Meurtre, adultère et le témoignage au Christ de l’Église
Le mois dernier, le pape François a condamné la peine capitale et la dissuasion nucléaire. Indépendamment de la signification magistérielle de ses déclarations, elles posent une question fondamentale pour ceux qui promeuvent la théorie morale selon laquelle les jugements subjectifs de la conscience déterminent notre état devant Dieu et devant l’Église : « Si les jugements subjectifs sont ultimes, comment une déclaration d’un pape ou d’évêques, ou même de Jésus lui-même, peut-elle être normative pour le comportement chrétien ? » La recherche d’une réponse révèle pourquoi l’Église a toujours rejeté cette théorie et pourquoi il faut y renoncer pour faire fleurir l’Évangile.
Le cardinal Schönborn, le père Spadaro et d’autres soutiennent que pour déterminer un comportement correct, un chrétien doit appliquer les idéaux moraux aux situations concrètes. La conscience joue un rôle critique dans ce processus, à tel point que, si quelqu’un juge une certaine action permise, il doit être considéré comme innocent du péché, indépendamment de l’acte ou de ses conséquences. Par conséquent, le jugement des gens ne peut être fondé sur le comportement ou les normes morales, même pas par l’Église. On dit maintenant que le rôle de l’Église est de former les consciences, pas de les remplacer.
Les partisans de cette théorie soutiennent, par exemple, que quelqu’un qui a divorcé et s’est remarié peut s’engager dans des relations sexuelles dans cette deuxième union afin de favoriser la fidélité et d’assurer le bien-être des enfants. La théorie n’exige notamment pas d’établir que le premier mariage était invalide, mais seulement que la seconde union comporte un bien important qui serait mis en danger si l’activité sexuelle cessait.
La théorie affirme que « l’idéal de l’évangile » de Jésus d’un mariage indissoluble et fidèle n’est pas violé par cette relation sexuelle du fait des réalités complexes de la deuxième union. De plus, elle considère qu’aussi longtemps que le couple agit selon sa conscience, il n’y a pas de culpabilité subjective et il peut toujours recevoir la Sainte Communion. Même si un couple est au courant en conscience de commettre l’adultère, nous dit-on, il peut se sentir obligé de faire ainsi sans crainte que des biens légitimes puissent être perdus et ainsi reste libéré du péché mortel parce qu’il agit avec une liberté atténuée.
Sous cette théorie de la morale, imaginez qu’un pape doive enseigner avec autorité que la peine capitale et la dissuasion nucléaire sont contraires aux « idéaux évangéliques ». Cet enseignement devrait alors, selon la théorie, être adapté aux réalités de la vie chrétienne.
Quiconque prenant des décisions sur la peine capitale et la dissuasion nucléaire – y compris ceux qui votent – doit traiter de situations éminemment complexes impliquant des biens concurrents. Par exemple, comment un système légal assure la sécurité de détenus et de gardiens vis-à-vis d’un meurtrier sociopathe qui continue de tuer en prison ? Ou comment une nation protège-t-elle ses citoyens des désastres qui pourraient résulter d’un désarmement nucléaire unilatéral face à un ennemi déterminé à développer et à utiliser ce genre d’armes ?
Dans des situations si complexes, les gens peuvent reconnaître la valeur de chaque vie humaine tout en acceptant des formes de peine capitale et de dissuasion nucléaire. Prendre des vies humaines seulement lorsque c’est nécessaire pour sauver des vies humaines peut démontrer un profond regret de toute nécessaire perte de vie, et aussi exprimer un respect qui s’étend même aux « criminels endurcis » et aux « ennemis ».
Ce type d’approche retenue et consciencieuse semble soutenir nos nouveaux idéaux imaginés en affirmant la dignité humaine tout en répondant de façon réaliste à des situations complexes de menace existentielle. D’un point de vue moral, le raisonnement serait pour l’essentiel le même dans le cas des couples divorcés et remariés dont on dit qu’ils soutiennent les idéaux de Jésus en matière de fidélité conjugale et d’indissolubilité tout ne s’engageant dans des relations sexuelles pour préserver une deuxième union.
Bien sûr, on pourrait dire que ceux qui choisissent la peine capitale et la possession d’armes nucléaires devraient abandonner ces pratiques et choisir de vivre les nouveaux idéaux en croyant le Seigneur plutôt qu’en cédant à la peur. Souvenez-vous tout de même que la théorie que nous examinons énonce explicitement que la peur de perdre un bien important est une raison qui justifie de s’écarter des « idéaux de l’Évangile ». Si des gens défendent une communauté ou une famille, qui sommes-nous pour juger leurs actes, pour déterminer la légitimité de leurs peurs ou remplacer leurs consciences ?
Il devient clair que si la théorie morale soutenue par Schönborn, Spadaro et autres est correcte, aucune assertion de Jésus, d’un pape ou du Magistère ne peut être déterminante pour la conduite chrétienne. Au mieux, de telles assertions expriment des « idéaux » évangéliques qui nécessitent une adaptation aux circonstances. Par conséquent, personne agissant selon sa conscience ne pourrait être sanctionné pour ne pas avoir respecté ces idéaux.
Évidemment, la théorie est fausse, ainsi que l’Église l’a déclaré à plusieurs reprises. L’Église n’a jamais enseigné que suivre sa conscience garantisse d’être libre du péché ou apte à recevoir la Sainte Communion, parce que la conscience peut égarer quelqu’un à cause des distorsions dues aux péchés antérieurs ou par un manque coupable de formation conforme à l’Évangile proclamé par l’Église. Donc, une personne qui suit une conscience fausse et coupable en jugeant innocent lui ou ses actions, peut être réellement coupable de péché mortel même s’il ne le reconnaît pas.
La théorie ignore aussi la vérité que, pendant que l’Église ne remplace pas la conscience, une part essentielle de sa tâche de formation des consciences est de corriger et de sanctionner les fidèles. Cela n’entraîne pas le jugement de leur culpabilité subjective, mais la réalité objective de leurs actes et croyances à la lumière du Christ et de l’Église. Le Christ lui-même a établi cette autorité ecclésiale pour juger et sanctionner (Mt 18, 17-18 et 18, 18-20).
Il n’y a qu’en Jésus, la Parole de Dieu incarnée, que l’humanité peut découvrir et embrasser la complète signification de la vie et de l’amour humains.
Néanmoins, le pouvoir de libération et de transformation de la Parole est à présent radicalement sapé par une théorie morale défectueuse qui réduit les réalités de l’Évangile en « idéaux » abstraits et dénature le rôle de l’Église dans le domaine de la formation, de la correction et de la sanction des consciences chrétiennes. Cette théorie discréditée est devenue un obstacle déterminant au témoignage de l’Église de notre temps envers le Christ. Il faut enlever cet obstacle avant qu’il ne commette des dégâts pires encore.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/11/15/killing-adultery-and-the-churchs-witness-to-christ/
Tableau : Les chefs des prêtres demandent à Jésus de quel droit Il agit par James J. Tissot, c. 1890 [Brooklyn Museum]
Le père Timothy V. Vaverek, docteur en théologie sacrée, est prêtre du diocèse d’Austin depuis 1985 et actuellement curé de paroisses à Gatesville et à Hamilton. Son doctorat porte sur la dogmatique, avec une insistance particulière sur l’ecclésiologie, le ministère apostolique, Newman et l’œcuménisme.