Mots codés et fausses questions - France Catholique
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Mots codés et fausses questions

Le projet de loi sur le mariage des personnes de même sexe comporte de grands risques pour la société. Cette loi institutionnaliserait en effet une situation artificielle et confuse pour tous, même pour les familles ‘naturelles’, pour lesquelles le sexe des parents géniteurs serait nié, contre toute évidence, par les étiquettes de ‘parent 1’ (ou A) et parent 2’ (ou B). Ce serait une sorte de mensonge légal, préjudiciable au climat de clarté indispensable à l’éducation, et de mauvaise augure pour l’avenir de notre civilisation. De plus pour satisfaire le désir d’enfant de certains adultes, la loi priverait l’enfant soit d’un père soit d’une mère. Enfin, si elle allait jusqu’à la procréation médicalement assistée, la loi serait contraire à l’éthique en instrumentalisant la personne donneuse de gamètes et en gommant délibérément pour l’enfant à naître l’identité d’un de ses géniteurs biologiques. Présentée comme une ‘réforme de civilisation’ par le Garde des Sceaux, cette loi mérite donc un profond débat. Mais il est actuellement étouffé, car déclarer son opposition au projet de loi c’est très probablement s’exposer à être taxé d’homophobie : très peu se risquent donc à contester ouvertement le projet.
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Le projet de loi identifie par un même mot et gouverne par une même règle deux réalités de nature aussi différente que le mariage d’un homme et d’une femme, et l’union de deux personnes de même sexe. Or ces deux réalités sont fondamentalement différentes pour la société puisque la première produit les enfants qui formeront la société future, tandis que la deuxième est stérile. On ne peut donc éviter de se demander les implications à long terme d’une telle démarche.

Pourtant, par un préjugé dominant, celui qui émet un doute sur le bien-fondé du projet de loi s’expose au jugement d’homophobie. Même dans les conversations privées, le débat est largement verrouillé, la cause est entendue : c’est une bonne loi, elle va dans le sens de l’égalité en supprimant des discriminations entre les couples. Et s’il n’était pas signe d’homophobie, un désaccord sur ce projet ne pourrait être que ringardise. Le sujet est donc pratiquement tabou. Il s’ensuit que l’opinion majoritaire des Français est inconnaissable. Rien ne prouve qu’en leur âme et conscience ils soient majoritairement favorables à ce projet et à la refonte correspondante du code civil. Mais, fort de sa majorité politique dans les deux chambres, le gouvernement peut faire passer le projet en très peu de temps, alors que rien ne presse pour réformer des centaines de paragraphes du code civil ! Si cela arrivait je songe à la civilisation dans laquelle évolueraient plus tard nos enfants et petits enfants, et cela m’empêche parfois de dormir.

Voilà pourquoi je choisis aujourd’hui d’exposer mes réflexions aux personnes que j’apprécie, collègues et amis, comptant sur leur amitié et leur estime pour ne pas me juger a priori homophobe ou ringarde, et pour aller jusqu’au bout de leur lecture.

Introduction

Le 7 novembre 2012, jour de la présentation au Conseil des Ministres du projet de loi visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, dans une interview à Ouest-France, Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, reconnaissait : « C’est une réforme de société, et on peut même dire une réforme de civilisation. Nous n’avons pas l’intention de faire comme si nous ne retouchions que trois ou quatre virgules dans le Code Civil. » Une réforme de société ? Une réforme de civilisation ? La question posée par le projet de loi est donc éminemment sérieuse ! Pour légitimer ce projet de loi, Madame Christiane Taubira a aussi argué que la majorité des Français y est favorable, puisque la proposition figurait dans le programme du candidat élu François Hollande. Il s’agit évidemment d’une erreur de raisonnement, ce qui est grave pour une Garde des Sceaux, et surtout quand il s’agit de réformer la civilisation et la société françaises : tous les électeurs de François Hollande n’approuvaient pas toutes ses propositions. Plusieurs ont publiquement exprimé qu’ils avaient voté pour lui malgré la proposition n°31 qu’ils désapprouvaient, persuadés qu’elle ferait l’objet d’un débat (tout ceci étant d’autant plus vrai que le Président n’a été élu qu’avec une faible majorité).

Les droits fondamentaux reconnus aux citoyens français

– concernant le mariage

L’article 16.1 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 énonce : À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.
Cette déclaration n’est pas ambigüe : il s’agit du ‘mariage naturel’ entre un homme et une femme1. Certes le mariage a subi depuis lors une crise profonde, de plus en plus de couples vivant une union douloureuse doivent y mettre un terme. Mais l’amour durable et fidèle entre un homme et une femme reste un idéal pour une très grande majorité de Français. Si, après l’épreuve du divorce ou de la séparation, beaucoup restent seuls pour élever un ou plusieurs enfants, beaucoup d’autres vivent un deuxième mariage ‘naturel’ et fondent une nouvelle famille qui leur apporte du bonheur.

– Concernant l’enfant

La convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (ONU) énonce 

Article 3.1 Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
Article 7.1 L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux.
En concordance avec cette déclaration, les décisions inscrites dans le projet de loi devraient concourir au bien supérieur de l’enfant, de tous les enfants, ceux qui vivent au sein d’une famille naturelle avec leur père et mère (ou seulement avec l’un des deux suite à un accident de la vie, séparation, divorce ou décès), comme ceux qui vivent dans une famille homosexuelle. Or il n’en est pas ainsi.

Mots codés

On le sait, le projet de loi prévoit de jeter aux antiquités les mots de ‘père’ et ‘mère’, pour les remplacer par la notion asexuée et beaucoup plus vague de ‘parent 1’ et ‘parent 2’. Tout de suite se pose dans plusieurs contextes  la question de savoir qui sera le parent 1 et qui sera le parent 2. Par exemple sur les fiches d’identité de la famille à l’école, quel nom va inscrire l’enfant sur la fiche du parent 1 ? Le nombre 1 vient avant le nombre 2, et, par simple dénomination, il y a préséance du parent 1 sur le parent 2. C’est une discrimination subtile. Si la loi préférait la désignation de ‘parent A’ et ‘parent B’, la question resterait identique puisque A vient avant B.

Pour un mariage naturel, alors qu’il n’y a pas ni ordre ni préséance dans le binôme homme/femme, paradoxalement, la loi elle-même obligerait à en instaurer une. Et qui en déciderait ? Chacun des couples déciderait-il à la naissance d’un premier enfant ? La femme aurait la nature avec elle pour dire ‘j’ai porté l’enfant, je suis le parent 1’. Mais l’homme aurait la tradition séculaire pour dire ‘de tout temps l’homme a été le chef de famille, c’est moi le parent 1.’ D’où un sujet potentiel de discorde. Faudrait-il alors demander au maire de s’immiscer dans la relation du couple, ou bien tirer au sort entre père et mère, pour décider de l’étiquette ? Ce ne serait pas un progrès !

Certes un simple codage changeant la lettre A en M et la lettre B en P ferait sortir de ce dilemme. À partir de la grande section de maternelle chaque enfant comprendrait que, dans le langage de l’école, Maman se dit parent M et Papa se dit parent P, et il pourrait, sans trop de trouble, remplir sa fiche. Mais il est probable que le projet de loi ne soit pas conçu comme un simple codage automatique de mots ! Le choix entre père et mère pour remplir la fiche du ‘parent 1’ (ou A) risque donc de revenir à l’enfant lui-même, obligé d’arbitrer entre deux êtres qu’il aime probablement autant l’un que l’autre, quoique différemment, dont il dépend pour sa survie, et à l’autorité desquels il est soumis. C’est un recul pour la famille naturelle, avec, de facto, un tort porté à l’enfant. Oui, l’introduction des mots asexués de parents 1 et 2 prévue dans le projet de loi apporte une confusion et une ambiguïté préjudiciables pour les familles naturelles.

Mais quels seraient les avantages du projet pour les couples homosexuels avec enfants ?

Cas d’un couple homosexuel élevant un (ou des) enfant(s) issus des membres du couple

Il faut rappeler qu’actuellement la grande majorité des enfants qui vivent auprès d’un couple homosexuel ne sont pas les enfants de ce couple. Imaginons le cas du petit André, né du mariage naturel antérieur de Marie avec Paul. Paul, le père d’André, continue de l’aimer et de prendre part à son éducation. Même si l’enfant vit maintenant avec le couple de Marie et de sa compagne Patricia, un éventuel ‘mariage’ ultérieur entre les deux femmes ne rendrait pas Patricia parent 1 ou 2 d’André : il a père et mère, et, pour lui non plus la dénomination de parent 1 et parent 2 n’apporte aucun bienfait, mais plutôt de la confusion.

Cas de deux personnes de même sexe qui désirent un enfant (cas où la loi serait votée)

Marie et Patricia se sont ‘mariées’ et désirent maintenant un enfant qui soit à elles deux. Elles savent les institutions réticentes à confier des enfants à un couple homosexuel, et sont d’abord tentées de faire une demande au seul nom de Patricia qui n’a pas encore d’enfant, mais, finalement, elles optent pour la loyauté et font en leurs deux noms les démarches d’adoption. Qui serait le parent 1 ? Patricia le souhaite car Marie a déjà André. Marie le souhaite aussi mais elle acquiesce au désir de Patricia car les deux femmes s’entendent bien.

Cas où un amendement autoriserait la procréation médicalement assistée
Marie et Patricia n’ont pas pu adopter un enfant car peu sont adoptables et il y a beaucoup de couples hétérosexuels devant elles sur la liste d’attente. Leur désir d’enfant restant fort, elles sont prêtes à tenter la procréation médicalement assistée, malgré l’embarras et les longues discussions afin de choisir celle qui portera l’enfant. Elles se décident pour Patricia. Patricia devient la mère d’une petite Brigitte et reçoit l’étiquette de ‘parent 1’. Elle se plaît à nourrir sa fille et l’inégalité entre les deux femmes se creuse, car le lien affectif entre Patricia et Brigitte est plus fort que le lien entre Marie et Brigitte. Plus tard, si la relation entre les deux conjointes se dégradait, cette inégalité initiale sur la naissance de Brigitte risquerait d’envenimer la situation.

Plus grave, sans doute, que ces inégalités entre les deux femmes, il y a le refus délibéré de Marie et Patricia que Brigitte ait un père et puisse vivre avec lui. Le don de sperme est anonyme selon la loi française, ce père restera toujours caché, Brigitte ne pourra jamais le connaître. La nouvelle loi a donc tranché en faveur du désir d’enfant des deux femmes, sans égard au droit et au besoin de l’enfant à connaître son père biologique, vivre avec lui et en recevoir une éducation. Cette situation est injuste envers la personne la plus faible qui est l’enfant. Elle est contraire à la convention internationale des droits de l’enfant qui a ‘le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.’ Le jour où Brigitte en prendra conscience, elle risque de penser, et peut-être osera-t-elle dire : pourquoi, moi, je n’ai pas eu droit à partager la vie de mon père contrairement à tous les autres enfants ? Et que dire de l’instrumentalisation du donneur de sperme ? Ne devient-il pas un simple fournisseur ? Sans compter la question de sa rémunération, certes interdite en France, mais pas dans tous les pays.

Le cas de deux hommes obtenant un enfant par procréation médicalement assistée est analogue à celui de deux femmes : il y a la disparité entre celui qui donne son sperme et celui qui ne le donne pas, ainsi que la privation délibérée d’une mère pour éduquer l’enfant, deux choses déjà graves en elles-mêmes. Mais ici l’instrumentalisation de la femme qui prête son ventre est encore bien plus évidente que pour l’homme qui donne son sperme. L’enfant porté et la femme porteuse, tous deux apparaissent comme des objets pour satisfaire les désirs de deux autres personnes. Sans compter la question de la rémunération de cette femme : trouverait-on facilement des femmes pour porter neuf mois un bébé, le mettre au monde, puis l’abandonner au profit de deux hommes ? Il faudrait probablement qu’elle soit très pauvre et bien rémunérée ! Quand cet enfant grandira et se rendra compte des transactions commerciales qui ont préludé à sa naissance, que ressentira-t-il ?

Fausses questions

Contrairement au projet de loi qui fait l’amalgame entre les rôles des deux parents, la nature, elle, distingue sans confusion et sans division le père et la mère. Dans sa famille, l’enfant vit naturellement la relation avec les parents des deux sexes, ‘Papa’ et ‘Maman’. Comment vivrait-il le hiatus avec une société où on lui parlerait de son ‘parent 1’ et de son ‘parent 2’ ? Accorderait-il préférentiellement sa confiance à sa famille, ce lieu où il expérimente qu’il est aimé sans condition ; ou bien à l’école, cette vénérable institution de la République à qui il est confié durant la moitié de son temps ?

Clairement toutes ces questions posées par le projet de loi sont de fausses questions. Le concept de ‘parent’ asexué est artificiel, sans prise sur la réalité. ‘Père’ et ‘mère’, ces deux petits mots de quatre lettres dont seule la première diffère, traduisent bien à la fois la différence de sexe entre les deux parents, leur égale dignité et leur complémentarité dans l’accueil de l’enfant, des qualités profondes que la nature a établies et que notre code civil, à la suite de toutes les civilisations, a reconnues. Ces deux mots résonnent comme les premières syllabes émises par le bébé et traduisent parfaitement l’égalité homme/femme chèrement acquise au long des siècles et gravée dans le marbre par la déclaration universelle des droits de l’homme.


Des droits des femmes, de la diversité et de la parité

Notre société porte actuellement une attention particulière aux droits des femmes. Ne serait-il pas tout d’abord judicieux de leur conserver le droit de porter le beau titre de ‘mère’ plutôt que ‘parent 1’ ou ‘parent 2’?

Notre société attache aussi de l’importance à l’égalité des chances entre hommes et femmes, elle insiste sur les bienfaits de la parité : il faut se réjouir que progresse la juste place des femmes dans la société non seulement car elles le méritent et car c’est justice, mais aussi car la société a besoin de la diversité pour progresser. C’est un point qui fait maintenant consensus, même au sein des entreprises à but lucratif, preuve que la diversité des sexes, comme les autres diversités, est un facteur favorable non seulement pour l’atmosphère de travail, mais jusque sur le plan économique. Une société qui prône la parité à tous les échelons, sauf à sa base fondamentale c’est-à-dire au sein du couple et de la famille, là où les enfants sont naturellement procréés et éduqués, une telle société ne fait-elle pas preuve d’incohérence ? On ne peut faire fi des données de la nature qui veut que tout enfant naisse d’un père et d’une mère. Dire à un enfant qu’il a deux papas ou deux mamans est un véritable mensonge, ce serait pourtant le message implicite d’un code civil qui supprimerait les notions de père et de mère.

Priorité aux enfants

Dans le mariage, la relation affective qui noue l’union entre époux importe moins à la société que le fait que cette union est le berceau de futurs citoyens. Car toute société tient ses enfants pour le bien le plus précieux et instaure une solidarité préférentielle envers eux. L’article 16.3 de la déclaration universelle des droits de l’homme mentionne encore que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat ». Cette protection est tout particulièrement dans l’intérêt de l’enfant, cet être fragile en formation. Pour construire son identité, il s’appuie normalement à la fois sur un modèle féminin et sur un modèle masculin. Quand les accidents de la vie le privent de sa mère ou de son père (décès, séparation, divorce, …) il subit une blessure psychologique profonde. Ce fut le cas pour mes quatre enfants qui perdirent précocement leur père. Pour les élever, j’ai moi-même essayé de pallier un peu à ce vide en fréquentant régulièrement des familles proches comportant à la fois père et mère. Réussir l’éducation d’un enfant est une tâche si difficile qu’il ne faut pas la compliquer en se mettant volontairement dans des conditions où manque un parent.

En conclusion, ce projet de loi jette le trouble dans les familles naturelles en niant l’évidence du caractère hétérosexuel du couple. Il institue ainsi une sorte de mensonge légal au sein du code civil, ce qui augure mal de l’avenir de notre civilisation. De plus pour satisfaire le désir d’enfant de certains adultes, il prive l’enfant soit d’un père soit d’une mère. Enfin, s’il allait jusqu’à la procréation médicalement assistée, il serait contraire à l’éthique en instrumentalisant la personne donneuse de gamètes. C’est un projet de loi dangereux pour la société.


Odile MACCHI, veuve, mère de quatre enfants précocement orphelins de père, grand-mère de quatorze petits enfants et Membre de l’Académie des sciences, le 18 décembre 2012