D’abord, définissons le terme. Si l’on écrit pour un public composé en majorité d’américains bien informés, comme c’est le cas dans cet espace, je crains qu’il puisse y avoir une confusion entre deux sortes de « treizièmistes ».
Aux Etats-Unis, si je ne me trompe, un treizièmiste est quelqu’un d’enthousiasmé par ce qu’aurait été le 13° Amendement de la constitution américaine, auquel il n’a manqué que le vote de deux États pour être ratifié dans les années 1810. Cet amendement était destiné à dépouiller de sa citoyenneté américaine toute personne ayant accepté un titre de noblesse d’un quelconque empereur, roi, prince ou pouvoir étranger.
Comme une autre disposition constitutionnelle empêchait le gouvernement américain de donner lui-même des titres nobiliaires, cet amendement aurait pu coûter à Betty Patterson, du Maryland, ses aspirations sociales. Elle avait épousé le petit frère de Napoléon Bonaparte, et était à l’époque en possession d’un fils qui, grâce à sa maman, avait la citoyenneté américaine. Betsy était déjà connue dans les médias contemporains comme la « duchesse de Baltimore » Les journalistes étaient facétieux mais apparemment, elle attendait un titre français pour son petit Jérôme.
Du point de vue des Britanniques, on pourrait me considérer comme un jacobite, mais je ne suis jamais monté aux barricades pour cela, et il y a peu de raisons que je le fasse pour feu Marie Patterson Bonaparte. Quand même, je tiens à prévenir tout Américain ayant un titre étranger qu’il n’y a pas de date limite pour qu’un amendement à la constitution américaine soit ratifié. N’importe quand, il pourrait se trouver dans la nécessité d’obtenir de l’empereur Obama un décret pour éviter la déportation. (Bonne nouvelle : avec l’augmentation du nombre des États du pays, l’amendement proposé aurait besoin pour passer du vote de 26 États.)
Mais moi, voilà, je ne suis pas ce type de « treizièmiste ». Bien au contraire. De ma tour d’ivoire canadienne, l’air de rien, je confère des titres aristocratiques à mes correspondants par courriel, même à ceux des États-Unis. Cela fait partie de ma croisade contre la populocratie, et la démagogie. catholique attentif, je suis bien disposé vis-à-vis de la hiérarchie.
Par contre, « treizièmiste » est un titre en soi, que m’a conféré quelqu’un au Texas. Ce titre veut suggérer que je suis quelqu’un qui appartient au treizième siècle. C’est un honneur américain qui me fait grand plaisir, et je regrette seulement que les lois physiques m’empêchent de me retirer dans mon château.
Cela nous mettrait évidemment au siècle de Thomas d’Aquin (1225–74), canonisé plus tard, et encore parfois d’actualité. Comme toujours, il y a des factions à l’intérieur, mais je crois que nous pouvons encore faire référence à un courant thomiste sous-jacent dont les membres se reconnaissent secrètement entre eux. Sous le signe de la Croix, (en opposition au dollar) nous continuons à comploter pour la restauration de la chrétienté.
Pas plus tard qu’hier, j’ai appris la progression de nos agents en Chine. Selon William Caroll, de Blackfriars Hall, notre Thomas jouit d’un modeste engouement parmi les étudiants de nombreux et importants campus universitaires chinois.
Curieusement, Ils sont attirés par Thomas d’Aquin et le sont depuis longtemps, d’une manière confucéenne. La grande force du royaume de Chine, depuis plus de deux millénaires, a été la profonde vision intérieure de la morale et de l’ordre rationnel de la société, à la lumière de l’enseignement premier de Confucius. Cet enseignement est à l’origine ou en soubassement des réussites culturelles les plus extraordinaires, dont certaines font honte à l’occident. Les tous premiers visiteurs jésuites étaient eux-mêmes en admiration devant les accomplissements de la civilisation chinoise.
Ce qui leur paraissait la faiblesse de la Chine, était l’impossibilité d’ancrer cet ordre moral dans une explication rationnelle et cohérente du lien entre Dieu et l’homme — en fait, l’absence d’une théologie naturelle convaincante. Cet état de choses faisait que l’esprit des chinois était la proie, d’une part de superstitions cultuelles, et d’autre part d’un légalisme totalitaire. (Christophe Dawson en donne une scintillante vue d’ensemble dans ses conférences à Gifford en 1947, Religion et Culture.)
Confucius lui-même a reconnu le caractère transcendant d’un ordre sacré, qui domine l’ordre humain. Il reconnaît sans détours la priorité du « Ciel ». Mais il ne va pas jusqu’à analyser la nature de cette autorité divine, dans sa relation à l’autorité sur terre. Compte tenu des limites humaines, il présente le sujet des « questions finales » de façon très modeste.
Pourtant les penseurs chinois au cours des siècles, ont été avides de faire cette connexion, et la fascination que de nos jours Saint Thomas exerce sur eux a été préfigurée par la fascination qu’ils avaient pour les missionnaires jésuites thomistes — eux-mêmes d’une grande civilisation — qu’ils avaient accueillis aux siècles précédents.
Des incompréhensions culturelles des deux côtés ont conduit la première tentative de relation à l’échec, mais elle a permis d’assister à une grandiose rencontre des esprits, dans laquelle les européens et les chinois avaient tellement à apprendre les uns des autres. Et dans les conditions présentes, (qui incluent le fait que la chrétienté s’étend comme un feu de brousse dans le domaine chinois) la fascination qu’exerce Saint Thomas est revivifiée : et cette fois, sans ambigüité, du côté chinois.
Après s’être d’abord tournés vers le « comment » désinvolte de la vénération du dollar, ils commencent à chercher ce qu’il y a sous notre placage bon marché de consumérisme dégénéré – dans lequel, la richesse, le confort et la sécurité matérielle sont les seules choses qui ont vraiment de l’importance pour nous. En allant plus profond, ils trouvent dans l’occident « treizièmiste » quelque chose d’infiniment supérieur à l’occident actuel que ce soit au niveau moral, intellectuel ou spirituel.
Je crois qu’ici, il se passe plus ou moins la même chose invisiblement, sous la surface. C’est certain, nous voyons flotter sur cette surface les manifestations de cette faim spirituelle qui s’exprime de façons très différentes, et parfois complètement folles. Le vieux et sinistre « gnosticisme », intellectuellement nul, est certainement bien vivant dans le chaos de notre temps.
Mais à un niveau plus profond, la « nostalgie » est pour l’ordre. Et je ne parle pas du régime autoritaire imposé par des voyous, mais un ordre serein qui saurait distinguer le beau du laid, le bien du mal, la vérité du mensonge.- tout en donnant une explication cohérente de soi.
Et c’est là qu’entrent en scène mes camarades d’un « treizièmisme » sous-jacent. Nous savons où est enfoui le trésor de la vraie raison, et dans l’obscurité, nous le déterrons.
Traduction de Notes From an Underground Thirteenther
Illustration : Les frères Polo donnent une lettre de Koubilaï Khan au pape Grégoire X (1271).
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
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- SUR L’ÉMINENTE DIGNITÉ DE CERTAINES « DÉPENSES INUTILES »
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE