‑ Fixe les yeux sur ce que l’homme n’aurait jamais dû voir, l’irruption de l’enfer au sein de ses demeures, de ses villes. Vomis s’il le faut de dégoût et de honte, mais va jusqu’en ces poubelles des hôpitaux plonger tes mains, et ouvre la porte des fours à essais, et casse les murs des laboratoires afin que tous voient ce que nul ne veut entendre.
Ainsi parlait l’Ange de la Déréliction à l’Ange de l’Espérance, ainsi il poursuivit :
Et demande si ces images rapportées se peuvent seulement concevoir* ? Tant pis si tu en suffoques, si ton cœur s’angoisse et s’effraye. Laisse-le psalmodier en toi ce psaume muet hanté par la mort de tous ces enfants aux yeux à jamais aveugles : mais ne cesse pas pour autant d’être leur regard pour le jour où il faudra témoigner et accuser, même si ton désir à l’instant est de fuir ce charnier.
Ouvre la bouche afin de te préparer, mastique de force les mots qui devront être cris. Oblige les sons à franchir tes lèvres même si ton palais devient pierre, même si ta langue se retire en ta gorge. Que ton corps se raidisse pour aider à la prononciation du témoignage. Car une parole doit sortir de toi malgré l’horreur qu’éprouve ta langue.
Énonce à voix haute ce que toute oreille devrait entendre, même si ton cœur est silence. Les montagnes, elles aussi, se dresseront autour de toi afin que rien ne puisse de ta parole s’échapper hors du cercle du témoignage : désigne la grande vague déferlante jaillie du pubis de la Grande Prostituée, fleuve charriant les ordures de la mort.
Et l’Ange de la Déréliction écouta l’Ange de l’Espérance :
‑ J’avance au sein de l’épouvante ; l’épouvante se terre dans les maisons des hommes, elle roule ses effrois et sous sa meule broie par millions des visages d’enfants.
L’Ange de la Déréliction se reprit à parler à l’Ange de l’Espérance :
Nulle femme aujourd’hui qui ne soit suspecte de n’être pas un tombeau ; nul homme qui ne soit peut-être un bourreau ! La mort, non du pouvoir des humains, ils l’ont faite leur esclave, la servante de leurs plaisirs, fille soumise aux caprices de l’idole Jouissance.
Va, ne t’arrête point, affirme, proclame, fût-ce au fond du désert, et tant pis si tu y répugnes, car la faute est telle qu’elle forge la clé propre à désenchaîner le Prince de l’Injustice.
Et l’Ange de l’Espérance laissait entrevoir quelque chose que de tout son être il eut voulu fuir :
‑ Je suis entré dans une horreur dont s’effarent mes mains et mon visage. Ce qui est ici en travail est la Mort elle-même. Ce qui est ici et s’avance stérilise les corps, dissout les âmes dans l’inexistence. Ils ont choisi la mort pour fruit de leurs voluptés, mais en eux ce qui advient et perdure n’est pas autre que leur don : ces avortés par myriades empoisonnent les vies et déjà s’étend la puanteur des cadavres pourtant jetés au feu ou livrés aux trafiquants des modes, aux industriels de la beauté, la puanteur qui se respire jusque dans les baisers.
Alors, l’Ange de la Déréliction vint soutenir l’Ange de l’Espérance :
Sans trêve va et poursuis car tu avances là dans les marécages de la honte : rien d’autre que le mépris de l’œuvre du Dieu unique et créateur. Honte ultime, car seulement par elle Moloch est nourri en suffisance. Si tu as crié devant l’horreur, ce fut trop tard et l’homme n’eut pas d’oreille, et ce fut en vain, un cri d’impuissance, un cri de muet parmi des sourds.
Va, va pourtant et ne cesse d’aller, car cette offense au Dieu-Amour est ignominie. Tes pieds s’engluent, ose regarder en quelle boue et fange, et nomme la fange. Ne dis pas que cela ne se peut, que ces choses sont un songe, une illusion, une torture hors du réel, une vision propre à l’Enfer : il faut que tu saches quelles passions, quels désirs traînent les hommes dans ces avenues, quelles faims devenues infâmes sont commencement et fin de tout cela.
Mais l’Ange de l’Espérance cachait sa tête dans son vêtement, bouchait ses oreilles, puis levait haut ses mains afin de ne plus toucher ces visages sevrés de toutes les tendresses, de n’écouter plus ces millions de gémissements que nulle âme vivante ne percevrait sans défaillir, de n’avoir plus à saisir ces débris infimes, encore si beaux !
Et l’Ange de la Déréliction continuait pourtant à le pousser au plus profond de cette fosse :
Pas de fuite qui te serait comptée à faiblesse, lâcheté; pas d’attendrissement, car avant tout observe ce qui est à observer, décris ce qui est à décrire. Que de sang, regarde bien, que d’os, oui, si petits, de chairs en lambeaux, de cervelles broyées : mais ces os, si légers, si fins, ces chairs, d’un rouge encore vivant : ces cerveaux où la pensée un jour se serait exercée… Déjà s’y développaient la confiance, l’abandon et la félicité ! Prends entre tes doigts, car tes doigts peuvent tenir ces mains infimes qu’un orfèvre cisela, amoureux de sa créature, vois comme certaines semblent encore prises d’un dernier et tendre mouvement. Oh ! Vestige péri d’une merveille : elle paraît encore vouloir ouvrir l’espace au sein des eaux du ventre de la femme, elle-même faite pour porter une vie à la fois temporelle et immortelle.
Et l’Ange de la Déréliction dut lui-même se taire un instant, malgré sa hâte de dire tant le souffle lui manquait. Puis il reprit, seulement entendu de l’Ange de l’Espérance :
‑ Penche-toi jusqu’à ces cœurs immobiles, oiseaux qui auraient dû battre pour aimer ; jusqu’à ces lèvres à jamais silence, pétales d’un sourire déchu, source d’une voix morte alors qu’elles auraient dû s’entrouvrir sur des aveux aimés de Dieu.
Mais ce n’est rien encore.
Et la voix de l’Ange de la Déréliction se fit plus intime en l’oreille de l’Ange de l’Espérance :
‑ On peut avancer plus loin dans ce qui ne devrait pas trouver de mots pour être dit. Il y a les… Il y a ! Oh ! Impuissance à oser prononcer. Nous savons trop de choses pour encore… N’est-ce pas assez ?
Et ce fut l’Ange de l’Espérance qui reprit la parole inaudible :
‑ Il y a des crématoires où vont, encore vivants, des condamnés sans état civil, surgis cependant à l’heure des étreintes qui furent, non d’amour, mais sacrifices à l’idole d’un vain plaisir. Il y a… Ils furent extirpés tels des fibromes et gardés secrètement comme bêtes d’expérimentation : trop grands pour être avoués sans risques, déjà capables de sourire et de pleurer, petits amours renvoyés à Dieu, les essais achevées.1 Du martyre des bêtes ils sont passés à celui de leur progéniture.
Ce siècle avait paru remplir sa coupe d’immondices : on ne savait point qu’elle était si vaste et vide encore !
Et l’Ange de la Déréliction, reprenant la parole à l’Ange de l’Espérance, poursuivit la dénonciation :
‑ Ne te trompe pas : tout est déjà contenu dans le droit, non légitimement acquis, mais usurpé, de nier la vie donnée. Ces tout-petits, tu les vois, ils savent en paradis qu’ils ne furent pas jugés dignes de vivre sur terre l’existence qui était leur droit et leur promesse de toute éternité. Mort infligée au vivant le plus faible et le plus confiant, crime à la mesure de l’innocence, car Dieu est innocence infinie.
Ainsi parlait à l’Ange de l’Espérance l’Ange de la Déréliction, et l’Ange de l’Espérance lui répondit :
Crime certes à la mesure de l’innocence. Mais l’innocence n’a point appris à juger selon la sévérité des hommes : « Ne jugez point pour n’être pas jugés à la même aune. » ……………………………………………………………………………………………………………. ……………………………………………………………………………………………………………………….. ……………………………………………………………………………………………………………..
………. Crime à la mesure de l’innocence : à cette mesure aussi le pardon quand il est demandé à l’innocence, quand il est réclamé par l’innocence.
Écoute ces mots, si surprenants après tant d’horreurs : il faut dire aux égarés qu’ils ont été égarés. Tout s’efface dans la lumière quand l’égarement est reconnu pour tel et rejeté. Tout demeure et sombre dans la nuit si l’on tente de le justifier.
Écoute encore : qui le veut a un défenseur. Le défenseur ici l’emporte toujours sur l’accusateur quand le cœur égaré désire retourner de son exil à sa patrie. Ces tout-petits n’accusent point, ils n’ont pas appris. Ils n’accusent point, qui furent condamnés pourtant et retranchés, ils ne demandent que le retour de l’amour.
Comprends ce qui est dit : qu’ils se retournent ceux qui s’avancent vers la mort, la donnant et la recevant du même coup. Qu’ils osent reprendre le haut chemin, eux qui osèrent imposer à la vie les stigmates du schéol. Qu’ils changent de décision et quittent la voie de perdition.
Ces enfants jetés aux poubelles, livrés aux instruments des expérimentateurs, ces enfants non aimés, il suffit de le vouloir et ils seront les premiers, aux « portes de saphir et d’onyx », à attendre le retour des parents prodigues.
………. Eux, les non-accouchés, ils deviendront les accoucheurs de qui les tuèrent, les portiers du Royaume ! Leur supplice sera rachat ou damnation selon que l’on retrouvera la tendresse ou que l’on restera sépulcre blanchi.
Écoute enfin, car il faut que leur martyre ne signifie pas la condamnation de leurs bourreaux, leur mort éternelle, car tout bourreau peut compter lui aussi sur la miséricorde, tout pécheur est appelé à boire à la source de vie : .
« Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Comment m’est-il donné de voir venir à moi la mère de mon Sauveur ? Car dès l’instant où ta salutation a frappé mon oreille l’enfant dans mon sein a tressailli de joie ! »
Alors la Vierge bienheureuse, enceinte d’un enfant de quelques jours seulement, un enfant qui déjà répondait en elle au doux nom de Jésus-Yeshua, c’est-à-dire « Dieu sauve », et qui déjà pouvait être reconnu par cet autre enfant de six mois que portait Élizabeth, la Vierge répondit par le chant de joie qui a traversé l’espace et le temps pour s’enfouir dans le cœur même de Dieu :…………………………………………………………………
« Magnificat ! Magnificat ! Dieu fit pour moi des merveilles. Je suis son humble servante, et je n’eus qu’à dire oui à sa demande, car en moi nulle autre réponse ne pouvait et ne peut se prononcer ! Ma joie n’a d’autre source que Sa parole et le don de Son amour. »
Dominique Daguet, 1989
- En 1985 parut aux éditions Suger un reportage qui fait encore frémir et qui n’a jamais été contredit, reportage de Rolande Girard : Le Fruit de vos entrailles. Ce livre rapporte des faits dont le récit est insoutenable sur le trafic des fœtus, les pratiques qui avaient lieu dans certaines cliniques, certains hôpitaux pas toujours éloignés de plus de mille kilomètres, certains laboratoires d’entreprises spécialisées dans les produits de beauté…
Pour aller plus loin :
- SI LE LOUP PROTÈGE L’AGNEAU, ET AU-DELÀ
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Cher Claude-Henri Rocquet, très cher ami, ce 4 avril 2016, douze jours après ton départ pour la Maison du Père,
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie