Spinoza remarquait qu’en réalité Moïse n’avait pas à faire l’ascension du Sinaï pour se rapprocher de Dieu quand Dieu lui proposa les Dix Commandements, utiles et contraignants pour ordonner nos vies. Dieu, écrit-il, pouvait avoir entendu tout aussi bien si Moïse était resté dans la plaine. Car Dieu n’était pas affligé d’une atrophie du nerf auditif, et il n’était pas non plus importuné par aucune des autres affections anatomiques, comme celles qui affectent les pères quand ils avancent en âge.
Spinoza ajouterait que même si les tables avaient été détruites, au deuxième retour de la montagne, ces Commandements auraient été là, toujours aussi appropriés, toujours aussi valides parce qu’ils étaient “gravés dans le coeur”. C’était une invocation de la Loi naturelle, la loi qui serait là même si elle n’avait pas été exactement notée par écrit. C’était la Loi que saint Paul avait dans l’esprit quand il remarquait dans Rom.3 que “quand les Gentils qui n’ont pas la loi, font par nature les choses contenues dans la loi, [ils] sont pour eux-mêmes une loi.”
Feu le redoutable Harry Jaffa, dans un essai datant d’il y a bien des années, offrait un commentaire assez plaisant sur cette scène, mais cela prenait tout d’un coup un tour inquiétant dans les rapports avec notre temps. “Imaginez Moïse, écrivait-il, descendant du Sinaï, trouvant le culte du veau d’or, et apprenant d’Aaron que les gens venaient de découvrir leur droit naturel à la liberté religieuse”.
Mais ce que Jaffa présentait comme dérisoire est devenu tout à fait sérieux – et accepté même par quelques défenseurs catholiques de la liberté religieuse. Un de mes amis, un spécialiste de la loi qui a travaillé dans ce vignoble, a remarqué que “le droit fondamental de l’homme à la liberté religieuse a son origine dans la vérité sur la personne humaine; il est apprécié et devrait être protégé, que les croyances religieuses soient vraies ou non.”
Normalement on n’a pas besoin d’un génie special pour comprendre que nous pouvons avoir un profond respect pour des gens en tant que personnes humaines sans être obligés de tenir pour vrai et plausible tout ce qu’il leur arrive de croire ou de considérer comme vrai. Et pourtant cet argument a suscité une nouvelle crédulité, même parmi le professorat quand il en vient à aborder le sujet de la liberté religieuse.
Dans leur volonté de ménager et de protéger un large espace de liberté pour le religieux, certains de mes amis ont accepté d’éviter systématiquement de porter des jugements sur les enseignements qui définissent le caractère de sectes religieuses. Mais comme Harry Jaffa l’observait, “toutes les religions qui sont visées par les protections qu’accorde le Premier amendement ont un composant rationnel. Le libre exercice de la religion n’inclut pas le droit au sacrifice humain, au sati, à la prostitution sacrée, à l’usage de drogues hallucinatoires, ou à quelque autre des mille et une pratiques religieuses barbares et sauvages qui ont été les caractéristiques de religions barbares et sauvages.”
Mes amis plaideurs accepteraient cette interprétation bien qu’ils refusent qu’on parle de “religions barbares et sauvages”. Mais même ainsi, ces mêmes amis ont été favorables ces jours-ci à admettre sans discuter qu’on accepte le satanisme comme secte réclamant le rang de religion Dans Ville de Greece contre Galloway, 2014) la Cour Suprême a refusé d’invoquer la clause ”Etablissement de religion1” quand un conseil municipal a invité des ministres d’églises locales à réciter des prières.
La Cour n’a pas soulevé d’objection quand certaines prières étaient tout à fait catholiques, mais comme la pratique s’est aujourd’hui répandue dans le pays, la position dominante a été que les invitations à parler devaient être accessibles à toutes les sectes se proclamant religieuses, sans discriminations. On n’exige pas qu’une religion contienne le mot-D (Dieu) ou le Créateur qui nous a dotés de la condition de créatures porteuses de droits.
Dans ces conditions, les satanistes du pays ont fondé une nouvelle industrie en pleine expansion, aux côtés des ministres du Flying Spaghetti Monster présenté dans ces colonnes le 9 octobre). Le fait d’affirmer radicalement le mal n’entraîne plus, pour les satanistes la disqualification. .Mais ce qu’apparemment on continue sereinement de ne pas voir, c’est que cette volonté d’accepter tout dans ce style d’oecuménisme n’est pas du tout une position de tolérance élargie ni une “neutralité” à l’égard de la religion. Comme Gunnar Gubdersen l’a montré, c’est plutôt un retour, une glissade vers le paganisme.
Imaginez un plan prévoyant que chaque jour offrira une célébration publique d’une autre religion. Il y aura des jours pour les catholiques, les presbytériens, les baptistes, les musulmans, les satanistes, et on brûlera de l’encens pour les Nouvelles sectes qui ont fait leur apparition. Le plan implique qu’aucun de ces groupes religieux en reste à une doctrine sous prétexte qu’elle est plus vraie que les autres.
Au lieu de “respecter” ces religions, le plan commence par refuser de respecter la vérité de ces religions, ou de respecter les adeptes de ces religions tells qu’ils se conçoivent eux-mêmes. Lors de l’American Founding, de la Fondation de l’Amérique, notre religion, comme l’a dit Jefferson, était “pratiquée sous différentes formes, pourtant insistant toutes sur l’honnêteté, la vérité, la temperence, la reconnaissance et l’amour de l’homme”.
Comme l’a montré Harry Jaffa, “ les préceptes de la droite raison [étaient conçus comme étant] la voix de Dieu, au moins autant que la sainte écriture”. “C’était, dit-il, parce que la religion en Amérique reconnaissait l’autorité de la raison – des lois de nature – autant que celle de la révélation, que la religion est devenue la première de nos institutions politiques.”
Mardi 5 novembre 2019
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/11/05/neutrality-as-the-new-paganism/
Hadley Arkes est professeur émérite de jurisprudence au Amherst College et le directeur-fondateur de l’Institut James Wilson des Droits naturels et de la Fondation de l’Amérique. Son dernier livre : Constitutional Illusions & Anchoring Truths: The Touchstone of the Natural Law [Illusions constitionnelles et Vértés basiques : la pierre de touche de la Loi naturelle].Le volume II de ses lectures audio de The Modern Scholar, First Principles and Natural Law/ [L’Universitaire moderne, Premiers principes et loi naturelle] est maintenant accessible par téléchargement.