Non à l'acharnement thérapeutique... - France Catholique
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Non à l’acharnement thérapeutique…

Xavier Mirabel, cancérologue, est président de l’Alliance pour les Droits de la Vie et coordinateur médical du site www.sosfindevie.org ouvert pour venir en aide aux personnes confrontées aux épreuves de la fin de vie. Il est connu pour avoir été, en tant que père d’une petite fille trisomique, porte-parole du Collectif contre l’handiphobie à l’époque de l’affaire Perruche. Sa fonction de président de l’Alliance le conduit à rencontrer régulièrement les responsables politiques et les journalistes. Auditionné en 2004 à ce titre par la Mission d’information parlementaire sur l’accompagnement de la fin de la vie, du député Jean Leonetti, Xavier Mirabel a participé au livre collectif international : « Euthanasie : les enjeux du débat » (Presses de la Renaissance, 2005, chapitre « Le choix du traitement à l’approche de la mort, entre abandon et acharnement thérapeutique »). Il est l’auteur de nombre d’articles sur ce sujet, notamment « Le recours à l’euthanasie n’est jamais une fatalité », « La douleur, énigme ou mystère » qui reprend une intervention à l’Unesco lors d’un colloque organisé en 2004 par l’observateur permanent du Saint-Siège et, plus récemment « Faire mourir de faim et de soif : l’euthanasie à la française ? » (publié par la revue Liberté politique en décembre 2007).
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Docteur Xavier Mirabel, est-ce que le débat sur l’euthanasie tourne mal ?

Il tourne mal dans le sens où, justement, il n’y a pas vraiment de débat. Nous sommes confrontés à une intoxication de l’opinion. On sent que le grand public se laisserait bien prendre par ce discours et perdrait contact avec la réalité.

C’est-à-dire ?

On en vient à souhaiter la mort de celui qui souffre parce qu’on pense que c’est inéluctable et qu’il n’y a plus de moyen de soulager. C’est une régression, un aveuglement. Ce qui me préoccupe le plus, c’est que beaucoup de personnes se désespèrent en se convainquant qu’il n’y a plus rien à faire pour les « mourants ». Souhaiter la mort d’autrui, voire lui administrer, est une tentation. C’est une réponse tellement plus simple que la réponse aux vrais besoins d’une personne gravement malade. Car ces besoins peuvent être particulièrement exigeants.

Pensez-vous finalement que c’est la solution de facilité qui va l’emporter ?

Pas si sûr, car si la solution de facilité devait l’emporter, cela aurait eu lieu depuis longtemps. Je pense que si nous n’avons pas encore l’euthanasie, c’est qu’il y a encore dans notre pays un nombre immense de soignants qui s’engagent au quotidien auprès de ceux qui sont malades, et aussi un grand nombre de familles qui, même si elles ont vécu des choses difficiles avec la maladie et la mort, ne cèdent pas à la tentation de l’euthanasie. Finalement, toute cette expérience nous protège. C’est une tradition incarnée. Le « bon sens » terrien est du côté de la vie.

Est-ce à dire que l’euthanasie relève toujours d’une posture idéologique ?

Sans aucun doute, derrière l’euthanasie, il y a une vision de l’homme, de la maladie, de la souffrance et de la mort qui est idéologique. Et cette idéologie est séduisante quand les per­sonnes ne connaissent pas la réalité des faits. Il y a sur cette idéologie un verni de compassion qui la rend attrayante. Mais c’est une fausse compassion comme l’expliquait si bien Jean-Paul II.

Est-ce qu’on ne peut pas vous accuser d’avoir, vous aussi, dans ce débat, une posture idéologique ?

Certes, il y a toujours un risque que nous ayons des postures idéologiques si nous nous éloignons de la réalité de ce qu’endurent concrètement les personnes que nous soignons et accompagnons. On nous en accuse d’ailleurs, et il n’est pas toujours facile de s’en défendre. En affirmant que la vie fragile mérite d’être respectée je passe inévitablement pour un idéologue aux yeux de cer­taines personnes qui sont persuadées qu’il y a des gens malades, handicapés, voire « inutiles » qui ne doivent plus vivre. Malheureusement des Français n’arrivent plus à croire que ce que disent encore la plupart des soignants sur le sens de leur métier puisse être vrai. Il y a comme une suspicion de mensonge, comme si la médecine nous manipulait depuis des siècles.

Alors comment rétablir la vérité ?

D’abord en dénonçant les mensonges comme ceux de l’affaire Sébire, avec détermination et courage, même si on risque de nous en tenir rigueur. Ensuite – je dirais même surtout – en répétant à temps et à contretemps, à l’aide des témoignages des personnes qui vivent auprès de ceux qui sont en fin de vie, qu’il y a toujours quelque chose à faire. On ne peut jamais désespérer de soigner, de prendre soin, même si on ne peut plus guérir.

Vous lancez une campagne en direction des parlementaires, dans quel but ?

Notre premier objectif, c’est justement de contrer l’intense lobbying de ceux qui usent et abusent des situations dramatiques pour tenter de manipuler la représentation nationale. Notre deuxième objectif, c’est de réclamer davantage de moyens et d’information pour les soins palliatifs. C’est toujours utile de montrer à nos élus qu’il y a des personnes dans notre société qui sont sen­sibles à la vie des plus fragiles. C’est un message qui peut être partagé et reçu très au-delà des divers clivages de la classe politique.

Plus précisément, pouvez-vous nous expliquer le sens de votre slogan « Non à l’acharnement thérapeutique, non à l’euthanasie, oui aux soins palliatifs » ?

Ce que nous demandons au travers de ces mots, c’est un équilibre raisonnable autour de la personne souffrante. Il s’agit de se garder de toute tentation de toute puissance qui peut entraîner soit vers l’acharnement thérapeutique, soit vers l’euthanasie. Ce sont les deux conséquences de cette unique tentation, alors que les soins palliatifs incarnent la médecine raisonnable et prudente dont nous souhaitons tous bénéficier, dans nos derniers moments, mais pas seulement d’ailleurs. Trop de Français croient que, pour échapper à l’acharnement thérapeutique il faut accepter l’euthanasie. C’est complètement faux. Les élus ont besoin de voir que nous sommes nombreux à ne pas être dupes de ce choix truqué.
Je voudrais d’ailleurs ajouter que la plupart des soignants sont appelés à se reconnaître dans cet esprit, cette « culture » des soins palliatifs. C’est une des expressions de la médecine raisonnable qui concerne tous les praticiens, tous les soignants. L’Église utilise l’expression « médecine proportionnée » qui nous aide bien à orienter nos actes médicaux dans le sens de la sagesse, et de la pondération.

Votre action n’arrive-t-elle pas beaucoup trop tard, puisque l’opinion publique s’exprime, dans de nombreux sondages, très régulièrement en faveur de l’eutha­nasie ?

Elle dit la même chose pour la peine de mort en certains cas, et, pourtant, les élus ne vont pas dans ce sens. C’est leur responsabilité d’agir pour le bien commun, sans céder à l’émotion qui peut être trompeuse. Notre action intervient dans un moment choisi : l’émotion de l’affaire Sébire, qui interdisait le débat, est un peu retombée. Et c’est en ce moment que se déroulent les auditions d’évaluation de la loi Leonetti.

J’avais été auditionné à l’Assemblée nationale par la mission sur la fin de vie qu’il avait conduite en 2004. J’ai à nouveau demandé, avec le professeur Olivier Jonquet, à être auditionné, en faisant valoir l’expérience de SOS fin de vie. C’est aujourd’hui que les députés et sénateurs doivent mesurer la mobilisation de ceux qui refusent l’euthanasie. Ce faisant, nous confirmons l’intuition de la plupart des parlementaires. Ils ont conscience du risque qu’il y aurait à casser le système soignant en y introduisant l’eutha­nasie. Ils savent aussi qu’on ne légifère pas « sous le coup de l’émotion » et tous les quatre matins. Il faut d’abord appliquer et évaluer les lois exis­tantes. Ceci dit, si personne ne les conforte dans ces convictions, ils risquent de céder à ceux qui crient le plus fort.


Que diriez-vous à nos lecteurs qui sont peut-être d’accord avec vous en théorie, mais qui ont parfois des raisons personnelles de douter de la capacité de la médecine à vraiment accompagner, sans s’acharner sur le patient ni l’abandonner ?

Je sais bien que nous sommes marqués par nos expériences parfois douloureuses, voire scandaleuses à propos de la souffrance et de la mort. Je pense à ceux d’entre nous qui ont le sentiment qu’un proche a été mal soigné, mal accompagné, mal respecté et qui en ont tiré des conclusions pessimistes vis-à-vis du monde hospitalier. Mais il faut faire attention à ne pas tirer de tel ou tel dysfonctionnement ou injustice des conclusions erronées.
Pour répondre à votre question à propos des lecteurs qui « douteraient », je crois que, dans des situations concrètes, il faut qu’ils aillent à la rencontre des soignants pour en parler en vérité. À SOS fin de vie, nous recevons de nombreux appels de familles et de soignants. Bien souvent le conseil que nous allons leur donner et qui sera le plus utile, c’est de se parler entre soignants, soignés et familles, d’aborder en vérité les questions légitimes qu’ils se posent. Parfois, nous les aidons à formuler ces questions, mais c’est dans ces rencontres que l’apaisement sera le plus souvent trouvé, soit parce qu’on aura expliqué et rassuré sur la signification des soins ou des plaintes, soit parce qu’on aura aidé les soignants à trouver une posture plus équilibrée, plus humaine.


Vous ne niez donc pas qu’il y ait encore des situations d’acharnement thérapeutique ?

Nous seulement je ne le nie pas, mais nous essayons justement d’alerter contre les deux risques d’une médecine qui oublie ses limites. C’est le sens de la « Charte des droits des personnes en fin de vie » que nous avons éditée et diffusons (voir encadré). Car il faut faire attention à ce que la peur de l’acharnement thérapeutique ne nous jette pas dans les bras de l’euthanasie. C’est bien la tactique de l’ADMD (ndlr : association pour le droit de mourir dans la dignité, qui promeut la légalisation de l’euthanasie) de surfer sur cette peur naturelle pour promouvoir l’euthanasie, qui serait, à l’entendre, le seul moyen de nous libérer du pouvoir médical. Comme si donner aux médecins le pouvoir exorbitant de provoquer la mort d’autrui pouvait être libérateur !
Comment jugez-vous, à ce titre, les dispositions législatives en vigueur (loi sur le droit des ma­lades et loi fin de vie). Sont-elles, selon votre expression, « équilibrées » ?

Je pense qu’elles sont équilibrées car elles réaffirment la nécessité des soins palliatifs, celle du soulagement de la douleur, le devoir du médecin de s’abstenir de soins disproportionnés et l’interdit du meurtre. Toutefois, elles ne sont sans doute pas parfaites : nous avons étudié et dénoncé avec précision leurs limites et nous agissons pour qu’elles soient appliquées sans que ces failles les fassent dévier vers certaines formes d’euthanasie. Il s’agit essentiellement de l’assimilation abusive de l’alimentation et de l’hydratation à des traitements, qui conduit à légitimer qu’on les interrompe, ce qui peut avoir une dimension euthanasique. L’ADMD s’est engouffrée dans cette faille et clame qu’on n’a aujourd’hui que la possibilité de mourir de faim. C’est l’étape que le lobby de l’euthanasie avait prévue pour réclamer la piqûre létale, présentée comme « plus douce ». Mais à la question « Faut-il changer ces lois ? » je répondrai certainement non ! Dans le contexte actuel, accepter de modifier ces textes, c’est aller inéluctablement vers une fragilisation croissante de l’interdit du meurtre…

Mais n’est-ce pas la voie qui se profile avec la notion d’exception d’euthanasie ?

Clairement, la notion d’exception d’euthanasie est, pour nous, inacceptable. Car il ne peut y avoir d’exception, prévue par la loi, autorisant par avance un médecin à donner la mort. Ce serait entrer dans un engrenage extrêmement périlleux, dont nous savons par avance les conséquences en cascade. Il est indispensable, dans les situations où des médecins poseraient des actes dis­cutables, qu’ils soient présentés devant la justice. Ces dérapages, si dérapage il y a, ne devraient jamais être cautionnés par les juges. Toutefois, les situations particulières devront toujours être regardées en prenant en compte l’extrême difficulté dans laquelle se trouvent parfois certains soignants.

Quelles difficultés ?

Autant la médecine peut faire beaucoup pour soulager la souffrance, autant elle ne peut pas la faire disparaître. Tous les soignants croisent ces situations de souffrance (morales et, plus rarement, physiques) qui leur paraissent insurmon­tables. Dans ces moments, il n’y a que des ressorts intérieurs qui peuvent aider.

Ma technique étant devenue inutile, ou du moins imparfaite, il n’y a plus que mon humanité qui peut aider. Si on ne reconnaît pas l’importance de cette humanité, à ces moments-là, on va tout droit vers l’euthanasie.

Vous pensez à Chantal Sébire ?

Oui, bien sûr, entre autre. Le premier souvenir que cela évoque chez moi, c’est que la première fois que j’ai vu son visage, il m’a paru terrible, puis, à force de le voir et revoir, il est devenu moins insoutenable pour notre regard, et nous vient l’envie de l’aider et de la rencontrer, en lui proposant autre chose que ce qu’elle dit être la seule solution. Son histoire nous révèle bien qu’il y a des choses qui dépassent la technique médicale. C’est très important de découvrir que la compassion véritable vient souvent après une forme de fuite, de rejet, qui est une première réaction très naturelle. Il serait donc bien triste de s’y arrêter. J’ai eu le même sentiment en étant confronté à Marie Humbert sur le plateau de France 5 : j’aurais aimé une discussion en tête à tête pour comprendre ce qui avait pu se passer et sortir de ses justifications finalement très idéologiques.

Mais qu’auriez-vous aimé dire à Chantal Sébire, ou peut-être entendre d’elle ?

Je ne pourrais pas vous l’exprimer parce que les paroles qu’on peut dire dans ces moments-là ne se trouvent que dans la grâce de la rencontre. Je n’aurais d’ailleurs pas grand-chose à lui dire, mais plutôt à entendre et écouter sa détresse et peut-être y répondre. Comme soignant, j’aurais aimé discuter avec elle de ce qu’on aurait pu faire pour mieux la soulager. Et si j’avais été un membre de sa famille, j’aurais sans-doute aimé lui dire combien sa présence parmi nous était précieuse et combien nous aurions aimé apaiser sa souffrance. Et, là aussi, j’aurais vraiment aimé comprendre. Parce que, dans le fond, la raison profonde de sa détresse ne nous a pas été dite.
Derrière ce qu’on a entendu, il y a un refus de la médecine, il y a une colère aussi chez cette patiente, mais cela révèle quelque chose de sous-jacent qu’on ne peut prendre en compte que si elle accepte de nous le dire, ce qui suppose qu’on l’aide à le confier. Dans l’issue fatale de son drame, il y a un enfermement personnel (qu’ont d’ailleurs révélé ses proches), une manipulation de cet enfermement par quelques-uns, et, finalement, un échec collectif qui me consterne.

Maintenant qu’elle n’est plus là, c’est aux élus que vous voulez parler d’elle ?

Je voudrais que les élus tirent les bonnes conclusions de cette histoire. À mon avis, le vrai message que nous transmet Chantal Sébire n’est pas qu’il faut en tuer d’autres, en légalisant l’euthanasie, mais plutôt que nous n’avons pas su trouver les mots pour l’aider. Ou peut-être qu’elle n’a pas voulu ou pu les entendre. C’est donc plus une question de parole et de communication que de médicaments. Cette faiblesse de notre société mérite qu’on travaille pour que ceux qui vivent de telles détresses soient mieux aidés, mieux informés, mieux soulagés. Il faut qu’on agisse très concrètement pour que les personnes aient une idée juste de ce qu’il est possible de proposer, plutôt que d’être noyés dans les peurs, la culpabilité et les idées fausses (notamment sur les soins antidouleur que Chantal Sébire assimilait à du « poison », et les soins palliatifs qu’elle confondait avec des « mouroirs »). Je me rends bien compte que, derrière la question de l’euthanasie, chacun est aussi interrogé sur sa capacité à s’engager, notamment autour de ses proches, quand ils sont malades ou en fin de vie. Derrière ces débats qu’on dit de société, il y a une question cruciale, posée à tous et à chacun : « Es-tu prêt à traverser la route et t’approcher de celui qui est blessé, seul, sur le bord du chemin ? »