C’est le propre des saints que d’ouvrir une route, de tracer un chemin là où tout semblait finir en impasse. Et c’est le rôle de la Providence divine que de nous les proposer lorsque ces voies nouvelles sont le plus nécessaires. Ainsi en est-il de Charles de Foucauld, canonisé le 15 mai, et de Pauline Jaricot, béatifiée le 22 mai à Lyon. Tous deux esquissent un renouveau possible de la mission, après des années post-conciliaires qui avaient mené à un certain relativisme religieux.
À notre XXIe siècle engoncé dans le matérialisme desséchant, le Frère Charles de Jésus oppose le silence et la beauté âpre du désert, de nos déserts intérieurs : là où Dieu vient parler à nos cœurs infidèles, comme il le fait dire au prophète Osée. Vis-à-vis de l’islam, il montre aussi une voie inédite, une ligne de crête faite de bonté et aussi d’esprit missionnaire incontestable. Ce qui était alors valable pour l’Algérie l’est désormais pour la France : il s’agit de porter l’Évangile aux musulmans…
Enracinée et missionnaire
Pauline Jaricot, elle, n’est pas allée au bout du Hoggar, mais elle a vécu pleinement l’exigence de la vie chrétienne, enracinée dans la réalité ouvrière lyonnaise du XIXe siècle, face à l’industrialisation naissante et déstructurante des modes de vie antérieurs. Montrant que l’on peut être missionnaire et se réclamer d’un terroir, d’une identité ancrée dans l’amour de sa terre et de ceux qui y vivent. Aujourd’hui, la nouvelle frontière serait celle des laissés-pour-compte et des blessés de la mondialisation, cette France périphérique oubliée des grands centres urbains…
Le deuxième aspect commun à ces grandes figures de la mission réside dans leur caractère hors normes : normes bourgeoises de la famille de soyeux lyonnais dont Pauline Jaricot s’affranchit, et normes religieuses qui ne convinrent pas à Charles de Foucauld : même la rudesse de la Trappe de Notre-Dame des Neiges n’était pas assez dépouillée pour lui. Il leur a donc fallu puiser une énergie et une force incroyable pour aller au-delà des schémas de l’époque. Dans le cas de Pauline Jaricot, l’aide surnaturelle est manifeste, elle qui souffrit toute sa vie de la maladie et trouva dans l’eucharistie la source de son inlassable activité.
C’est de cet esprit de résistance dont nous avons besoin aujourd’hui, pour aller à contre-courant d’un monde en proie aux idéologies destructrices des certitudes naturelles les mieux établies : la famille, la distinction homme-femme, l’éducation, le respect de la vie… Non pas pour s’enfermer dans un ghetto, mais pour continuer d’annoncer avec courage le Christ à nos contemporains. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! », s’écrie saint Paul.
Pour cela, il faut aussi une solidité intérieure et une formation éprouvée. Bien qu’inclassable, Pauline Jaricot s’est ancrée dans le meilleur de la tradition lyonnaise, venue de l’héroïsme des martyrs – sainte Blandine – et de la sagesse des docteurs – saint Irénée. C’est elle, cette tradition, qui permit l’étonnante éclosion nouvelle de sainteté à Lyon, dont fit partie Pauline Jaricot après la fureur révolutionnaire. Tradition et mission ont bel et bien partie liée.