L’année 2016 qui s’achève vient d’être marquée par la célébration, le 1er décembre dernier, du centenaire de la mort de Charles de Foucauld dans le désert saharien. A cette occasion, les Fraternités monastiques de Jérusalem ont organisé récemment, à Vézelay, deux journées de réflexions sur le thème « Charles de Foucauld, un chemin d’Évangile ».
Beaucoup a été dit et écrit, surtout en cette année anniversaire, sur Charles de Foucauld dont l’histoire et la personnalité sont à la fois multiples et complexes, ce qui explique sa béatification tardive en 2005 par Benoît XVI. Successivement officier, explorateur et religieux, il n’en a pas moins continué à être les trois à la fois, l’officier à la vie agitée témoignant en fait, dans son désordre, de sa recherche de Dieu et le religieux restant attaché à ses amitiés militaires, notamment avec le général Laperrine, et à la connaissance de l’Afrique saharienne et de ses populations.
Après sa conversion, en 1886, sa vie n’en deviendra pas plus linéaire, tant il n’aura de cesse de trouver sa vocation : au Frère Marie-Albéric de la Trappe d’Akbès en Syrie, succédera l’Ermite de Nazareth puis, après son ordination, le Frère universel retiré dans le Hoggar. Sa recherche continue de sa vocation témoigne de son ardente volonté d’une plus grande perfection afin d’imiter au plus près Jésus-Christ. C’est aussi la manifestation d’une personnalité extrême qui, après les excès de sa jeunesse tumultueuse, même s’il en a sans doute exagéré le caractère après-coup, opte pour la rigueur la plus absolue au point que son père spirituel, l’abbé Henri Huvelin, lui interdit de faire des disciples. Ce n’est qu’après la mort de Charles de Foucauld que seront fondées des congrégations et des associations de fidèles, au nombre d’une vingtaine aujourd’hui, qui se réclament de sa spiritualité.
Celle-ci est, à l’image de son initiateur, multiple et exigeante, inspirée des grands mystiques comme Sainte-Thérès d’Avila, accordant une grande place à l’adoration eucharistique et développant une évangélisation fondée moins sur l’enseignement que par l’exemple appelée apostolat de la bonté.
Dans cette spiritualité, une attention particulière doit être accordée à l’abandon à Dieu exprimée dans la prière devenue célèbre : « Mon Père, je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je te remercie, je suis prêt à tout, j’accepte tout », qui exprime, d’une manière radicale, la soumission à la volonté de Dieu. On pourrait penser que cette prière est l’aboutissement, à la fin de sa vie, de la démarche spirituelle de Charles de Foucauld. Or, tel n’est pas le cas, ce qui doit conduire à donner à cette prière une autre lecture que celle qui en est faite habituellement.
Au départ, cette prière n’en est pas une car il s’agit d’une méditation écrite à la Trappe d’Akbès, sans doute dans le cadre de la formation des oblats, sur le texte de Saint-Luc (23-46) « Mon Père, entre vos mains, je remets mon esprit ». Si prière il y a, ce n’est pas celle du Frère Marie-Albéric, mais celle de Jésus à son Père, dans un moment très particulier, celui où il va mourir sur la Croix. C’est aussi à un moment très particulier de sa vie que Charles de Foucauld rédige son texte, alors qu’il a un doute sur sa vocation de trappiste, vécu comme une sorte de mort intérieure. La prière d’abandon est donc la prière du seuil de la mort est c’est d’ailleurs comme telle qu’elle a commencé à être diffusée, à partir de 1940, dans les communautés se réclamant du Frère Charles.
On peut dire que celui-ci se glisse alors dans la prière de Jésus pour la faire sienne. Certes, son abandon est l’expression d’une obéissance totale à la volonté du Père à travers celle à ses supérieurs, considérant qu’« il n’y a pas d’oblation sans immolation ». Toutefois, loin de toute démission ou de tout fanatisme, cet abandon est l’affirmation d’une confiance totale en Dieu. Charles, orphelin très jeune de ses parents, voit d’abord en Dieu la figure du Père dont il se sent adopté par lui depuis sa conversion. Par sa prière, adressée à « Mon » Père, il décrit la tendresse de Dieu découverte sous les traits du Christ.
Dès lors, lui qui a toujours recherché à imiter au plus près Jésus, peut passer du « Père, pourquoi m’as tu abandonné » au « Père, je m’abandonne à toi ». Cette prière n’est donc pas le bilan spirituel de Charles de Foucauld à la fin de son existence mais, au contraire, celle qui va conformer sa vie jusqu’à la fin et déterminer sa vocation ultime.
Dans le désert de l’Assekrem où il a choisi de se retirer, au milieu des pauvres, la prière d’abandon va lui permettre de comprendre que plus que le sacrifice de sa liberté, plus que son dévouement envers les plus démunis, Dieu attend de lui qu’il accepte sa propre pauvreté pour que, de petit frère des pauvres, il se reconnaisse enfin pauvre petit frère.
C’est aussi, pour nous-mêmes, ce qu’il nous appartient de comprendre en ce temps de Noël, quand nous nous penchons sur le berceau de l’Enfant de la crèche.
Pour aller plus loin :
- Du Vrai, du Vécu sur Bernard Baray, ou le centenaire du peintre de L’Isle-Adam, des Cœurs Vaillants et des vies des saints
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918