Il y a approximativement 57 000 religieuses catholiques aux Etats-Unis. Environ 80% d’entre elles appartiennent à des communautés dont les supérieures sont membres de Leadership Conference of Womens Religious (LCWR), la plus grande association de ce type dans le pays.
Ce n’était donc pas une petite chose quand, en 2008, la Congrégation pour la doctrine de la Foi (CDF) informa les responsables de la LCWR qu’il serait procédé à une « évaluation doctrinale » de la conférence, afin d’aborder certains domaines donnant des inquiétudes depuis au moins la fin des années 70.
Quelles inquiétudes ?
D’abord, les assemblées annuelles de LCWR parrainent fréquemment des conférences d’une inspiration théologique douteuse. Une conférencière – une précédente présidente – discutait de la possibilité d’ « aller plus loin que l’Eglise et même que Jésus ». Le conférencier retenu pour l’Assemblée 2012 est spécialiste de « l’évolution de la conscience » :
[Jésus] n’est pas mort. Il a fait sa transition, abandonnant son corps animal pour réapparaître dans un nouveau corps au niveau suivant de la physicalité pour nous dire à tous de faire de même. La nouvelle personne qu’il est devenu gardait la conscience de ce qu’il avait vécu comme Jésus de Nazareth, une vie humaine dans laquelle il est devenu pleinement humain et pleinement divin. La vie de Jésus est un modèle de transition de l’Homo Sapiens à l’Homo Universalis.
« L’évolution de la conscience » est semble-t-il un euphémisme pour le genre de radotages pseudo-scientifiques du New Age, formellement reconnu comme hérésie.
Ensuite, il y a ce que la CDF appelle « politique de dissidence », en ce qui concerne les enseignements établis sur l’ordination des femmes, la sexualité et la trop prévisible « prédominance des thèmes du féminisme radical », tous menant inexorablement aux « commentaires sur ‘le patriarcat’ [qui] a faussé la façon dont Jésus a organisé la vie sacramentelle de l’Eglise ». La semaine dernière, la CDF a publié les résultats de son évaluation. Leurs préoccupations sont, nous pouvons le dire, plutôt considérables :
La première préoccupation de l’évaluation est la doctrine de la Foi qui a été révélée par Dieu en Jésus-Christ, est présentée sous forme écrite dans les Écritures divinement inspirées, et est transmise par la tradition apostolique sous la direction du magistère de l’Église.
Pour paraphraser notre actuel vice-président, c’est un projet ambitieux.
En conséquence,le Saint-Siège a annoncé que l’archevêque de Seattle Peter Sartain agirait comme son délégué pour aider « à exécuter un processus de révision et de mise en conformité avec l’enseignement et la discipline de l’Église. » Rome prend les rènes.
La dirigeante de la LCWR affirme être « médusée » et de nombreuses agences de presse ont pris cette déclaration pour argent comptant, sans considérer à quel point LCWR s’est elle-même distanciée de l’Église, de multiples et palpables manières.
Sœur Joan Chittister, une précédente présidente de la LCWR, a déclaré au National Catholic Reporter : « quand vous entreprenez de réformer une population, un groupe, qui n’a rien fait de mal, c’est que vous avez une intention, une motivation, qui non seulement n’a pas de base morale mais est carrément immorale. »
Sœur Simone Campbell, dont l’officine de lobbying en justice sociale a été distinguée par la CDF pour ses déficiences patentes, pense que les vieux patriarches du Vatican sont « terrorisés ».
Le professeur Scott Appleby, de l’université Notre-Dame, suggère à un journaliste que l’examen approfondi mené par le Vatican « semble être motivé par la peur et l’anxiété et non par la confiance et le courage venant du Christ ».
« Pour les non-initiés déclare la manifestement non-initiée Melinda Henneberger du Washington Post, l’exercice ressemble beaucoup à un bras de fer exécuté par une poignée de types perdant le contrôle, leur autorité minée par leurs propres manquements. »
Le Los Angeles Times établit une comparaison entre la façon dont le Vatican traite la LCWR et celle dont il traite la Fraternité Saint-Pie X, la principale conclusion étant (sans rire) que le Vatican est obsédé par « les problèmes de sexe, de sexualité et de reproduction. »
Jamie L. Manson écrit : « le Vatican est en train de dire à ces femmes, comme il l’a dit par le passé à de nombreux théologiens, prêtres et saints novateurs, qu’un prophète n’est jamais le bienvenu dans son propre pays. »
Vous voyez, quand la LCWR conteste publiquement l’enseignement de l’Église établie, c’est « prophétique ». Mais quand le Vatican a la témérité de suggérer que contester l’enseignement de l’Église est… eh bien… en contradiction avec l’enseignement de l’Église, il est immédiatement assimilé à une mégère autoritaire — anxieuse, misogyne, et probablement homophobe également.
La tendance à juger selon deux poids deux mesures — une généralité parmi les adversaires matérialistes de l’Église mais aussi, de façon troublante, au sein même de l’Église — est la preuve d’une incapacité à concevoir l’attachement de l’Église à la vérité de sa doctrine en dehors des habituelles catégories cyniques de la vie moderne : le pouvoir, le sexe, le genre, la politique, etc.
Si quelqu’un croit, par exemple, que « le patriarcat trahit la façon dont Jésus a organisé la vie sacramentelle de l’Église », alors il peut facilement conclure que le Vatican — un patriarcat incarné — a une compréhension faussée, qui sert ses propres intérêts, de la façon dont Jésus a organisé la vie sacramentelle de l’Église. Et s’il conclut cela, il aura probablement des réserves sur l’aptitude du Vatican à juger sa propre version de la vie de l’Église.
Dans la mesure où LCWR s’est engagée dans une compréhension erronée — et cela dans une large mesure — les tentatives de la réformer seront freinées par une sorte de « Catch 22 » ecclésiologique. En vue de s’ouvrir à une véritable réforme, LCWR devrait d’abord reconnaître que sa vision de l’Église est faussée ; mais tant qu’elle n’est pas réformée, il est improbable qu’elle reconnaisse ses erreurs.
Étant donnée la nature du fossé doctrinal entre LCWR et le Vatican, réaliser une réforme significative et fidèle va probablement s’avérer doublement difficile. Mais créditons Rome du courage de faire face à un problème considérable d’une façon dont elle savait d’avance qu’elle ne lui apporterait guère autre chose que la condamnation publique.
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Stephen P. White est membre du groupe d’Études Catholiques au centre d’Éthique et de Politique Publique de Washington et coordinateur du séminaire Tertio Millennio sur la Société libre.
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photo : Sœur Joan Chittister embrassant le dalaï-lama.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/bad-religion.html