« N’AYEZ PAS PEUR » - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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« N’AYEZ PAS PEUR »

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Beaucoup de physiciens admettent depuis une dizaine d’années que la mécanique fondamentale de l’univers est telle que son merveilleux déploiement, depuis son apparition il y a 16 milliards d’années 1, monte vers l’homme comme vers son but. Néo-teilhardisme ? Non. Il est miraculeux, constatent-ils, que le Big Bang initial ait d’abord donné des photons ; que ces photons aient donné des électrons ; que ces électrons aient produit des protons et des noyaux atomiques d’hydrogènes et d’hélium ; que ces atomes se soient agglomérés en galaxies et en étoiles de premier type (sans éléments lourds) ; que ces étoiles à noyaux légers aient explosé en produisant des noyaux plus lourds (notamment le carbone, l’oxygène, l’azote, le fer, etc.) ; que ces noyaux lourds soient précisément ceux qu’exige l’architecture des êtres vivants ; que les étoiles de deuxième génération, nées de ces éléments lourds, restent stables pendant des milliards d’années (comme notre soleil), permettant à la vie d’évoluer sur un nombre inconnu de planètes, ou au moins sur une, la Terre ; et donc que tout ce que nous voyons dans l’immensité de l’espace soit une accumulation d’improbabilités dont chacune était nécessaire à l’apparition de l’homme. Il y a bien là non seulement un miracle, reconnaissent-ils, mais une succession de miracles dont chacun était nécessaire à l’apparition tardive (après 16 milliards d’années !) de notre pensée qui les découvre ; et aucun de ces miracles n’était joué d’avance. L’univers, en concluent-ils, est donc bien orienté dès son apparition vers la production de ce mystère qu’on appelle la pensée. Et cependant, de cela, ils ne tirent pas la dernière conclusion : que ce merveilleux agencement démontre la pré-existence d’une Pensée organisatrice. Plus que jamais beaucoup continuent de se dire athées. Entêtement paradoxal ? Refus diabolique d’une évidence ? Peut-être. Encore faut-il entendre leurs raisons. Car on peut donner de ce grandiose tableau une interprétation où la succession de miracles reste le fruit d’un aveugle hasard. Cette interprétation porte un nom c’est le « Principe Anthropique » 2 . Voyons cela. On peut, pour le comprendre, partir d’un fait banal, indiscutable et facile à observer : la radioactivité. Considérons une masse d’un kilo du premier corps radioactif découvert, le radium. Cette masse est constituée d’un nombre énorme d’atomes rigoureusement identiques, composés chacun de 88 électrons identiques entre eux et d’un nombre égal de protons et de neutrons, eux aussi identiques entre eux. On constate que cette masse diminue avec une absolue régularité à mesure que le temps s’écoule, si bien que (dans le cas du radium) le kilo sera réduit à sa moitié au bout de 1620 ans, à son quart au bout de 1620 x 2 = 3240 ans, et ainsi de suite. 3 On constate aussi que rien ne peut ni accélérer ni ralentir ni modifier en aucune façon cette désintégration spontanée. Elle est si régulière et immuable que l’on ne connaît aucune horloge si parfaite et indéréglable. A première vue, il n’y a là rien qui déroute : l’alcool, par exemple, ne s’évapore-t-il pas, perdant aussi de sa substance ? Mais l’alcool évaporé reste de l’alcool. Et même si on le décompose, on retrouve finalement le même nombre d’atomes de carbone, d’hydrogène. Avec les corps radioactifs, rien de tel : les atomes disparaissent, se transforment en énergie (radiations). La question est dès lors : si les atomes de radium sont identiques, pourquoi certains se désintègrent-ils maintenant, et d’autres n’importe quand dans le futur ? Toute la physique est contenue dans la réponse : il n’y a pas de pourquoi, car le phénomène élémentaire (au niveau des particules) obéit au hasard absolu. A supposer que l’on puisse isoler un atome de radium, et même le connaître « complètement », non seulement on ne peut pas prévoir s’il va se désintégrer dans trois secondes ou trois milliards d’années, mais on est obligé d’admettre (en conclusion d’une infinité d’expériences différentes) qu’il n’y a pas de cause à la désintégration. 4 Seule l’absence de cause peut produire la régularité absolue de la désintégration, qui est un phénomène statistique. La régularité statistique absolue suppose le désordre (ou acausalité) absolu. Remarque : le mot « absolu » ci-dessus répété est scientifiquement suspect. Comment les savants peuvent-ils parler ainsi et en même temps affirmer que toute mesure, sans exception, comporte une marge d’erreur ? Einstein lui-même refusa jusqu’à sa mort d’accepter cette exorbitante exception pour le hasard des phénomènes « élémentaires ». Dans les années trente, avec deux de ses collaborateurs, il imagina le principe d’une expérience permettant de savoir si, dans un cas soigneusement choisi et décrit par lui, l’ignorance du résultat était imputable à l’impossibilité de mesurer exactement, ou bien à une propriété de la nature. En 1966, J.S. Bell inventa un procédé de mesure permettant de faire l’expérience imaginée par Einstein. Les expériences furent faites, notamment (la plus parfaite) par Alain Aspect, à la Faculté d’Orsay. Résultat : le hasard est bien une propriété de la nature. 5 Les physiciens ont appelé « fluctuation » cette apparition spontanée, « acausale », d’un phénomène (la désintégration d’un atome radioactif dans le cas choisi). Ils ont appelé « quantique » la physique élaborée depuis 1905 sur cette idée d’absolu hasard : c’est la physique moderne, celle qui a permis notamment toutes les merveilles de l’électronique. Sans ce type de hasard, pas de télévision, par exemple. Or c’est aussi cette physique-là, appuyée sur la Relativité d’Einstein elle-même, qui a permis d’expliquer tout ce que l’on sait de l’espace lointain. C’est cette physique qui permet de reconstituer les premiers instants – jusqu’aux premières fractions de seconde – de l’univers : le fameux Big Bang est lui-même une fluctuation, une gigantesque fluctuation née du hasard. 6 Voilà pourquoi, dans mon dernier article (FC N° 2039), il m’a semblé intéressant d’attirer l’attention sur le radiotélescope géant (à antennes multiples) que les Américains sont en train d’expérimenter : cet engin va pouvoir explorer l’espace très lointain, donc très ancien, et peut-être vérifier l’image actuellement admise des premiers instants de l’univers. On espère observer jusqu’à 12 milliards d’années-lumière. C’est-à-dire l’univers tel qu’il était il y a 12 milliards d’années. Peut-être moins, mais pourquoi pas plus ? 7 Maintenant, supposons que le Big Bang soit bien l’infini hasard décrit par les théoriciens. La question est : pourquoi cet infini hasard a-t-il dès le début permis la future accumulation de miracles qui conduit jusqu’à l’homme ? La réponse est précisément le « Principe Anthropique » mentionné plus haut : l’univers que nous observons ne peut être que celui où nous existons pour l’observer. Tous les autres univers (en nombre infini) 8 où l’homme n’existe pas, sont évidemment inobservables. Nous n’observons que le Big Bang parvenu jusqu’à nous, et pour cause – si l’on peut dire, parlant de l’infini hasard ; nous n’observons que celui où se sont accumulés par hasard tous les miracles nécessaires à notre apparition. 9 Cette physique-là n’est-elle pas bien métaphysique ? Ne s’accorde-t-elle pas des facilités devant lesquelles reculent les métaphysiciens même les plus vaporeux ? Que chacun, comme dit Rabelais, pellaude et grabèle à son gré ces belles idées, peut-être démoralisantes. Pour moi j’y vois plusieurs nouveautés. D’abord, que de plus en plus, mais ici à nous en donner le tournis, la science de notre temps précède le rêve de la spéculation. Encore qu’en examinant bien quelques vieilles traces de pas se laissent apercevoir dans ces solitudes : plusieurs Grecs, comme d’habitude, se sont aventurés jusque là il y a vingt-cinq siècles, Héraclite notamment. La vraie nouveauté, c’est que cette fois nous y pénétrons juchés non plus sur la Chimère, mais sur le fourniment d’une formidable quincaillerie expérimentale. Si nous ne connaissions par une autre voie la Pensée du Dieu vivant, n’y aurait-il pas de quoi nous sentir perdus ? Mais on peut le prendre autrement. On peut le prendre comme firent les premiers Pères nourris de science grecque, et qui donc eussent les mêmes raisons que nous d’être accablés. « Dieu, dit Origène, a fait tous les hommes à son image, il les a créés un à un », ce que confirme une autre science, la génétique (a). Si l’homme du 20e siècle n’était accablé par l’infini dédale de la Pensée créatrice, s’il découvrait que sa faible lumière suffit à en éclairer les bornes, alors, oui, l’on pourrait désespérer. 10 Aimé MICHEL (a) Citation empruntée au beau livre du P. de Lubac : Le Drame de l’humanisme (Paris, Le Cerf, 1983). Chronique n° 413 parue dans France Catholique – N° 2043 – 21 Février 1986 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 21 août 2016

 

  1. Quelques mois auparavant (novembre 1984), A. Michel écrivait « L’âge de l’univers dépasse 15 milliards d’années ». C’était sans doute la meilleure estimation disponible à l’époque. Aujourd’hui les mesures se sont affinées et selon une étude parue en août 2014 fondée sur les mesures du rayonnement cosmologique effectuées par le satellite Planck (http://adsabs.harvard.edu/abs/2013arXiv1303.5076P ; sur le télescope spatial européen Planck, voir la note e de la chronique n° 46, Quand les papillons guérissent de la rage, 07.06.2009) cet âge serait de 13,80 ± 0,04 milliards d’années.
  2. En fait le « Principe Anthropique » est d’abord la constatation de ce « merveilleux agencement » de l’univers, ou plus exactement « très spécial » si on s’en tient aux formulations neutres des scientifiques. Il est ensuite et surtout l’accent mis sur le fait qu’il ne pouvait pas en être autrement : en effet, un univers dans lequel existent des observateurs comme les hommes, êtres vivants et pensants, fragiles et complexes, ne peut être que très spécial pour que cette énorme complexité puisse y apparaître et se maintenir sur des durées cosmiques s’exprimant en milliards d’années. Aimé Michel le précise d’ailleurs plus bas lorsqu’il écrit « l’univers que nous observons ne peut être que celui où nous existons pour l’observer. Tous les autres univers (en nombre infini) où l’homme n’existe pas, sont évidemment inobservables ». Cette constatation peut être interprétée de plusieurs façons, dont le recours au hasard aveugle (voir note 8).
  3. Comme on le sait le radium a été découvert en 1898 par Pierre et Marie Curie et leur collaborateur Gustave Bémont. Ils réussirent à en extraire quelques dizaines de grammes d’une tonne d’un minerai d’uranium, la pechblende de Joachimsthal (aujourd’hui Jáchymov, en République tchèque), offerte par le gouvernement autrichien, au prix d’un travail épuisant mené dans les mauvaises conditions d’un hangar de l’École de physique et chimie de Paris. C’était deux ans seulement après la découverte par Henri Becquerel (1896) d’un rayonnement émis par des minerais contenant de l’uranium dont les propriétés ressemblaient à celles des rayons X découverts en 1895 par Wilhelm Roentgen. Marie Curie (née Sklodowska) nomma radioactivité la transformation par laquelle un élément chimique (un atome) émet un rayonnement. Pierre Curie et son frère Jacques mirent alors au point les instruments (électromètre à quadrants et chambre d’ionisation) permettant de mesurer avec précision ce rayonnement. C’est grâce à eux que Pierre et Marie, observant que la radioactivité des minerais d’uranium était supérieure à celle que l’on pouvait attendre de leur teneur, entreprirent de rechercher les éléments inconnus en très petite quantité mais très radioactifs émettant ce rayonnement, puis parvinrent à les suivre lors des longues opérations de fractionnement du minerai initial, avant de les isoler : d’abord le polonium (en juillet 1898) puis le radium (en novembre). Cette grande découverte valut à Becquerel et au couple Curie le prix Nobel de physique en 1903. Marie, fait unique, reçut à nouveau un prix Nobel, en chimie cette fois, en 1911. Bien qu’elle devînt l’une des personnalités scientifiques les plus connues, sinon la plus connue dans le monde, elle ne fut jamais élue à l’Académie des Sciences parce qu’elle était une femme ! Il existe plus d’une vingtaine d’isotopes du radium dont les moins rares dans la nature sont les radiums 226 (celui découvert par les Curie) et 228. Leurs noyaux contiennent tous 88 protons entourés de 88 électrons (leur numéro atomique Z est 88) mais un nombre variable de neutrons (226 – 88 = 138 dans le cas du radium 226). Parmi les 92 éléments naturels présents sur Terre, du plus léger l’hydrogène (Z = 1) au plus lourd l’uranium (Z = 92), le radium fait partie de la douzaine qui sont radioactifs. Tous ces éléments radioactifs ont un noyau instable qui tend spontanément à se briser au bout d’un temps variable comme un ressort qui se détend. Ainsi le radium 226 se décompose en un atome de radon 222 (Z = 86, un gaz lui-même radioactif) en émettant un noyau d’hélium (Z = 2, assemblage de 2 protons et de 2 neutrons), qu’on appelle rayonnement alpha d’une énergie constante. Dans un gramme de radium 226 il se produit 36 milliards de désintégrations par seconde qui émettent autant de particules alpha. A ce rythme immuable, la moitié des atomes de radium présents au départ ont disparu au bout de 1620 ans, qu’on appelle sa demi-vie. Tous les isotopes radioactifs ont une demi-vie qui leur est propre, par exemple celle du radium 228 est 6,7 ans, celle du radon 222 de 3,8 jours, celle du carbone 14 de 5700 ans et celle de l’uranium 238 de 4,5 milliards d’années. C’est cette très longue période de l’uranium qui explique d’une part qu’il en existe encore tant dans la croûte terrestre et d’autre part la présence de radium par exemple, car c’est un produit de désintégration de l’uranium.
  4. La loi de la décroissance radioactive a été formulée par le Néo-Zélandais Ernest Rutherford (1871-1937) et l’Anglais Frederick Soddy (1877-1956) en 1902. Ils ont montré qu’en raison des désintégrations, quel que soit l’élément radioactif considéré, le nombre d’atomes décroit de manière exponentielle avec le temps : si le nombre d’atomes au départ est N0 il n’en restera que N = N0 exp(−λt) au bout du temps t, où λ est une constante appelée constante radioactive. En particulier le nombre d’atomes décroit de moitié au bout du temps T, appelée demi-vie ou période, ce qui s’écrit N0/2 = N0 exp(–λT), d’où on déduit –λT = Log ½ soit λT = Log 2, ce qui montre que T = 0,693/λ. On en déduit aussi que la durée de vie moyenne d’un atome est 1/λ. La constante radioactive du radium 226 est λ = 4,3 x 10–4 (par an), par conséquent sa demi-vie est T = 1620 ans et la durée de vie moyenne d’un atome de radium est 2 337 ans. Quoi qu’il en soit de ces petits calculs, cette loi exponentielle cache une propriété remarquable découverte en 1837 par Simon Denis Poisson (1781-1840). En effet, ce mathématicien français a pu calculer le nombre total d’évènements qui se produisent au bout d’un certain temps lorsqu’on suppose que cet évènement se produit purement au hasard avec une probabilité constante indépendante du temps (et une probabilité nulle que deux évènements surviennent en même temps). Appliqué aux désintégrations, le nombre d’événements donné par la formule de Poisson est précisément la loi exponentielle ci-dessus. Dans ce cadre, λ s’interprète comme la probabilité (constante) pour qu’un atome radioactif se désintègre dans un intervalle de temps donné. La désintégration radioactive apparaît donc comme un processus aléatoire. Comme le souligne très justement Aimé Michel, c’est une propriété très étonnante si on y réfléchit puisque tous les atomes sont strictement identiques. Ce caractère aléatoire se retrouve sous de multiples formes à l’échelle des atomes et particules, par exemple c’est lui qui ne permet pas de prédire où exactement un photon ou un électron se manifestera sur un écran dans une expérience de diffraction ou d’interférence.
  5. Selon une de ses formules, souvent répétée, Einstein pensait que « Dieu ne joue pas aux dés », autrement dit que les aspects aléatoires (symbolisés par les dés) découverts en physique quantique ne sont pas une propriété fondamentale de la nature (Dieu) mais qu’ils reflètent simplement notre ignorance de ce qui se passe vraiment. C’est ce qui le conduisit à proposer en 1935 un théorème célèbre avec ses collègues Podolski et Rosen (d’où le nom EPR d’après les initiales des auteurs donné à ce résultat). John Bell parvint à en donner une formulation qui se prêtait à l’expérience. Ces expériences furent finalement menées à leur terme par Alain Aspect et ses collaborateurs. Elles montrèrent que la nature n’obéissait finalement pas à l’une des hypothèses posées pour démontrer le théorème EPR et celui de Bell. L’une des conséquences de cette violation est que la nature joue bien aux dés. Pour plus de précisions sur EPR, voir la note 5 de la chronique n° 342, Au cœur de l’infini labyrinthe, une obscure clarté – Nouvelles réflexions sur les ondes et les particules, la relativité et les quanta (16.11.2015) ; sur Bell, la chronique n° 309, Le mur – Le théorème de Bell et l’attente du futur comme une promesse (26.05.2014) et sur Aspect, la chronique n° 341, Les mésaventures de l’onde et du corpuscule – Les troublantes expériences quantiques d’Alain Aspect (17.08.2015).
  6. Il s’agit d’une application des principes de la physique quantique à l’univers entier. Dans la chronique précédant celle-ci (n° 412, Critique du beau livre que je n’ai pas lu, 01.06.2009), A. Michel écrivait : « Dans ce schéma, le mot “créationˮ est remplacé par l’expression “fluctuation quantiqueˮ. Peu importe ce que sont cette physique et cette fluctuation : ce n’est pas sous l’effet d’une horreur sacrée pour le concept théologique de “créationˮ que les physiciens se passent de ce concept ; c’est parce que leur physique, jusqu’ici, suffit très bien à expliquer ce qu’ils observent dès qu’il y a quelque chose à expliquer. La physique décrit très bien ce qui se passe dès qu’il y a quelque chose. Et “quandˮ (si l’on peut dire) il n’y a rien, la physique n’a pas à se faire de souci. »
  7. L’article de FC N° 2039 auquel A. Michel renvoie est la chronique n° 412 citée dans la note précédente. « Les astronomes américains, y précise-t-il, sont actuellement en train d’essayer leur premier grand radiotélescope multiple, destiné à recevoir les ondes radio plus anciennes que 10 ou 12 milliards d’années. Cet appareil colossal est formé de plusieurs radiotélescopes répartis sur une distance de 8 000 kilomètres (jusqu’aux îles Hawaï), comme un seul œil de 8 000 kilomètres de diamètre. » Il s’agit du VLBA (Very Large Baseline Array), un ensemble de 10 antennes de 25 mètres sensibles aux longueurs d’onde comprises entre 3 mm et 28 cm, réparties sur tout le territoire des États-Unis et commandées de Socorro au Nouveau-Mexique. L’atmosphère n’est transparente aux ondes radio venus de l’univers que sur une bande de longueurs d’onde allant de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres. Un radiotélescope comporte un grillage métallique dont la taille de maille et la taille d’ensemble fixent respectivement les plus petites et plus grandes longueurs d’onde détectables. Le plus grand radiotélescope fixe au monde est celui de Guizhou en Chine qui vient d’être achevé et doit entrer en service en septembre (500 m de diamètre), suivi de celui d’Arecibo à Porto-Rico (305 m). Le radiotélescope de Nançay dans le Cher (100 m) est le 4e au monde par sa surface. Ces instruments sont capables de distinguer des radiosources séparées d’une minute d’arc. Pour obtenir de meilleures résolutions on emploie un réseau d’antennes, comme le VLBA (ci-dessus) ou l’ALMA (de l’Observatoire Européen Austral construit au Chili en partenariat avec les États-Unis et le Japon, inauguré en 2013). Le principe est de superposer les ondes reçues simultanément par plusieurs télescopes : les ondes en coïncidence (en phase) s’additionnent, celles en opposition de phase s’éliminent. La résolution obtenue est celle d’un radiotélescope unique d’un diamètre égal à la distance entre les antennes les plus éloignées du réseau. On parle d’interférométrie à grande base par synthèse d’ouverture. Grâce aux progrès dans l’enregistrement des signaux, on peut faire interférer des signaux enregistrés par des antennes indépendantes, à condition bien sûr qu’elles recueillent des signaux provenant de la même source ; on atteint alors des résolutions de quelques dizaines de millionièmes de seconde d’arc, très supérieures à celles obtenues en astronomie optique (mais celle-ci n’a pas dit son dernier mot).
  8. Ces spéculations sur les univers multiples – car pour l’instant ce sont des spéculations non vérifiées expérimentalement – donnent effectivement le tournis et peuvent conduire au désespoir une humanité perdue dans des mondes sans limite qui l’ignorent. Supposons qu’elles soient vraies, quelle conséquence cela a-t-il pour un esprit religieux ? D’abord, en poussant un cran plus loin ce que l’on savait déjà sur la multiplicité des étoiles dans la galaxie et des galaxies dans l’univers visible, cette multiplication des univers dans le multivers, selon un emboitement que pressentait déjà Pascal dans son célèbre texte sur les Deux infinis, semble éloigner d’un cran l’acte créateur ; elle ne fait que rendre cet acte plus abstrait et plus complexe le processus de création. De ce fait, elle révèle que le Créateur est plus grand qu’on ne le pensait, ce qui ne fait que confirmer la tension historique entre ceux (souvent majoritaires) qui préfèrent un univers fini, facile à imaginer, créé par un Dieu « physiquement proche » et ceux qui sont ouverts à une Création infinie qui passe toute imagination. Aimé Michel penche certainement pour les seconds, même s’il ne se prononce pas ici, car c’est à la science de résoudre ces questions, si elle le peut. Il retourne en fait doublement le problème : d’une part, parce que Dieu est en réalité tout proche mais selon une autre « dimension » (« interior intimo meo » comme dit saint Augustin, voir la chronique n° 392, « Plus intérieur que mon plus intime » – Les vérités les plus simples sont les mieux cachées, 30.05.2016) et, d’autre part, parce que c’est l’univers des athées comme Jacques Monod ou Steven Weinberg qu’il trouve désespérant en raison de sa limitation, non dans l’espace et le temps, mais dans l’ordre de la pensée. Car c’est sur le statut de la pensée dans l’univers (et plus généralement du Monde 3 de Popper, voir la chronique n° 30, La grève du savoir, 30.08.2010), non sur la finitude ou infinitude de ce dernier, son déterminisme ou son indéterminisme, que se trouve la racine profonde de la divergence entre théistes et athées.
  9. En tout état de cause, la taille maximale de l’univers observable est fixée par l’âge de l’univers puisque la lumière ou les ondes radio émises par un astre ne peuvent pas avoir voyagé plus de 13,8 Ga (milliards d’années), donc parcouru une distance de plus de 13,8 milliards d’années-lumière. Un autre problème est de savoir à quelle distance de nous se trouve actuellement cet astre (je passe sur les difficultés inhérentes à cette question dans un univers relativiste), sachant que la taille de l’univers s’est agrandie en raison de son expansion. Selon le modèle standard de la cosmologie cette distance serait d’une quarantaine de milliards d’années-lumière, soit un diamètre de l’univers observable de quelques 80 milliards d’années-lumière, ce qu’on appelle l’horizon cosmologique. Il faut également tenir compte du fait que les ondes électromagnétiques ne circulent librement dans l’univers que depuis la formation des atomes par réunion des électrons aux noyaux, ce qui s’est fait 300 000 ans après le Big Bang. À titre indicatif, les galaxies les plus éloignées ont un âge de plus de 13 milliards d’années et ce seraient donc formées moins de 800 millions d’années après le Big Bang. Le record actuel a été revendiqué en mars dernier par l’équipe du télescope spatial Hubble (dont la résolution est de 50 millisecondes d’arc) avec une galaxie, située dans la direction de la constellation de la Grande Ourse ; elle serait âgée de 13,4 Ga.
  10. À ma connaissance, il y a actuellement trois manières différentes de rendre compte des valeurs fort improbables (nous en reparlerons) des constantes fondamentales de l’Univers où nous vivons. La première est qu’une Intelligence (Dieu ou démiurge) a choisi avec soin ces valeurs de manière à ce que l’univers puisse « fonctionner » et engendrer par évolution des êtres vivants et pensants ; les scientifiques considèrent en général qu’il s’agit là d’une démission, d’un renoncement à expliquer auquel il ne faut pas céder. La seconde est qu’il n’existe qu’un seul univers possible, le nôtre, car toutes les valeurs des constantes fondamentales sont liées entre elles par une théorie dont nous ignorons encore tout ; comme une telle théorie semble actuellement hors de portée, cette hypothèse est peu productive et par conséquent peu travaillée. La troisième est celle des univers multiples, que ceux-ci représentent différentes « bulles » d’un même espace-temps ou des univers parallèles dans des espaces-temps différents, l’important est qu’ils soient en très grand nombre, voire en nombre infini. Chacun d’eux ayant ses propres valeurs de constantes fondamentales tirées au hasard, tous les univers possibles y seraient réalisés dont le nôtre. Cette approche a la faveur des théoriciens car les théories physiques actuelles y conduisent par plusieurs voies.