Note : ce texte fait partie de la série consacrée au cardinal Newman qui sera canonisé le 13 octobre prochain.
Maintenant que la canonisation du Bienheureux John Henry Newman (1801-1890) est imminente, il y a une joyeuse attente de la part des fidèles, dont beaucoup remercient Dieu pour le témoignage fidèle qu’il a montré pour ce qu’il appelait « l’unique et véritable Eglise du Rédempteur ». Mais il y a également une crainte que certains personnages au sein de l’Eglise détournent son héritage pour avancer des opinions qui l’auraient fait sursauter.
Comme Newman l’a autrefois dit dans une lettre de 1846 à Henry Wilberforce : « même ceux qui ont une haute opinion de moi ont des impressions des plus confuses et bizarres dans l’idée qu’ils se font de moi ; et ils ressentent du respect, non pour moi, mais pour quelque chimère sortie de leur imagination et qui porte mon nom ». De tous les commentateurs cherchant actuellement à détourner les idées de Newman, aucun n’a été plus éhonté que le cardinal Walter Kasper.
En 2008, le cardinal a pris la parole à la conférence de Lambeth, qui débattait quant à l’admission de femmes et d’homosexuels dans l’épiscopat anglican. Il y avait alors dit aux anglicans : « les questions d’ecclésiologie ont longtemps été un point de controverse majeur entre nos deux communautés. Jeune étudiant, j’ai déjà étudié tous les arguments ecclésiologiques présentés par John Henry Newman qui l’ont poussé à devenir catholique. Ses principales préoccupations tournaient autour de l’apostolicité en communion avec le Saint-Siège comme garant de la tradition apostolique et de l’unité de l’Eglise. Je crois que ses questionnements demeurent d’actualité et que nous n’avons pas encore épuisé cette discussion. »
Ceci est probablement une référence implicite à ‘Essai sur le développement de la doctrine chrétienne’, qui reconfirmait brillamment l’Eglise de Rome « comme la gardienne de la tradition apostolique ». Pourtant le cardinal Kasper avait clos son discours sur une note ambiguë :
Peut-être qu’à notre propre époque il serait possible… de penser à un nouveau Mouvement d’Oxford… un recours original à la Tradition Apostolique dans une situation nouvelle. Cela ne signifierait pas un renoncement à votre profonde sollicitude envers les défis et les luttes de l’humanité, votre désir de dignité et de justice humaines, votre souci du rôle actif de toutes les femmes et de tous les hommes dans l’Eglise. Cela conduirait ces préoccupations et les questions qui en découlent plus directement dans le canevas dessiné par l’Evangile et l’ancienne tradition commune sur lesquels notre dialogue est basé.
Sandro Magister, le très respecté commentateur du Vatican, lit ces remarques comme signifiant que Kasper était opposé aux innovations des anglicans. Mais l’était-il ?
Préalablement à la béatification de Newman, Kasper a déclaré en 2010 au ‘Guardian’ qu’il était opposé aux innovations des anglicans.
« Regardez les églises protestantes… Elles ont des pasteurs mariés, des femmes-pasteurs également. Font-elles mieux ? L’Eglise d’Angleterre a aussi affronté de terribles problèmes avec ces développements. Je ne souhaiterais pas ces problèmes à mon Eglise ».
Kasper croyait que l’Eglise d’Angleterre risquait l’implosion en se pliant à l’esprit du temps :
« il y a une crise des valeurs et du sens dans la société occidentale, qui a sa source dans Les Lumières, et qui a reçu plus d’élan grâce aux mouvements radicaux des années soixante. Et parce que les églises vivent dans cette société, leur foi s’affaiblit ».
Plus tôt encore, en 1978, Kasper avait écrit :
« l’indissolubilité du mariage sacramentel et l’impossibilité de contracter un autre mariage tant que le premier partenaire est toujours vivant forment une partie de la tradition incontournable de la foi de l’Eglise et ne peuvent pas être abandonnées en faisant appel à une compréhension superficielle d’une miséricorde au rabais ».
Pourtant, dans son discours d’ouverture sur le mariage au synode de la famille en 2014, Kasper a soutenu que l’Eglise pourrait altérer l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage et sur l’Eucharistie pour admettre des catholiques divorcés remariés à la table du Seigneur.
Le professeur Juan José Perez Soba, un spécialiste respecté de la théologie de Jean-Paul II, s’est opposé à cette idée, argumentant que « on ne peut pas même commencer à réfléchir à la dénommée ‘solution pastorale’ du cardinal Kasper sans avoir préalablement clarifié l’existence du lien du mariage.
Considérant sa façon de raisonner, on pourrait supposer que le cardinal émet des doutes quant à la permanence du lien du mariage ».
Dans ‘Stimmen der Zeit’ (novembre 2016), le cardinal Kasper a insisté sur le fait que ‘Amoris Laetitia’ du pape François
« ne parle pas d’une image abstraite de la famille sortie d’un bureau d’étude mais d’une image réaliste avec les joies comme les difficultés de la vie familiale actuelle… Elle ne veut pas critiquer, moraliser ou endoctriner mais elle s’occupe ouvertement de sexualité et d’érotisme d’une façon détendue exprimant la compréhension et l’estime pour le bien qui peut également être trouvé des des situations qui ne sont pas, ou pas pleinement, conformes à l’enseignement et aux ordonnances de l’Eglise ».
Le cardinal Kasper s’est éloigné à des années lumières de la tradition antique à propos de laquelle il avait autrefois loué Newman qui la réaffirmait.
Pourtant il a expressément invoqué Newman pour justifier ces graves dérives, prétendant que l’enseignement de l’Eglise sur le mariage :
ne change pas mais peut être approfondi, peut être différent. Il y a également une certaine croissance dans la compréhension de l’Evangile et dans la doctrine, un développement. Ce n’est pas un changement, mais un développement dans la même ligne. Naturellement, le pape le veut et le monde en a besoin. Nous vivons dans un monde globalisé et vous ne pouvez pas tout gouverner depuis la Curie. Il doit y avoir une foi commune, une discipline commune mais une mise en application différente.
C’est le fameux « changement de paradigme », ainsi qu’il l’a nommé, empruntant une phrase de Thomas Kuhn, le philosophe de la science, la conséquence étant que pour Kasper, dans la vie comme dans le développement doctrinal, « il n’y a ni blanc ni noir mais seulement différentes nuances et ombres ».
Lisant cela, on peut voir que les idées du cardinal Kasper sur le développement ont subi des développements surprenants qui leur sont propres, mais qui n’ont rien à voir avec le développement authentique réaffirmé par le bienheureux cardinal John Henry Newman.
Lecteur, prends garde.
Edward Short, diplômé en histoire et histoire de l’art, vit à New York avec son épouse et leurs deux jeunes enfants. Il a écrit des livres dont le plus récent sur Newman : ‘Newman and History’.
Illustration : « John Newman » par Henry Joseph Whitlock, 1879 [Galerie Nationale du Portrait, Londres]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/08/31/beware-the-kasperization-of-newman/