En juillet 1979, à 18 ans, j’ai passé plusieurs semaines dans un camp d’été de la Youth With a Mission (YWAM) à Cimarron, dans le Colorado. Niché sur le versant occidental des Colorado Rockies, le camp entraînait un échantillon de jeunes chrétiens évangéliques qui voulaient devenir pour vivre et partager leur foi.
Parmi les étudiants avec qui je passais la plupart de mon temps il y avait deux frères et une sœur qui venaient de Pennsylvanie. Bien qu’ils fussent américains, il y avait quelque chose en eux qui paraissait étranger, non familier. Ils s’habillaient drôlement et étaient anormalement polis, avec une compréhension extraordinairement remarquable de la Sainte Ecriture qui dépassait de loin celle de leurs pairs. Pourtant ils étaient aussi, aux yeux de mon ego arrogant de 18 ans que cela embarrassait, complètement en dehors de la culture contemporaine, spécialement les films et la pop music.
Une après-midi que nous étions en excursion, je demandai à l’un des frères, « Quel Beatle préfères-tu ? » A ma stupéfaction horrifiée, il répondit : « Nous ne connaissons personne de ce nom ». Je demandai alors : »Avez-vous déjà entendu les Beatles ? » Les deux autres, qui avaient entendu la conversation, répondirent presque en même temps que leur frère : « Non. »
« Pourquoi pas ? » répliquai-je, comme si j’avais été mis sur terre pour défendre la dignité du Quatuor Fabuleux. De ce qui suivit, j’en eus plein les oreilles : ils me donnèrent un long et détaillé compte rendu de leur vie familiale et de la nature de leur communauté religieuse. C’étaient des chrétiens mennonites qui vivaient en suivant strictement les normes et pratiques dont ils avaient appris qu’elles étaient essentielles dans le processus de sanctification.
Sans écouter très charitablement, je les jugeai rapidement eux et leur famille comme de pauvres âmes opprimées qui avaient besoin d’être libérés des chaînes d’une foi si étroite. Bien sûr, j’eus le bon sens de ne pas leur dire directement ce que je pensais, mais ils se l’imaginèrent probablement au vu de l’expression de mon visage et du ton incrédule de mes questions.
Dans les jours qui suivirent, à ma grande surprise, je me trouvai moi-même non seulement attiré par ces mennonites mais de plus en plus envieux de leur force intérieure et de leur sainteté personnelle. Ce qui me semblait quelques jours plus tôt un étouffoir peu engageant de l’expression individuelle, je commençai à le voir comme une liberté authentique que mes pauvres réflexes, ensorcelés par la culture populaire, n’avaient pas de mots pour caractériser exactement.
Je vis en ces trois jeunes étudiants un degré de générosité, de maîtrise de soi, de gentillesse, et d’amour qui, non encombré par les vicissitudes de l’époque présente, me fit honte à moi et à mes pairs évangéliques. Il s’avéra que c’était nous qui avions les chaînes et que c’était eux qui étaient vraiment libres.
Je ne pensais plus à cet été de 1979 depuis un bon bout de temps quand il y a deux semaines j’ai lu les commentaires du pape François sur le nombre croissant de jeunes catholiques qui sont attirés par la messe en latin.
Manifestement perplexe sur le fait qu’on pouvait être attiré par cette ancienne liturgie quand on n’avait pas été élevé avec elle, le Saint Père donnait son avis : « Parfois je me trouve confronté avec une personne vraiment stricte, avec une attitude de rigidité. Et je me demande : Pourquoi tant de rigidité ? Creusez, creusez, cette rigidité cache toujours quelque chose, sentiment d’insécurité ou quelque chose d’autre. La rigidité est une défense. Le véritable amour n’est pas rigide. »
Le Saint-Père, bien sûr, a raison en ce que le véritable amour n’est pas rigide, mais comme pour le sens de toute vertu infuse, le divin est dans les détails. Car si nous « creusons, creusons », comme François suggère que nous le fassions, nous découvrons qu’il n’existe point de chose comme le vice de rigidité, ou la vertu de charité, dans l’abstrait. Comme je l’ai appris à 18 ans et comme le Souverain Pontife le sait sans aucun doute à 80 ans, les jugements impulsifs, produits par des préjugés hérités sans examen critique, formés par une expérience limitée, peuvent eux-mêmes être les manifestations d’une rigidité injustifiée, même quand ils proclament faire avancer la cause de la libération de l’humanité.
C’est pourquoi, par exemple, le Saint Père a raison de ne pas croire qu’il s’expose au défaut de rigidité quand il déclare en des termes roidement absolutistes l’impossibilité de l’ordination sacerdotale de femmes, le caractère injuste de la peine capitale, la grave immoralité de l’avortement, la responsabilité qu’ont les premières nations du monde à distinguer les migrants des réfugiés, la bonté de l’invitation de la miséricorde divine et le pouvoir de la papauté de produire des exhortations apostoliques avec autorité et d’éclairer plus tard ou de refuser d’éclairer leur signification.
En d’autres termes, si le pape François était dans tous les cas critique de « la rigidité dans l’abstrait » il contribuerait involontairement à saper sa propre autorité en Eglise. Si c’était le cas, les catholiques n’auraient plus de raison de prendre plus au sérieux ses déclarations que les paroles de l’archevêque de Canterbury, Joel Osteen, ou de Donald Trump.
Mais ce ne peut évidemment être l’intention du Saint-Père, compte tenu particulièrement de son penchant à parler impromptu aux media internationaux sur des sujets qu’il pense d’une importance mondiale.
En conséquence il serait sage pour le Saint Père de ne pas cesser de « creuser » dans les cœurs et les esprits de ceux qui sont émus et transformés par la sublimité de la messe latine. Peut-être découvrira-t-il dans des jeunes catholiques, comme je l’ai trouvé dans mes amis mennonites à l’été 1979, sainteté sans prétention, joie et générosité. C’est seulement quand j’ai réalisé que mon incapacité à voir cette beauté inférieure et cette liberté résultait de mon attachement d’esclave à l’esprit de l’époque que j’ai pu humblement confesser : »Qui suis-je pour juger ? »
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/11/25/mea-maxima-culpa-who-am-i-to-judge/