous convaincre que ce n’est pas le cas, mais c’est une dangereuse illusion.
Dans une époque d’hyper-individualisme, nous ferions mieux d’apprendre les leçons de Sully. Nos vies sont interconnectées. Nos machines sont seulement aussi bonnes que ceux qui les utilisent et savent quand les ignorer. Et ce sont des héros. Ce sont des gens qui effectuent leur travail avec excellence – pas pour de l’argent, pas pour une promotion, par pour la gloire ou la notoriété, mais simplement parce que, comme l’a écrit le poète-chansonnier Bob Dylan, « il faut que vous rendiez service à quelqu’un ». Et il vaut mieux que ce ne soit pas une machine.
Randall B. Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston.
Illustration : le capitaine Chesley Sullenberger en 2010 [photo d’Andrew Theodorakis, pour le journal Daily News de New-York]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/10/24/we-did-our-job/
Pour aller plus loin :
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- Bernanos au Vatican
- Macron et le Pape avec Bernanos et Saint Martin
- Une recension de « The Mule » [« La Mule »] de Clint Eastwood
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies