À l’heure où une figure fondatrice s’efface de ce monde pour rejoindre l’invisible, on s’interroge sur la nature du message qu’il transmet au-delà de lui. Nelson Mandela demeurera, de la façon la plus incontestable, l’homme qui aura choisi le dialogue et la réconciliation à l’encontre d’une démarche d’écrasement de l’adversaire et même d’une épuration judiciaire. Le dirigeant du Congrès national africain avait été très marqué dès sa jeunesse par la pensée du Mahatma Gandhi, dont il avait pleinement intégré la stratégie et le discours pacifistes. Et c’est d’ailleurs par une lutte non violente qu’il s’opposa d’abord à l’apartheid imposé par la minorité blanche à l’Afrique du Sud. C’est à cause de l’inflexibilité du gouvernement afrikaner qu’il se décida à la lutte armée, fondant la branche militaire de l’ANC. Cela lui vaudra ses vingt-sept années d’emprisonnement dans des conditions souvent extrêmement dures.
C’est au moment de sa libération, en février 1990, qu’il décide de soutenir la réconciliation et la négociation en coordination avec le président Frederik de Klerk. Cela lui vaudra une reconnaissance internationale, consacrée par le prix Nobel de 1993 partagé avec l’ancien adversaire avec qui il a signé la paix. Celle-ci s’est établie sur le terrain, suite aux travaux d’une commission de la vérité et de la réconciliation présidée par l’archevêque anglican Desmond Tutu, dont le principe d’action mériterait d’être inscrit dans le marbre : « Sans pardon, il n’y a pas d’avenir, mais sans confessions, il ne peut y avoir de pardon. » Car rien ne saurait être construit hors d’une vérité établie et reconnue d’après les témoignages de toutes les personnes impliquées dans un conflit meurtrier. La peine de mort est abolie définitivement par le Parlement. Nelson Mandela n’hésitera pas, pour sa part, à reconnaître les exactions de l’ANC et s’opposera aux siens quand ils refuseront d’admettre les manquements aux droits de l’homme des combattants contre l’apartheid. Certes, on ne sort pas sans blessures et sans amertumes d’un tel processus de mémoire et de reconnaissance. Mais Mandela aura affirmé sa grandeur morale en se faisant le héros d’une réconciliation nationale, qui pourra servir de modèle à beaucoup. Pour une fois, le mot cruel de Simone Weil était démenti. Non, la justice n’était plus « l’éternelle fugitive du camp des vainqueurs ». Elle réunissait les anciens adversaires pour qu’ils puissent construire ensemble leur avenir commun.