Il y a quelques années le poète Dana Gioia publiait un texte sur « L’Écrivain catholique aujourd’hui ». Elle affirmait que la fiction catholique avait décliné depuis les beaux jours de Flannery O’Connor, Walter Percy et autres figures de premier plan, et que, bien que ce soit le groupe religieux le plus important du pays, la présence de catholiques dans les beaux-arts était presque inexistante. D’autres, comme Paul Elie, faisait entendre le même son de cloche, qualifiant la place contemporaine du roman religieux de « quelque chose entre une langue morte et une gueule de bois. » Tous n’étaient pas du même avis. Gregory Wolfe par exemple a soutenu que la fiction religieuse est vivante et en bonne santé si on veut bien laisser de côté la nostalgie rose-bonbon, et savoir où chercher.
Mais la discussion ne touchait qu’un secteur du monde littéraire. L’autre secteur qu’on peut estimer aussi important était celui de la littérature non-romanesque : histoire, critique, philosophie, commentaires et sciences, qui étaient tous des sujets d’une culture spécifiquement chrétienne pendant la période que Gioia identifiait comme un âge d’or de la fiction catholique. Si la fiction catholique reste une voix silencieuse, ténue, la littérature non-romanesque catholique est un soupir et cela devrait être également un motif d’inquiétude.
Pour les catholiques, la réalité est compréhensible par les voies de la raison, et tout sujet peut être étudié pour révéler des vérités éternelles sur la condition humaine. De plus, ces vérités peuvent être discutées dans un espace public ouvert et avec toute personne de bonne foi. Kevin Starr décrit comme cela fonctionne dans un utile pamphlet publié par les redoutables Wiseblood Books : The Lost World : American Catholic Non-Fiction at Midcentury [« Le Monde perdu : La littérature catholique non-romanesque en Amérique au milieu du siècle »].
Il y eut un temps où les catholiques étaient des figures influentes dans tout un éventail de genres et dans un monde laïc. De plus, au milieu du siècle, Starr, ancien bibliothécaire pour la Californie, soutient que « la plénitude de cette littérature non-romanesque a aidé à créer l’âge d’or des belles-lettres. »
Le déclin de la littérature non-romanesque a plusieurs raisons. La plupart des gens ne lisent plus beaucoup, sinon plus du tout. Ensuite, le libéralisme contemporain dédaigne toute idée forte de la vérité ou du bien commun. Même son ancien rempart, le langage des droits, est devenu aujourd’hui surtout une arme pour imposer un programme préféré, comme les récents débats sur la liberté religieuse le prouvent.
Votre race, orientation ou genre définissent maintenant vos principes : vos motifs deviennent plus importants que vos arguments. Dans ce monde les catholiques sont réduits à un simple groupe d’intérêt et ils ne peuvent, par exemple, se trouver énoncer des principes éthiques valables pour tous les gens de bonne foi – ou une perspective historique qui est fondée sur la foi tout en étant ouverte à tous. Peu ont échappé à ce piège de l’idéologie libérale.
Selon Starr, c’est au milieu du siècle que les catholiques américain ont pris pied assez solidement dans la nation pour devenir une présence culturelle de poids, mais avant le concile Vatican II. Il date le commencement de cette influence culturelle à la fin du XIXe siècle avec John Henry Newman, G.K.Chesterton et Hilaire Belloc qui furent également influents aux Etats-Unis. Les livres d’auteurs britanniques comme le père Vincent McNabb et Monseigneur Ronald Knox continuaient à avoir des ventes importantes dans la période d’après-guerre. Des catholiques de naissance comme l’inimitable Orestes Brownson ont aussi contribué à cette tradition.
Et tout au long des premières décennies du XXe siècle on vit se fonder des maisons d’éditions et des revues catholiques. Mais, ce qui est plus important, ces écrivains convainquirent des éditions laïques que des livres catholiques pouvaient se vendre. Ainsi en 1954 Doubleday lança Image, sa série de poche de classiques catholiques, chose aujourd’hui inimaginable. Voyez sa liste d’auteurs : Chesterton, Christopher Dawson et l’Introduction à la Vie dévote de saint François de Sales. Et comme le remarque Starr, les campus laïcs autorisaient beaucoup plus qu’auparavant le catholicisme à participer à la vie intellectuelle universitaire. Par exemple, le grand historien Carleton J. Hayes fut président de l’Association historique américaine en 1945 et un an plus tard reçut la Laetare Medal de Notre Dame (vous n’avez qu’à regarder les lauréats de cette année pour cette récompense pour voir combien la culture catholique a souffert dans l’entre temps).
Il est facile de surestimer la vigueur de cette culture et en décrivant sa variété je ne pense pas que Starr parle en faveur d’une sorte de retour à cette ère, chose qui n’est en tout cas pas possible. Il nous rappelle que cette période était à certains égards « un temps d’indécision et même de confusion théologiques, [mais] n’était pas dépourvue de niveaux multiples de commentaires, allant du populaire au profond, qui créaient un champ de forces où les romanciers et les poètes catholiques pouvaient absorber de leur environnement réel la couleur, le contexte, les profondeurs et les dissonances de l’expérience catholique américaine. »
Le rôle de Starr est d’abord plutôt celui d’un historien, ce dont on doit le féliciter car il nous rappelle cet aspect de la culture catholique. On peut penser que les catholiques des années 1940, 1950 et 1960 avaient devant eux des oeuvres non-romanesques de toutes sortes, y compris spirituelles, qui faisaient naturellement partie de l’être catholique, plus que celles des auteurs, aussi grands qu’ils soient, qui sont loués par Gioia et Elie.
Mais il y a une leçon contemporaine à tirer de l’ouvrage de Starr. Les catholiques doivent soutenir ceux qui engagent la culture dans une perspective de foi mais dans un langage ouvert à tous. Je pense à des écrivains comme le chroniqueur du New York Times Ross Douthat et des universitaires comme Robert George de Princeton. De plus , les catholiques doivent songer à enrichir d’autres formes culturelles – films, télévision, Internet – puisque c’est maintenant le monde où la plupart d’entre nous habitons plus pleinement que les livres et les revues que Starr décrit. Un moment culturel nouveau nous attend. Regarder en arrière nous aidera peut-être à aller de l’avant.
mercredi 13 avril 2016
Photo : Kevin Starr
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/04/13/our-once-and-future-catholic-culture/
Our Once and Future Catholic Culture