Pourquoi ne pas l’admettre ouvertement ? Cette époque est dure à vivre pour les fidèles attachés à leur Église. L’émission de télévision consacrée à la pédophilie dans le clergé a des effets terribles sur ce qu’on appelle l’image de l’institution dans l’opinion. Mais les chrétiens eux-mêmes sont affectés par cette écharde dans leur propre chair. Cette chair qui est leur en effet, puisqu’ils sont partie intégrante du corps du Christ. Or, il leur semble qu’un tel scandale leur rend invisible la grâce baptismale de l’Église. Parfois même elle disparaît sous l’effet accablant du péché qui corrompt tout. La tentation est grande alors de rejeter cette Église visible trop compromise, pour ne participer qu’à la seule Église invisible, étrangère par définition au mal et à ses morsures.
Il s’agit là d’une erreur grave. « L’Église est ici-bas et demeurera jusqu’à la fin une communauté mêlée : froment pris encore dans la paille, arche contenant des animaux purs et impurs, vaisseau plein de mauvais passagers, qui semblent toujours sur le point de l’entraîner dans un naufrage. » Le père de Lubac écrivant sa Méditation sur l’Église1 au cours d’une douloureuse épreuve personnelle, ne s’y trompait pas. S’il y a des saints authentiques parmi nous, l’ensemble du chœur ecclésial continue à réciter chaque jour le verset du Notre Père : « Remets-nous nos fautes. » Car c’est chaque jour que l’Église implore la force et la pitié de son Sauveur. « Chaque jour de cette terre est pour elle un jour de purification ; chaque jour elle doit laver sa robe dans le sang de l’Agneau jusqu’à ce qu’elle soit purifiée par le feu du Ciel et consommée en Dieu. »
Cela est vrai depuis la fondation de l’institution à la Cène et au Calvaire. Quand Paul ose parler de l’Église des saints, ce n’est pas pour désigner un ensemble de parfaits. L’erreur donatiste conduit à rejeter les pécheurs. Nous sommes in via, en chemin vers la plénitude eschatologique, une plénitude que nous vivons cependant par anticipation et non seulement en espérance : « Comme saint Ignace d’Antioche criant sa conviction qu’il ne serait vraiment pleinement homme qu’après avoir pénétré au séjour de la pleine lumière, l’Église sait qu’elle n’aura réalisé la perfection de son être qu’à la consommation du mystère pascal. » C’est dans l’épreuve aiguë qui remet en cause la crédibilité de notre Église qu’il nous importe de retourner aux sources théologiques, pour puiser la conviction que la grâce nous est donnée par elle. Et comme l’écrivait encore le père de Lubac, nous persévérerons à oser dire tout haut notre amour pour elle.