Au début du « Sermon sur la montagne », alors qu’il vient de proclamer les béatitudes et qu’il s’apprête à donner l’interprétation définitive de la loi juive – la Torah en hébreu –, le Christ ramasse dans une formule frappante la signification générale de son propos et de son action : « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17).
De prime abord, cette formule peut paraître étonnante. Jésus n’est-il pas celui qui passe son temps à relativiser l’importance de la loi ? Ne dit-il pas que le shabbat est fait pour l’homme, pas l’homme pour le shabbat (Mc 2, 23) ; que les prescriptions alimentaires n’ont pas vraiment d’importance, attendu que ce qui souille l’homme n’est pas ce qui entre dans sa bouche, mais ce qui en sort (Mt 15, 11) ; que la loi du talion doit être abandonnée au profit de la loi de la miséricorde (Mt 5, 38) ; que le divorce et la répudiation sont de vieilles tolérances désormais intolérables (Mt 19, 1-8) ? Dès lors, pourquoi dire qu’il vient accomplir la loi ?
« Le fruit n’abolit pas la fleur »
Tout dépend de ce que l’on entend par « accomplir ». Il est clair que si l’on entend par là le fait de se conformer platement à la loi prise à la lettre, Jésus n’est pas venu pour accomplir. Mais si l’on entend par accomplir le fait de porter une chose à sa perfection, alors le Messie est venu pour accomplir la loi de Moïse. Et la phrase que nous commentons a précisément pour but de détromper ceux qui prendraient ce perfectionnement pour une abolition, un reniement, une trahison. Tout se passe comme si Jésus disait : « Le fruit n’abolit pas la fleur, mais l’accomplit. » De même, nous sommes conduits à comprendre que la Bonne Nouvelle de Jésus Christ n’abolit pas le judaïsme, mais l’accomplit, le perfectionne, le conduit à sa fructification.
Voyons maintenant les choses d’un peu plus près. On distingue traditionnellement trois parties dans la loi de Moïse : la loi morale, la loi cérémonielle et la loi judiciaire ; autrement dit, et pour aller vite : les Dix commandements, les prescriptions rituelles du culte et le droit pénal applicable par les tribunaux de l’ancien Israël.
S’agissant de la loi morale – qui est très proche de ce que les philosophes grecs nomment la loi naturelle –, l’accomplissement évangélique ne consiste pas à en modifier les termes, mais à en révéler la source profonde : les commandements divins, en effet, ne découlent pas de la volonté arbitraire de Dieu mais de son amour pour les hommes.
Le Christ institue « l’offrande pure » : le sacrifice de son corps
S’il ne faut pas mentir, pas voler, par convoiter, etc., ce n’est pas seulement parce que Dieu l’a dit et parce qu’on doit lui obéir sans comprendre ; c’est parce que ce sont des conditions nécessaires d’une relation de charité entre les hommes. Saint Paul résume le tout en une formule géniale : « La plénitude de la loi, c’est l’amour » (Rm 13, 8). Quand on aime en vérité, la loi morale coule de source : « Toute la loi, disait saint Paul, est accomplie dans l’unique parole que voici : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” » (Ga 5, 14).