Noël franciscain en Terre Sainte - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Noël franciscain en Terre Sainte

Tous les ans à Noël les regards convergent vers Bethléem, la ville de la Nativité. Les Franciscains assument la garde des lieux saints et notamment de la basilique de la Nativité. C'est pourquoi nous avons rencontré le frère Stéphane Milovitch, secrétaire custodial. En cette année où l'on fête les 800 ans de la fondation de l'ordre de saint François, il s'exprime sur la présence des Franciscains en Terre Sainte et sur toutes les dimensions de leur mission.
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Frère Stéphane, comment caractérisez-vous l’esprit de saint François ?

Par un mot : dialogue. Celui-ci est très à la mode aujourd’hui en Occident, dans l’Église également, avec Vatican II. Mais à l’époque des Croisés et des épées, c’était un peu moins évident. Saint François est arrivé en Terre Sainte en 1217 dans un bateau de Croisés mais avec un esprit de dialogue et de tolérance. Fondamentalement, il s’agissait de rencontrer l’autre. C’était de la folie de la part des Latins de revenir dans ce pays où les chrétiens étaient perçus comme des barbares, des ennemis. Mais la population musulmane accepte cette petite communauté de cinq ou six frères franciscains, venus dans un esprit nouveau. Les Arabes les appellent les « frères de la corde ».

Surprise : François parvient à rencontrer le sultan et il instaure un véritable dialogue avec lui ! Le sultan se laisse séduire par ce petit bonhomme qui est venu à lui sans arme. Il va même lui donner un laissez-passer pour qu’il puisse voyager librement.

François change complètement la donne avec les musulmans. Ainsi les frères vont pouvoir commencer à racheter les ruines de la chrétienté locale pour après y édifier quelques églises. Tout cela prend du temps. Par exemple, à Nazareth, entre le moment où les frères arrivent et la construction de l’église, il s’écoule un siècle. Les frères vivaient au jour le jour et ne savaient pas s’ils réussiraient.
Aujourd’hui les chrétiens peuvent se rendre de sanctuaire en sanctuaire. C’est grâce à la ténacité, aux bonnes relations entretenues avec les maîtres des lieux. Cela représente bien des litres de thé bus ensemble.

En huit siècles comment s’est manifestée la fidélité des disciples aux fondateurs en Terre Sainte ?

Il faut toujours être inventif dans ce pays pour maintenir l’esprit de dialogue. Au cours des siècles les frères ont bâti des écoles par exemple. Il existe aujourd’hui quatorze écoles franciscaines dans tout le pays. Avant que l’État d’Israël ne s’établisse, on y comptait même des enfants juifs. Aujourd’hui c’est mélangé entre chrétiens et musulmans. À Jérusalem, les élèves sont majoritairement chrétiens et à Saint-Jean d’Acre majoritairement musulmans. Les frères ont appris aux élèves divers métiers à travers les siècles.

Aujourd’hui nous sommes à un moment crucial : il faut savoir tourner la page, avoir de nouvelles initiatives. À Saint-Sauveur – couvent qui est siège de la Custodie dans la Vieille Ville de Jérusalem – nous sommes entre la ville israélienne et la ville arabe. Nous n’avons pas fait exprès d’être à cette place stratégique mais nous nous devons de faire le pont. Nous avons créé dans notre couvent une école de musique où Arabes et Juifs se rencontrent. De plus, cette école de musique participe à la célébration de la liturgie.

Il faut aider à une connaissance réciproque. Ce pays est trop divisé. Même au sein de la population palestinienne, entre chrétiens et musulmans, il y a méconnaissance. Ce pays est plein de murs. Donc toutes les fois où l’on peut faire tomber un mur ou même une pierre, on le fait.

A l’heure du sommet de Copenhague, je pense au Cantique des créatures qui fait de François, d’une certaine manière le saint patron des écologistes. Que signifie pour vous être fidèle à Dame Pauvreté et au Cantique des créatures ?

Saint François est très bien perçu ici, par les chrétiens, par les musulmans mais aussi par les juifs et par tout le monde. Peut-être aussi à cause de sa dimension « écologiste » comme vous dites ? L’ambassade d’Italie en Israël a organisé trois jours de fête en son honneur cette année. Et les Israéliens sont venus nombreux participer aux conférences qui étaient proposées.
Être fidèle à Dame pauvreté, c’est fondamental, mais vécu différemment selon l’endroit où l’on se trouve, le continent où l’on habite. L’esprit de dépouillement des franciscains en Terre Sainte est un problème complexe. L’ordre franciscain est pleinement dans l’Église, mais il a un caractère prophétique par rapport à l’Église hiérarchique. Les franciscains ne sont pas là pour être en marge de l’institution ecclésiale. C’est eux qui l’ont créée en Terre Sainte peut-être. Dans ces conditions, il y a plus de difficultés à être prophètes : nous sommes l’institution.

Aujourd’hui, il y a aussi le patriarcat latin. Cela ne nous empêche pas d’être une structure importante, reconnue par l’État. Le frère franciscain doit donc vivre pauvrement, mais son ordre gère un patrimoine énorme. Ce sont des biens de l’Église universelle, mais c’est nous qui les gérons. Avec saint François la pauvreté est personnelle, elle est aussi communautaire. Juridiquement, les biens appartiennent au Vatican. Mais il faut comprendre que nous sommes ici depuis sept siècles, bien avant la fondation de l’État d’Israël. Cet État se conforme à la coutume et nous reconnaît comme gardiens de ces lieux. Il y a des liens normaux avec l’État d’Israël, qui est par exemple garant de facto de la sécurité du Saint-Sépulcre. Il y a une mission de sécurité à assurer pour l’organisation du tourisme, les visites officielles des chefs d’État qui viennent ici régulièrement.

Par ailleurs ici, nous sommes face à une grande pauvreté. Il s’agit d’une pauvreté subie, avec des gens qui vivent vraiment dans la misère. Il nous faut faire face. Nous sommes obligés de sauver les meubles, en construisant des structures, des écoles. C’est une façon de vivre notre spiritualité de la pauvreté.

La custodie possède à peu près 800 appartements à Jérusalem. C’est un paradoxe pour nous qui devons vivre dans l’esprit de Dame pauvreté. Mais nous devons aider ceux qui nous entourent, comme une ONG. On a construit la première salle de sport aux normes internationales en Palestine par exemple. C’est important de ne pas être là seulement pour l’apostolat mais d’être solidaire au niveau social car les chrétiens du pays sont démunis. La situation est délicate : nous ne pouvons pas vendre ces appartements aux chrétiens. Sinon avec la plus-value qu’ils réaliseraient ils pourraient partir vivre à l’étranger. Or nous, nous devons les aider à rester ici.

On parle d’un renouveau de l’ordre franciscain…

Il y a des pays où nous sommes en plein essor. En Terre Sainte, nous avons quatre ou cinq novices chaque année. Nous sommes 80 frères à Saint-Sauveur mais il y a plusieurs communautés où l’on manque de frères. Il y a un énorme travail dans ce pays, au niveau de l’apostolat, de l’accueil des pèlerins, dans les sanctuaires, à l’université biblique de la Flagellation. Ainsi nous organisons des marches franciscaines avec les jeunes en Syrie, au Liban, ici… Les activités ne manquent pas. J’ajoute que, depuis au moins 1948, il y a les Juifs à prendre en compte. Une paroisse franciscaine d’expression hébraïque a été créée. Il est très important d’être ouvert aux deux communautés.

N’oublions pas qu’il y a aussi ici beaucoup de chrétiens du tiers-monde : des Africains, des Indiens, sans oublier les Philippins. Ils sont venus depuis la construction du mur car les Palestiniens ne peuvent plus travailler en Israël. À Tel Aviv, il y a des milliers de chrétiens du tiers-monde. Ils n’intéressent pas grand monde alors qu’ils sont les chrétiens les plus nombreux dans le pays.

Les Occidentaux ont tendance à ne voir que nos liens avec les pèlerins. Dans les sanctuaires, on fait mémoire des événements de l’histoire du Salut. Et nous sommes au service de tous ceux qui viennent de loin. Mais n’oublions pas que les lieux saints constituent aussi les paroisses des chrétiens locaux. Il y a des liturgies en arabe, des mariages, de la catéchèse, une aide pour les chrétiens (ils ne sont que 2% de la population). Nous sommes à la fois en charge d’un patrimoine qui appartient aux chrétiens d’ici et à l’Église universelle.

Comment s’organise le partage des lieux saints chrétiens ? À Capharnaüm, l’église orthodoxe est à côté du sanctuaire. En ce qui concerne Jérusalem, les protestants sont carrément en dehors de la Vieille Ville. Les catholiques semblent plutôt bien lotis. Cela n’attise-t-il pas les jalousies ?

Au premier millénaire, même si on savait que Jésus était vrai Dieu et vrai homme, on s’intéressait davantage à la divinité du Christ, au Christ Pantocrator. Avec le Moyen Âge on va s’intéresser au Christ dans son humanité, d’où l’intérêt pour la Terre Sainte. On va vouloir retrouver les lieux où le Christ a vécu sa vie humaine, le climat des Évangiles. À Bethléem, on retrouve le Christ né dans la crèche, à la Via dolorosa on retrouve le Christ de la Passion. Les dévotions du Moyen Âge se rapportent à l’humanité du Christ. C’est pourquoi saint François va promouvoir le culte de Noël avec la crèche. De plus en plus l’art va représenter Jésus dans toutes les scènes de son existence. La dévotion du rosaire se rapporte directement à tous les épisodes de la vie du Christ.

Les Orientaux sont moins intéressés par les sanctuaires eux-mêmes. Ils sont plus présents dans les monastères du désert. C’est ainsi qu’on saisit les différences entre chrétiens d’Orient et d’Occident, avec la coupure du premier millénaire. Néanmoins, les Orientaux sont à Bethléem et au Saint-Sépulcre. Quant aux protestants, ils sont arrivés après que le Statu Quo avait figé la situation des lieux saints, ils ont en effet créé leur Garden Tomb en dehors de la Vieille Ville.

À propos du Saint-Sépulcre, je tiens à dire que ce n’est pas la pagaille ! Toutes les communautés y sont présentes, elles y vivent ensemble au quotidien. Cela ne ressemble pas à l’œcuménisme tel qu’il est pratiqué en France, à coup de colloques. Il a fallu s’adapter les uns aux autres. Jusqu’en 1848, la basilique était fermée à clé par les musulmans et les chrétiens y vivaient comme en prison. On l’ouvrait trois fois par an. Les Franciscains, les Éthiopiens, les Coptes, les Arméniens, les Grecs bravaient tous les mêmes difficultés en raison de leur foi commune dans le Christ ressuscité. Chacun avait ses particularités, sa langue, sa liturgie, mais c’est la loi de l’Évangile que de s’acculturer dans les diverses traditions.
Le Saint-Sépulcre nous oblige à vivre cette diversité du christianisme. C’est vrai que l’on peut parfois être déstabilisé lorsque l’on vient en pèlerin. Mais ce peut être aussi une prise de conscience salutaire.

Cela vous agace tout ce que l’on raconte à propos des disputes dans le Saint-Sépulcre ?

Les touristes aimeraient bien que l’on prie tous ensemble. Pourtant l’Arménien ne peut pas dire à l’Éthiopien : « Dorénavant tu vas prier en latin .» Et puis l’Éthiopien, parce que c’est sa tradition, récitera un psaume une heure durant, en méditant chaque verset. Nous, on le dira rapidement. Il faut abandonner ses idées préconçues et respecter les usages de chacun. Cela peut surprendre, mais l’unité passe par l’acceptation de la différence de l’autre.


Saint François est aussi à l’origine de la crèche, du moins de sa représentation partout dans le monde chrétien. Ses frères ont-ils une affinité particulière avec la spiritualité de la Nativité ? Cela marque-t-il votre présence et votre apostolat à Bethléem ?

Dès leur arrivée, les frères ont voulu retourner à la Nativité. Bethléem, c’est le premier sanctuaire qui a été récupéré. Il date du début du XIVe siècle. Mes frères ont voulu être proches de là où Jésus était né. La crèche rend de façon présente l’arrivée de Jésus homme. À Bethléem, c’est Noël tous les jours. Mes frères célèbrent la liturgie commune de l’Église mais chaque jour ils vont en procession à la grotte de la Nativité en chantant des cantiques de Noël.
Bethléem est une paroisse, avec la plus vieille école chrétienne du monde. Elle remonte à 1500. Les chrétiens mais aussi les musulmans confiaient leurs enfants aux frères qui enseignaient l’arabe, le latin, l’arithmétique…

Les pèlerins affluent à Noël de toutes les régions du monde. Comment les caractériser dans leurs attentes, leurs façons de revivre les événements fondateurs de leur foi ? Quelle aide leur apportez-vous ?

Le problème c’est que l’église de Bethléem est trop petite ! 10 000 personnes veulent venir à la liturgie. À la fin de la messe, le patriarche latin porte l’enfant Jésus dans la crèche, où il reste jusqu’à l’Épiphanie. Les pèlerins ne savent pas toujours ce qu’ils viennent chercher ici. Parfois ils sont décontenancés par la cohue. C’est pourquoi je conseille beaucoup plus d’aller dans le champ des bergers, dans la nuit du 24 décembre, où les messes se succèdent toute la nuit.


Yasser Arafat, depuis son retour au pays tenait à assister chaque Noël à la messe de minuit dans votre basilique. Son successeur, a continué cet usage. S’agit-il d’un signe fort pour reconnaître la communauté chrétienne en Palestine ?

Yasser Arafat venait surtout pour manifester qu’il avait la main sur Bethléem. Il y a toujours eu dans la basilique une chaise destinée au chef d’État, à une certaine époque au souverain d’Angleterre, qui envoyait toujours un représentant. Israël faisait de même. Quant à Mahmoud Abbas, il vient en personne. C’est pour lui aussi d’abord un acte de souveraineté, même si c’est également l’occasion bien sûr de saluer l’importance et la légitimité de la communauté chrétienne. Par ailleurs, beaucoup de Palestiniens chrétiens votent Fatah.

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