La seconde semaine de juin, nous avons pris des vacances familiales de début de saison sur l’île de Nantucket. Nantucket est à environ 225 miles à l’est de la banlieue new-yorkaise où nous résidons, alors le soleil s’y lève approximativement trente-deux minutes plus tôt. Cela, combiné avec l’orientation sud-est de la pièce que nous occupions explique probablement pourquoi mon fils Sébastien, sept mois, se réveillait chaque jour à 5h 45 tapantes.
Dans un effort pour procurer un peu de vacances à mon épouse, et pour éviter la colère des générations familiales tranquillement endormies dans les diverses pièces de la maison (et, plus important encore, pour protéger le sommeil paisible de sa sœur de deux ans et demi), je m’extirpais du lit le premier matin et installais Sébastien dans son porte-bébé pour un petit tour en ville.
Ce premier matin, un dimanche, nous nous aventurâmes jusqu’aux docks peu fréquentés, puis nous descendîmes Easy Street jusque Steamboat Warf, au-delà de White Elephant vers Brant Point, nous poussâmes ensuite vers Jetties Beach au delà des belles demeures sur Hulbert Avenue. Puis parcours inverse et retour à temps pour réveiller le reste de la famille pour la messe de 8h 30 à Notre-Dame de l’Ile.
Le deuxième jour, nous prîmes le rythme, Sébastien et moi. Nous explorâmes les avenues et les docks du vieux village de pêche à la baleine, pendant qu’il était tranquille et que le soleil allongeait encore les ombres.
Après notre marche, nous rejoignîmes les lève-tôt à la messe de 7h 30 à Notre-Dame de l’Ile, avant de nous attabler devant le petit déjeuner au Fog Island Café.
Au début, nous nous sommes promenés parmi les boutiques de fantaisies du centre-ville, nous sommes passés près des quelques yachts s’étant aventurés dans le chenal avant le pic touristique. Mais à mesure que le temps passait, ma curiosité historique s’est réveillée. Nous avons commencé à vagabonder plus loin et j’ai pris conscience du caractère vraiment ancien, selon les critères américains, de l’architecture de l’île.
Les premiers hommes blancs à s’établir à Nantucket furent des non-puritains fuyant les persécutions religieuses du Massachusetts en 1659. Les premières flottes de pêche à la baleine se constituèrent en 1690, et à partir 1715, après qu’un bateau détourné de sa route par un coup de vent ait rencontré et capturé un grand cachalot, la pêche à la baleine en haute mer s’intensifia.
Pendant les 140 ans qui suivirent, Nantucket a été la capitale mondiale de la pêche à la baleine. Mais cela ne devait pas durer. Un incendie ayant pris dans les stocks d’huile de baleine a presque entièrement détruit la ville en 1846. Dans le même temps, la ruée vers l’or en Californie attirait nombre de jeunes hommes bien bâtis qui auraient pu constituer les équipages des bâtiments à voile de la flotte de Nantucket et la guerre civile détourna encore plus de jeunes matelots.
A cette période, les champs pétrolifères de Pennsylvanie ont produit du pétrole, rendant l’huile de baleine obsolète. Le port de Nantucket s’est envasé, rendant impossible l’accès des grands baleiniers.
Ainsi, le système économique basé sur les ressources de l’île connut un coup d’arrêt, et les trente miles d’océan ont permis à la ville devenue tranquille de rester isolée et d’échapper ainsi à l’industrialisation qui a balayé le continent. Avec comme résultat aujourd’hui un village colonial préservé, figé au dix-neuvième siècle.
Vagabondant avec Sébastien, je fus peu à peu frappé par l’ampleur de l’histoire de la ville. Je me retrouvais planté devant des habitations construites par des sujets britanniques, quatre-vingt-dix ans avant la Révolution. Des générations de Starbuck, de Coffin, de Macy, de Folger ont vécu et sont morts sur l’île avant que l’un d’eux ne se pose la question : quelle est ma position au sujet de l’indépendance ?
J’eus le plus grand choc un matin en face d’une gigantesque construction de briques, sur Winter Street. C’était Coffin School, construite en 1854, après que l’établissement initial ait été détruit par le gigantesque incendie de 1846. La mission originelle de l’école était d’éduquer les descendants de Tristan Coffin, mort à Nantucket en 1681. Depuis que j’ai l’âge de mon fils, j’ai séjourné sur l’île plus souvent qu’à mon tour, et je n’avais encore pas vu ce bâtiment jusqu’alors. Un magnifique bâtiment, érigé par des hommes éminents, morts depuis longtemps. Des générations se sont succédé depuis son ouverture.
Comme je marchais, mon enfant assoupi sur la poitrine, je pris conscience combien la vie était courte et fugace, malgré son apparat et ses vanités. Il me parut alors, pendant que je descendais lentement la colline pour rejoindre Notre-Dame de l’Ile, que très peu de choses en valaient vraiment la peine dans ce monde.
Sébastien était profondément endormi le lundi matin qui suivit notre retour, alors que je quittais la maison à huit heures moins le quart pour me rendre au travail. C’était comme s’il savait que les vacances étaient finies. Elles l’étaient, mais je n’oublierai pas de sitôt les promenades effectuées avec mon fils dans les bras, parmi des monuments érigés par des hommes depuis longtemps disparus.
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Greg Pfundstein est le directeur de la fondation Chiaroscuro.
photo : Notre-Dame de l’Ile.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/midsummer-intimations-of-mortality.html