Le pape Benoît XVI est arrivé à Cuba lundi. Moi non. Je devais voyager avec un groupe de l’archidiocèse de Miami. Une employée de l’archidiocèse m’a appelé peu avant le départ pour me dire que le gouvernement cubain m’avait refusé le visa.
Ce n’est pas la première fois. En 1998, quand le pape Jean-Paul II est venu, les Cubains m’ont fait poireauter à l’aéroport Kennedy alors que l’avion du cardinal O’Connor était sur le point de décoller. Ils ont cédé à la dernière minute. Malheureusement – pour eux – dans l’intervalle, j’ai accepté un entretien traitant de leur régime répressif avec un jounaliste télé. Il a été diffusé après notre décollage.
Mon aventure n’est qu’un minuscule grain de sable dans le demi-siècle de la catastrophe Castro qui a frappé une île autrefois si pleine de vie. Mais cela montre à quelles extrémités un groupe d’insignifiants staliniens, rescapés de plus de 20 ans de la Guerre Froide, est encore disposé à recourir pour étouffer la critique. Dans l’avion, Benoît XVI a dit : « Nous voulons aider dans un esprit de dialogue, pour éviter les traumatismes et aider à évoluer vers une société fraternelle et juste, un but que nous désirons atteindre pour le monde entier. » C’est tout à fait exact, mais le dialogue se construit seulement si l’on parle vrai.
Aujourd’hui, c’est le dernier jour du pélerinage. Le Pape et la hiérarchie cubaine feraient beaucoup pour le peuple cubain prisonnier s’ils insistaient pour rencontrer les dissidents et les opposants. Ils montreraient quel est le strict minimum attendu par les autorités morales pour mettre en place un réel dialogue.
Comme je l’ai appris en 1998, il y a beaucoup de dissidents cubains. Et ils sont à la fois courageux et bien informés. Un leader syndical catholique, qui citait la doctrine sociale de l’Eglise comme peu de chrétiens du monde libre en seraient capables m’a déclaré : « qu’a donc Castro comme soutien ? la fuerza [force]. Ca suffit. »
Un pasteur protestant évoquait la façon innovante dont les congrégations se rassemblent et grandissent, bien que le gouvernement n’ait même pas délivré un seul permis de construire pour une nouvelle église depuis des années.
D’un autre côté, le peuple a été délibérément isolé. Le même pasteur suggérait d’appeler d’autres leaders, mais interrogé sur le moyen de les joindre, ne pouvait même pas indiquer où trouver un annuaire téléphonique : « Vous devez comprendre. C’est un gouvernement communiste. Ils mentent à propos de tout. ils disent qu’il y a des annuaires. je n’en ai jamais vu un. »
Encore plus frappant : en 1998, quand la papamobile de Jean-Paul II est arrivée sur la place de la Révolution, j’ai moi-même entendu des gens s’exclamer « Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Benoît XVI a une profonde compréhension des forces historiques à l’œuvre dans le monde, et il n’est pas né de la dernière pluie. Mais s’il ne rencontre pas les dissidents, il renforcera l’impression – pas entièrement erronée – que l’Eglise institutionnelle s’est compromise à Cuba.
Cela s’est fait en raison du souhait de conserver un espace social pour les activités religieuses et caritatives. Cela a réussi à procurer une marge de manœuvre, mais – tout comme pour les églises soviétiques et d’Europe de l’Est – de tels compromis ont un coût moral élevé.
Dans les années 60, de nombreux prêtres et fidèles cubains ont chèrement payé leur résistance : mort, prison ou exil. Personne ne devrait prendre à la légère de tels témoignages, ni s’attendre à ce qu’ à notre époque d’autres fassent aujourd’hui automatiquement ce dont peu d’entre nous sont capables.
Mais il y a des signes troublants. Par exemple, le cardinal Jaime Ortega a récemment autorisé les forces de sécurité cubaines à chasser 30 dissidents demandant à rencontrer le pape de l’église N.-D. de Charité, au centre-ville de la Havane. Pendant que d’autres dirigeants plaisantent sur le nombre de prisonniers politiques, l’évaluant à 11 millions (la population de Cuba), il a minimisé leur nombre (plus de 3000 en 2011, encore ne s’agit-il que de ceux connus) et déclaré que certains d’entre eux étaient « des criminels ». Même des gens sensibles à sa position délicate évoquent parfois le syndrome de Stokholm.
La Croix Rouge Internationale n’est pas autorisée à inspecter les prisons cubaines pour des raisons évidentes. Selon des rapports, les prêtres parlant trop hardiment sont mis à la retraite où envoyés dans des trous perdus. Le cardinal a célébré des messes pour la santé du tyran vénézuélien en difficulté Hugo Chavez il y a juste quelques semaines – un geste chrétien, en un sens, qui devrait probablement être étendu de façon habituelle à nombre de catholiques et autres Cubains victimes d’injustice.
En attendant, le régime a menacé un large groupe de dissidents et d’opposants, et leur a interdit de quitter leur habitation et de se manifester pendant la visite du Pape.
Nous pouvons voir maintenant l’intrépidité du Pape. Benoît XVI était certainement candide quand il déclarait lors du vol vers Mexico qu’ « il est évident que l’idéologie marxiste telle qu’elle est conçue ne correspond plus à la réalité ». C’est une vue intellectuelle facile. Il aurait aussi déclaré que cela demanderait « de la patience et de l’esprit de décision » pour venir à bout du problème. [en espagnol, le rapport déclare qu’il a parlé « de patience et compréhension (entendimiento). »]
Quelle que soit la véritable version – les deux pouvant refléter la pensée de Benoît XVI, qui se focalise d’abord et à raison sur le renouveau spirituel – personne ne devrait croire que l’avenir de Cuba sera facile. Beaucoup prennent leurs désirs pour des réalités, s’imaginant qu’après la mort de Fidel et Raul Castro, une révolution démocratique surgira quasi automatiquement d’une manière ou d’une autre. Mais le fils de Raul dirige les services de sécurité de l’État et il y a au pouvoir une quantité de voyous chevronnés bien incrustés, qui ne tourneront pas en pieux enfants de chœur au départ des Castro.
Sans une importante aide internationale, que Benoît XVI est encore en mesure d’offrir, Cuba prendra le même chemin que la Corée du Nord et deviendra un abcès d’impact planétaire pour les décennies à venir. La responsabilité de l’avenir ne repose évidemment pas uniquement sur Benoît XVI. Mais prions pour qu’il rencontre et encourage ceux qui veulent diriger leurs vies vers la liberté et la justice, qu’il bouscule les choses dans la bonne direction.
— –
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/my-non-trip-to-cuba.html
Photo : Fidel Castro et Kim Il Sung
— –
Robert Royal est rédacteur en chef de Catholic Thing et président de l’institut Foi et Raison de Washington. Son dernier livre est The God That Did Not Fail : How Religion Built and Sustains the West.