Quand Ponce Pilate a demandé à Jésus (Jean 18:37-38) s’il était réellement roi, Jésus a répondu : « C’est toi qui dis que je suis roi, car je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
On a l’impression que Jésus « change de sujet ». Qu’est-ce que « rendre témoignage à la vérité » a à voir avec être roi ?
Platon a élaboré une théorie selon laquelle le seul espoir d’avoir un royaume bon et juste serait d’avoir un roi philosophe. Historiquement, les candidats à l’appellation de roi philosophe sont peu nombreux : Marc-Aurèle (121-180), empereur romain et philosophe stoïcien, qui n’a pas été particulièrement sympa avec les chrétiens (le martyr Justin est mort sous son règne) ; et Frédéric le Grand (roi de Prusse ; 1712-1786), qui était partial envers les Juifs et les catholiques.
Des rois ou des politiciens consacrés à la vérité seraient en tous cas bienvenus. Mais beaucoup voire la plupart d’entre eux seraient d’accord avec la réponse de Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? » – signe annonciateur de pragmatisme, d’éthique de situation et de politiquement correct. Pâles répliques de Machiavel.
Otto von Bismarck l’a très bien dit : « La politique est l’art du possible, du réalisable – l’art du meilleur second choix ». Donc beaucoup de politiciens et de diplomates se félicitent de leur discrétion, en divulguant juste assez de la vérité pour être élu ou pour garder leur poste ; et beaucoup de princes de l’Eglise pensent servir Dieu et les fidèles en minimisant l’importance de la doctrine en faveur d’ajustements « pastoraux ».
Mais le Christ-Roi, qui dit la vérité au pouvoir en place – particulièrement les vérités se rapportant au Royaume de Dieu, au Ciel et aux moyens d’y parvenir, au péché, à l’enfer – est, il faut le reconnaître, un modèle difficile à imiter. De nos jours, il en est même peu qui s’y essaient. Partout les chefs laïcs et ecclésiastiques ont du mal avec la vérité – que ce soit pour l’ignorer, la modifier, tenter de l’édulcorer ou tout simplement la dire et en accepter les conséquences.
Si c’est cela la vérité des « rois », que pouvons-nous dire des « reines » ? Nous catholiques appelons Marie notre Reine. Mais cela nécessite quelques explications. Elle était passablement silencieuse et (aux yeux du monde) quelconque, contrairement à tant de reines qui cherchent à se faire voir comme des figures nationales bienveillantes. Quand une femme dans la foule a un jour crié à Jésus : « béni soit le sein qui t’a porté ! » (Luc 11:27), jésus semble une fois de plus « changer de sujet » et déclare bénis « ceux qui gardent la parole de Dieu ».
Certainement, en raison de son Immaculée Conception, Marie devait être gratifiée de vertus et de dons hors de toute comparaison. Mais tout usage de ces dons durant la vie de Jésus doit avoir été privé et non public. Il semble que sa devise ait été celle de Jean-Baptiste : « il faut qu’Il croisse et que je diminue ».
C’est un paradoxe du christianisme que les souffrances deviennent la source de la plus grande gloire. Après sa résurrection, le corps renouvelé du Christ porte toujours la marque de ses blessures, et elle sont la source spéciale de Sa gloire, Son identifiant spirituel. C’est un signe annonciateur du fait que les souffrances exceptionnelles des saints sont signes d’une gloire particulière dans l’au-delà – pas seulement les blessures externes, décapitations, tortures et le reste mais également les souffrances internes – y compris les maladies et infirmités acceptées avec résignation à la volonté de Dieu.
Quelle était la souffrance remarquable de Marie ? Dans son cas, c’est en lien avec son Cœur Immaculé.
Lors de la Présentation de Jésus, Marie et Joseph ont amené dans le Temple l’enfant qui allait être le Sauveur qu’Israël attendait depuis des siècles, le Fils du Très-Haut décrit par Gabriel lors de l’Annonciation (Luc 1:32). Mais Siméon prophétise que cet enfant sera « un signe de contradiction », amenant la chute et le relèvement de beaucoup, et qu’une « épée » percerait l’âme de Marie.
Cette prophétie n’était que le commencement des souffrances de Marie. Cette « épée » n’est pas à prendre métaphoriquement. Alors que la science médicale nous apprend que le cœur peut vraiment être « brisé » par le chagrin, causant éventuellement la mort, cette tendre Mère qui apportait au monde l’espérance finale du salut et de la rédemption allait ressentir un tourment quasi intolérable à ces paroles – pas juste une courte impression d’immense chagrin, qui disparaîtrait avec le temps et les joies de la vie.
Elle a sans aucun doute enduré une peine immense, plus même que ceux qui souffrent et meurent d’un « cœur brisé ». Joseph et elle ont dû fuir en Egypte pour échapper à la tentative d’Hérode de massacrer le « Roi des Juifs » annoncé par prophétie.
Après leur retour de cet environnement inconnu, hostile et fortement païen, la vie domestique, probablement dans une famille élargie, à prendre soin du Fils de Dieu Incarné au milieu de « frères » incrédules (Jean 7:5) a été une redoutable mise à l’épreuve de la patience et de la foi de Marie.
Plus tard, la détresse de Marie, quand pendant trois jours elle a perdu la trace de Jésus âgé de douze ans avant de le retrouver dans le Temple doit lui avoir apporté une souffrance qui ne peut être comprise que par des parents qui ont eux-mêmes perdu un enfant et l’ont cherché dans la panique.
Enfin, aucune analogie à notre propre expérience ne peut nous aider à imaginer la souffrance de Marie lors du jugement et de la condamnation de son fils, le Roi des Juifs, torturé et exécuté par des personnes qui ne savaient pas ce qu’elles faisaient : un incompréhensible déicide.
Nous parlons de l’affliction de Marie quand elle assiste à la crucifixion, réclame le corps et ensevelit son fils mort. Mais affliction est un mot bien trop faible. Nul doute que sa peine, sachant que les gens rejetaient leur divin Sauveur, devait être équivalente à un cœur brisé, miraculeusement gardé en vie tout en expérimentant les affres de la mort. C’était là sa couronne de Reine.
Nous chrétiens, nous sommes attachés à un Roi qui a été victorieux, mais dont la gloire est manifestée dans des blessures souffertes pour révéler à l’humanité des vérités importunes ; et nous avons une Reine Vierge et Mère dont le Cœur Immaculé, autrefois écrasé par le poids d’une angoisse secrète et insupportable, est maintenant glorifié, avec le Roi, comme une source indéfectible de compassion et de miséricorde.
Et, ainsi que le vieux Siméon l’avait prédit, afin que les pensées de nombreux cœurs « soient révélées ».
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Howard Kainz, professeur émérite de philosophie à l’université de Marquette, est l’auteur de très nombreux livres et articles.
Illustration : « La présentation de Jésus au Temple » par Fra Angélico, vers 1440 | musée national de San Marco, Florence]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/02/04/our-king-and-queen/