– Lundi 16 septembre 2013. Auteur : Robert Royal
Destinataire Vladimir V. Poutine
Expéditeur : Acme Ad Agency, NYC
Objet : Tribune libre du New York Times (et suite à donner)
Monsieur le Président, nous sommes contents que vous soyez contents du bon accueil dont ont récemment bénéficié nos efforts en matière de relations publiques. L’article que « vous » avez écrit pour le New York Times afin de mettre en garde le Président Obama avec de vibrants accents moraux a été, si l’on peut dire, un succès éclatant.
Ne laissez pas les critiques de quelques politiciens qui se sont déclarés « prêts à vomir » vous faire douter le moins du monde de votre efficacité. Si les Américains étaient pris de nausée chaque fois qu’une personnalité enrobe un discours dénué de sincérité dans une sublime phraséologie morale, ils seraient tous handicapés à vie. De même que l’équipe de la Maison Blanche, quel que soit le parti au pouvoir.
Et ils le savent. Nous aussi. Il y a une différence cette fois-ci : nous avons employé les grands mots avant qu’ils n’aient compris ce qu’ils voulaient. Même à présent, ils ne savent pas s’ils ont eu de la chance ou s’ils ont été roulés – ou les deux.
Faisons tout notre possible pour prolonger cet état d’indécision.
L’essentiel, c’est de les maintenir en suspens entre des principes moraux opposés. Oui, nous savons que ce n’est pas votre modus operandi habituel, président Poutine, mais faites-nous confiance sur ce point. Il n’y a pas de meilleur moyen de paralyser les Etats-Unis et, par extension, l’ensemble du monde occidental que de faire appel à leur idéalisme. Je vais vous expliquer.
Pendant la Guerre froide, vous avez travaillé pour un régime officiellement athée et avez dû brandir la justice économique pour couvrir vos actions. Il est encore utile d’avoir des arguments de cet ordre sous la main. (Vous pouvez aussi fourbir votre vieille tactique de la désinformation datant du KGB). Mais le monde a évolué. Vous le devez vous aussi.
« Vous » avez eu raison de terminer par cette phrase : « Dieu nous a tous créés égaux ». Elle s’appuie sur une confusion qui se rencontre dans les sociétés occidentales post-chrétiennes. Les premiers tenants de l’égalité savaient qu’il s’agissait de l’égalité des droits et devoirs fondamentaux. Cette égalité que Dieu avait vraiment instaurée.
Mais nous devons encourager les occidentaux à penser que de nombreux actes, autrefois passibles d’un sévère jugement moral et de répression, sont maintenant seulement « différents » ou à mettre en « perspective ». Le Président Obama pense beaucoup aux différentes « perspectives ». Nous voulons qu’il continue.
Mais nous devons être plus prudents. « Vous » affirmez : « Depuis le début, la Russie a recommandé un dialogue pacifique permettant aux Syriens d’élaborer un plan de compromis pour leur propre avenir. Nous ne protégeons pas le Gouvernement syrien mais le droit international ». Une perspective différente en effet, à tout le moins. Mais vous avez pris un risque. Certaines personnes (de moins en moins nombreuses, il est vrai) engrangent les faits sans se limiter au choc des informations immédiates. Cette affirmation n’a pas beaucoup nui parce que tous sont très soulagés qu’aucune opération militaire ne soit entreprise maintenant. Mais à l’avenir, évitez les affirmations qui peuvent soit être contestées soit s’avérer erronées. Nous ne voulons pas retenir les faits. Nous voulons des revendications morales divergentes. Et la paralysie.
Par exemple, dans le New York Times, nous avons largement tiré parti de la condamnation de la guerre par le pape. Tous les gouvernements occidentaux se sentent désormais coupables à l’idée d’utiliser la force, même pour protéger des innocents.
Notre section de recherches a fouillé les archives du Vatican pour y découvrir d’autres idées utiles. Voici ce que nous avons trouvé : la déclaration du pape Jean-Paul II à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix en l’an 2000 :
De toute évidence, quand les populations civiles risquent de succomber sous les coups d’un agresseur injuste et que les efforts de la politique et les instruments de défense non-violente n’ont eu aucun résultat, il est légitime et c’est même un devoir de recourir à des initiatives concrètes pour désarmer l’agresseur. [C’est nous qui soulignons.]
Jean-Paul II n’était pas né de la dernière pluie, comme on dit. Il avait eu affaire à vos prédécesseurs communistes et s’attachait davantage aux faits qu’aux mots. Les faits sont dangereux, n’est-ce pas ? Heureusement, il poursuit ainsi :
Ces mesures, toutefois, doivent être limitées dans le temps, avoir des objectifs précis et être mises en oeuvre dans le plein respect du droit international, être garanties par une autorité reconnue au niveau supranational et, en tout état de cause, n’être jamais laissées à la pure logique des armes.
Jean-Paul II voulait que la raison – incarnée par le droit international – empêche un pays d’en attaquer un autre sous prétexte « d’intervention humanitaire ». Mais il ne voulait pas protéger les voyous. Donc, si nous voulons pouvoir manœuvrer, nous devons veiller à ce que nul ne réforme les institutions internationales pour les rendre efficaces.
C’est pourquoi « vous » avez eu un moment d’inspiration quand vous avez retourné la vérité :
Nul ne veut que l’ONU connaisse le sort de la Société des Nations qui s’est effondrée parce qu’elle n’avait pas de véritables moyens de pression. Ce qui pourrait arriver si des pays influents contournent l’ONU et prennent des mesures militaires sans l’autorisation du Conseil de Sécurité.
Tenez-vous en à cette ligne de conduite. Recommandez que l’ONU ait de l’influence tout en vous assurant que le Conseil de Sécurité, où vous avez un droit de veto, soit aussi inutile que l’Assemblée générale.
« Vous » avez aussi fait très fort en niant le statut « exceptionnel » de l’Amérique. En s’efforçant de plaider sa cause, le Président Obama s’est de façon étonnante référé au « statut exceptionnel » de l’Amérique qu’il avait nié pendant toute sa présidence.
Il devait être complètement à court d’arguments moraux, et c’est exactement ce que nous voulons. « Vous » avez édicté d’un ton solennel : « Il est dangereux d’encourager les peuples à se considérer comme exceptionnels ».
Parfait. Obama qualifie les idéaux américains d’exceptionnels. Vous modifiez son texte, comme s’il était le Führer encourageant le Volk. De nombreux Américains et occidentaux – habitués qu’ils sont à ne retenir que des bribes de la vieille éthique chrétienne – retiendront seulement que quelqu’un prétend être supérieur aux autres.
Ils ne prendront pas carrément la défense de l’humilité, qualité qui n’est pas moderne. Mais nombre d’entre eux sont prêts à contester que ce qui est américain est mieux que l’équivalent dans d’autres sociétés. Ils dénigreront les idéaux américains, poussés par un ressentiment prenant le masque de la modestie.
En vérité, cet article a ouvert tout un nouveau champ de possibles. Notre équipe de rédaction est en train de préparer une campagne et nous vous adresserons une autre proposition avant que les négociations sur les armes chimiques soient terminées.
Bravo, Vlady. Na zdorovie, tovarichtch.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/memo-to-putin.html