Il y a deux semaines je me demandais ici-même si les Américains étaient capables de résister plus longtemps au changement – qui plus est un changement transformationnel.
L’avenir le dira.
Au collège, j’ai entendu une conférence de Marshall McLuhan sur les media et il y dit une chose que je n’ai pas oubliée : « Il n’y a rien d’inévitable aussi longtemps qu’il y a une réelle volonté de changement. »
J’en retiens (McLuhan était un fervent catholique) la possibilité que le mouvement, qui aujourd’hui semble incoercible, de rejet de la morale basée sur la loi naturelle peut effectivement être arrêté ou retourné. C’est toute l’histoire du pendule – bien qu’il soit très, très difficile de réparer, par exemple, les dommages causés au mariage traditionnel.
(Je me demande quel effet produiraient sur le climat politique aux USA des campagnes pour faire passer des amendements constitutionnels bannissant le mariage homesexuel et l’avortement auraient ? Non pas que je pense que de tels amendements pourraient effectivement être ratifiéss, mais les politiques sortiraient vraiment leurs griffes. Non que cette agressivité soit nécessairement une raison pour éviter de faire ce qui est bien. Hadley Arkes abordera ce sujet ici demain.)
Ce serait déjà des victoires suffisantes pour aujourd’hui si nous pouvions simplement trouver la volonté politique et des procédures exploitables pour supprimer l’alimentation par les contribuables des pourvoyeurs d’avortements, supprimer les mandats du HHS (Health and Human Services, Ministère de la Santé) et adopter des mesures vigoureuses pour protéger la liberté religieuse.
Mais tout l’optimisme que je peux rassembler à ce propos est tempéré quand je réfléchis à la façon dont nous sommes arrivés à ce point. La raison, je pense, est que la nation a été récemment balayée par une série de « preference cascades », c’est-à-dire à l’origine le processus par lequel des individus découvrent (autrefois par la rumeur, maintenant par les média) que leurs croyances privées sont partagées par d’autres, quand le privé devient public (Timur Kuran a écrit un livre là-dessus au milieu des années 90 : Private Truths, Public Lies [Vérités privées, Mensonges publics].
Ces jours-ci cela se manifeste non seulement en encourageant les gens à être plus ouverts à propos de ce qu’ils croient déjà, mais cela pousse aussi d’autres gens à croire ce qu’ils n’avaient pas cru avant. Les « preference cascades » ont été parmi les raisons pour lesquelles certains gouvernements sont tombés et pour lesquelles les limites morales et culturelles ont été effacées.
Ce n’est pas tout à fait une marotte [fad] intellectuelle, mais cela n’en est pas loin non plus, « marotte » étant une abréviation de sottise [fiddle-faddle].
La « preference cascade » doit être une adaptation évoluée d’une théorie qui remonte au moins à Alexis de Tocqueville. Tocqueville notait que la Révolution française avait d’abord jailli dans des aires où des réformes encourageaient les gens à croire que leur vie s’améliorait, mais elle créa une réaction incendiaire quand les dites réformes furent bloquées. Un cas semblable s’est produit pour la Révolution russe.
Mais tandis que les révolutions de 1789 et 1917 faisaient venir dans les rues des milliers de gens pour protester (et ce qui fut le cas plus récemment avec la chute du communisme et le Printemps arabe), les plus récentes « preference cascades » ont dépendu davantage des media, spécialement des media sociaux. Jusqu’à un certain point ce sont les media qui ont provoqué le bouleversement dans le vieil empire soviétique ( la TV de l’Allemagne de l’Ouset était regardée à l’Est ; Boris Eltsine avait un téléphone satellite). Le printemps arabe fut pour beaucoup une révolte twittée – même si les résultats de ces soulèvements n’ont pas été ceux que beaucoup espéraient.
Faire basculer tout ordre évolué, établi, a toujours des conséquences imprévues. Quand une « preference cascade » agit dans le temps et l’espace aujourd’hui, elle charrie souvent des aspirations et des sensibilités qui n’entrent pas dans les cadres révolutionnaires organisés et peut conduire à des issues très différentes de celles qu’on prévoyait. Les activistes « gay » peuvent découvrir le long de la route que leur Ordre Nouveau plonge vers quelque chaos.
Ces « cascades » créent également un climat d’intolérance : une sorte de pression laminante (même un rouleau compresseur) ; un totalitarisme mou par lequel ce qui était impensable auparavant devient une nouvelle orthodoxie, et l’opinion hétérodoxe (l’ancienne – maintenant remplacée – orthodoxie) est étouffée.
Arthur Milikh a récemment écrit sur la crainte qu’éprouvait Tocqueville que la démocratie majoritaire pût glisser dans le même despotisme que celui pratiqué par les tyrans royaux :
Les despotes du passé tyrannisaient par le sang et le fer. Mais la nouvelle espèce de despotisme démocratique [citation de Tocqueville] « ne procède pas ainsi ; elle laisse le corps et va directement à l’âme. »
Mais est-ce la majorité qui nous gouverne aujourd’hui ? Ou est-ce davantage ce que l’universitaire socialiste C.Wright Mills a appelé l’« élite au pouvoir » » ? Sauf, bien sûr, que l’élite qu’il imaginait était plus proche du complexe militaro-industriel d’Ike, tandis qu’aujourd’hui il semble que nous soyons un troupeau mené dans ces allées sombres par une élite académico-médiatique, aidée et soutenue par certains qui appartiennent aux classes politique et juridique.
Vous pourriez penser que dans une nation religieuse, des « preference cascades » qui conduisent à approuver l’avortement ou le mariage homosexuel seraient court-circuitées par des fidèles inébranlables, mais c’est sous-estimer à quel point même beaucoup de ceux qui s’identifient eux-mêmes avec énergie comme croyants chrétiens sont à la fois ignorants de la religion qu’ils professent et de toute façon la voient comme juste une caractéristique parmi d’autres de leur vie personnelle : réalité, famille, travail, média, imagination. Et conformité.
Ce sont des pensées quelque peu préliminaires, mal dégrossies. Si vous êtes curieux de quelque information plus élaborée, vous pouvez trouver les graphiques de l’étourdissant This is How Fast America Changes Its Mind [Voici avec quelle vitesse l’Amérique change d’opinion].
Une chose est sûre. Nous tous – et cela inclut diacres, prêtres, évêques, arcgevêques – ont besoin de se rappeler les mots de saint Paul (Rom 12 2) « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre esprit et que cela vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait. »
lundi 10 août 2015
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Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/10/do-not-be-conformed/
Photo : La place Tahrir, au Caire, Février 2001
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Brad Miner est rédacteur en chef de The Catholic Thing, attaché au Faith and Reason Institute et membre du Bureau de l’Aide à l’Eglise en détresse USA. Il est ancien rédacteuir de la National Review. Son livre The Compleat Gentleman est disponible en audio et sur IPhone.