Marie tout contre la croix où la Mère rend le Fils à son Père - France Catholique
Edit Template
Funérailles catholiques : un temps de conversion
Edit Template

Marie tout contre la croix où la Mère rend le Fils à son Père

Copier le lien

Maman ! De mon cœur, reçois cet Enfant ! Viens et vois Jésus, d’abord tourné vers ceux qui le crucifient, puis vers celui qui semble le plus loin de lui. Il se tourne maintenant vers ceux qui lui ont toujours été intimes, ce petit groupe autour de la Croix : fidèles d’entre les fidèles !

Regarde les deux Marie : celle de Nazareth et celle de Magdala. Celle qui, par avance, a été pardonnée pour que jamais elle ne chute. Et celle qui, après sa chute, a été relevée. Toutes deux — l’une par avance, l’autre par après — sont les enfants de son sang, c’est-à-dire de son amour.

Mystérieuses connivences entre elles : l’Immaculée et la souillée. La Tendresse en personne et la pécheresse par excellence…

En voyant la beauté de Marie de Nazareth, comme transmise à Marie de Magdala, Jésus comprend que cela vaut la peine de répandre son sang. Qu’il ne sera pas stérilisé. Qu’il portera d’innombrables fruits. Le Bon Larron, Myriam de Magdala : voilà les deux premiers fruits visibles de son sang versé. Un homme, une femme ! Un gangster, une prostituée ! Et tous, grâce à sa Croix, vont pouvoir entrer au ciel, s’ils y consentent. Jésus peut dire à Myriam de Magdala : « Que tu es belle ! Sur ton visage, je vois la pureté de ma Mère…  »

Tout à côté, il y a son bien-aimé : Jean. Jésus va alors faire son don suprême. Hier soir, il a donné jusqu’à son corps et son sang. Tout lui a été arraché : ses amis, sa réputation, sa liberté, ses pauvres vêtements. Il ne lui reste qu’elle. Plus rien qu’elle ! Avant de donner son âme à son Père, il reste sa Maman à donner à toute l’Église.

Marie a le cœur transpercé, avant que celui de Jésus ne le soit. Il s’ouvre pour enfanter Jean à sa vie divine. Elle devient la maman de Jean. C’est d’autant plus étonnant, que la propre maman de Jean (selon la chair) est là 1 !

Marie ici reçoit Jean du cœur de Jésus. Plus tard, elle recevra Jésus des mains de Jean, quand il dira la messe pour elle, et lui remettra l’hostie dans les mains, pouvant lui dire : «  Ceci est ton Enfant, celui-là même que tu portais dans tes mains à Bethléem…  »

Entendre Jésus te murmurer : «  Ta maman, la voici ! Je te la confie…  » Et tu entendras Jésus lui dire: « Le voici, ton petit, ta petite ! Donne-lui ta beauté, ta pureté, ta lumière !  »

C’est d’abord Jean qui est confié à Marie, ensuite seulement : Marie à Jean. Pour la re­cueillir en la maison de ton cœur, commence par te laisser, toi, recevoir en Elle, en la maison de son sein maternel. Avant de la protéger, Elle : par Elle te laisser enfanter.

À Bethléem, Marie n’avait pas enfanté dans la douleur. C’est ici et maintenant qu’elle doit enfanter par un cœur qui se déchire. Commencée à l’Annonciation, sa maternité s’achève avec la Passion. Elle engendre dans la compassion ceux que son Enfant sauve par sa Passion.

Elle engendre en moi saint Jean. Elle fait de moi un disciple d’amour, fidèle jusqu’au bout.

Jean, est à cet instant notre ambassadeur à tous. Le seul représentant — car le seul présent — des autres Apôtres qui ont fui par peur, par lâcheté. À travers lui, voilà toute l’Église confiée à la Mère de chaque enfant de Dieu. À ce moment précis, elle devient effectivement Mère de tous les enfants de Dieu. Jésus peut lui dire : « J’ai été ton enfant, je ne serais pas ici sans toi, tu m’as donné la vie… Tu m’as donné de quoi tout donner : ce corps qui me permet de souffrir et mourir pour eux. Cette chair que je puis leur donner en nourriture, ce sang que je puis verser. Maintenant, en moi, vois tous mes frères et sœurs que je suis en train d’engendrer à Dieu ! Sois leur Maman à tous, à toutes, à chacun, à chacune… »

Sa maternité passe de son corps physique à son Corps mystique. De son corps de chair pour le temps de la terre, à son Corps-Église pour toute l’éternité 2.

À dater de cet instant, Marie ne pourra plus regarder son Enfant, sans en même temps me voir : mon visage en son Visage. Et en sens inverse, elle ne voit plus que son Jésus, en cet enfant à elle que je lui suis devenu. Nous voilà désormais à jamais inséparables de son Fils unique. Me voilà fils ou fille de Marie, au-dedans de son Jésus.

Une question : comment Jésus a-t-il pu passer du cri : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » à : » Père, dans tes mains… » Que s’est-il passé entre ce cri de détresse et cette parole de tendresse filiale ? Il commence par ne plus pouvoir dire le secret d’amour de son cœur, confié la veille au soir à Gethsemani, à Pierre, Jacques et Jean et à travers eux, à chacun de nous. Il ne peut dire que : mon Dieu ! Au nom de tous ceux qui ne peuvent pas ou plus appeler Dieu du doux nom de Père, souvent parce que l’image même de la paternité a été trop défigurée. Il descend dans l’enfer de tous ceux qui se croient et se sentent abandonnés de Dieu. Tous nos cris ont traversé ses lèvres, après avoir transpercé son Cœur. Alors, comment Père, revient-il sur ses lèvres ?

Un témoignage bouleversant m’a permis d’approcher de ce mystère : 18 février 1981. Gaël fête gaiement ses douze ans. En raccompagnant ses petits invités à l’ascenseur, il reste coincé entre les deux grilles. Personne ne parviendra à le délivrer. Pendant une longue demi-heure, il va étouffer. Et sa mère est là, derrière la terrible grille… Elle le voit, elle l’entend, elle ne peut rien faire. Rien ? Elle l’assiste comme jamais de tout son amour. Un seul mot passe encore sur ses lèvres : « Mon petit, tu es avec Jésus ! Tu es avec Jésus ! Tu es avec Jésus ! » Pour avoir une telle certitude en cette heure, comme il faut que Jésus soit avec elle 3!

Gaël, lui, ne dit rien. À Jésus qui est avec lui : il s’ouvre, il souffre, il s’offre. Son visage en est tout apaisé. La veille, n’avait-il pas soigneusement écrit sur son calepin de louveteau :

«  J’ai choisi comme mot-clef : oui. Un oui de volonté, d’amour, mais pas un oui d’obéissance sous un ordre. Un oui qui veut dire : d’accord, je te suis, j’abandonne tout, je ne penserai plus qu’à toi. Pour moi, qu’est-ce que la foi ? La foi, c’est croire sans voir, accepter sans comprendre, accepter sans condition.  »

Gaël ! Hier soir, une jeune fille t’aurait-elle invité dans sa chambre de Nazareth, pour que ce oui t’ait été ainsi donné ? Le mot qui, de son cœur, passe dans le tien, juste avant que Jésus ne vienne te prendre dans ses bras… qu’une petite Normande — Thérèse, toujours elle ! — osait appeler « l’ascenseur du ciel  ». Ce mot clef qui t’ouvre les portes du ciel. Ce oui d’amour qui ne marchande pas, tu le partages en silence avec ta maman. C’est ta manière de lui répondre : «  Maman, Marie est avec toi !  » La cruelle grille de l’ascenseur a beau vous séparer, vous êtes un comme jamais vous ne l’avez été. Un surtout avec cet autre Enfant, cette autre Maman qui, eux aussi, ne formaient qu’un cœur, qu’une âme, qu’un tout.

Ainsi, la seule présence de Marie, clame en silence : « Non, non, mon petit, le Père ne t’abandonne pas, puisque moi, ta mère, je ne t’abandonne pas. Je suis là jusqu’au bout. Tu me vois. Tu vois ton Père. »

Père, entre tes mains, je remets ton Enfant !

Oui, Elle est à cet instant le sacrement, le signe visible de l’invisible Présence de son Père. Et c’est après avoir prononcé mère, qu’enfin il retrouve son Père. Le Père s’est comme effacé de la sensibilité de Jésus pour laisser toute la place à Celle qui lui a donné sa chair. Afin que ce soit elle qui, comme lors de la Présentation au Temple, le « rende » à son Père : Père ! Tu me l’as confié, à mon tour de te le confier. Il est ton Fils avant d’être mon enfant. Le voici !

Quand il avait douze ans (aussi à Jérusalem pour Pâques), il avait « ramené » sa mère à son Père, lui rappelant discrètement ses origines célestes, de qui il vient. Aujourd’hui, c’est à Elle de le « ramener » à son Dieu. De même qu’il demande à sa mère de détourner son regard de lui pour se poser sur Jean, ainsi elle « détourne » son regard d’elle pour qu’il le tourne vers son Père. Et pendant que Jésus murmure : «  Père ! En tes mains, je remets mon esprit », elle peut dire : « Père, en tes mains, je remets le corps livré et le sang versé de mon Enfant qu’à Noël tu avais remis en mes pauvres mains de maman.  »

Chair contre chair, de Bethléem au Calvaire !

Encore ceci : la croix étant très proche de la terre, la tête de Marie arrive à la hauteur de la poitrine de son Enfant (comme sur tant d’icônes). Elle pose sa tête sur son cœur. Jean, la veille. Elle en écoute les toutes dernières palpitations. De ses tendres mains, elle essuie le sang qui dégouline. De ses larmes, elle lave cette sainte Poitrine tout ensanglantée. Ainsi, son Enfant, non seulement voit sa maman, mais il la touche, il sent ses mains toutes virginales et maternelle caressant son corps tout comme à… Bethléem ! À sa naissance sur terre, c’était joue contre joue. À sa naissance au Ciel, c’est ses lèvres sur son Cœur. Ce cœur qui au dix-huitième jour après sa conception s’était formé dans son sein. Et voilà ce cœur doucement transpercé (nussein : geste doux), d’où jaillit violemment le sang et l’eau et les mains ouvertes de Marie en deviennent le premier calice du monde. Puis, à la première étoile, voici les hommes qui remettent dans ses bras, le même corps du même Enfant qu’elle berçait dans ses bras, la nuit de Noël. Elle avait offert à l’adoration des bergers cette Chair divine toute fraîche et rose, telle que Dieu nous le donnait. Et voici que ses mains rendent à l’adoration de sa mère, cette même chair, déchirée et torturée telle que les hommes l’ont rendue.
Elle le dépose dans la tombe, comme dans la crèche, en pleine nuit. Elle l’enveloppe du Suaire comme de langes. Elle glisse sa main pour appliquer le linge sur le côté droit, comme avec un bandage. Et c’est grâce à cet ultime geste de délicatesse maternelle, que je puis aujourd’hui contempler l’ouverture béante — en distinguant nettement le sans et l’eau — de Celui que l’ai transpercé.

N’avait-elle pas entendu : « Il régnera sur le trône de David. » Le voici, son trône royal : la Croix. Elle y croit. Elle partage son trône, sa Croix : elle règne par sa foi. Si, un jour, il peut la couronner Reine du ciel et de la terre, de tout le cosmos et de toute l’Église, Reine des saints et des martyrs, Reine des pauvres et des pécheurs, c’est parce qu’elle a été, ici et maintenant, cette pauvre veuve éplorée ayant tout perdu, ayant donné Celui qui est le tout de sa vie. Mais debout, courageuse, vaillante. Elle s’offre avec son enfant pour t’enfanter, toi, à la vie du Père, dans l’Esprit Saint. Elle voit agoniser son Petit pour t’assister à ton tour en tous tes combats.

Et toi, voudrais-tu d’une autre Mère, d’une autre Reine ? N’es-tu donc pas fier, content, heureux d’elle ?

Ne la trouves-tu donc pas encore assez belle ? Voudrais-tu qu’elle soit plus humble, plus douloureuse, plus donnée ? Tu n’en trouveras pas dans le monde entier, ni dans toute l’histoire du monde ! Qu’attends-tu pour l’accueillir, alors que Jésus te la confie ? Pourquoi refuser ce don ? Pourquoi décevoir cette confiance que Dieu te fait ? Pourquoi mépriser un tel trésor d’amour ?

Regarde cette multitude d’hommes et de femmes, de jeunes et d’enfants, dont elle a été la grande douceur, la suprême douceur ! Cette Mère et cette Reine que les austères moines, au fond de leur désert, aiment chanter chaque soir, avec saint Bernard : « Ô douce Vierge Marie, salut, Reine ! » Pour qui sanglotait François d’Assise, à la seule pensée de sa Maman au pied de la Croix : « Salut, Dame Sainte ! »

Marie a connu tout ce que nos femmes vivent de plus terrible, de plus douloureux. Elle a connu toutes nos détresses, et on oserait dire qu’elle ne nous comprend pas, qu’elle serait lointaine, distante, indifférente ? Mais enfin, que te faudrait-il de plus pour l’aimer et te laisser aimer d’elle ?

Mais peut-être n’as-tu jamais connu de maman, ou du moins celle que tu as eue n’a pas été très ressemblante à Marie. Peut-être que tu rejettes Marie, à cause de ta maman… Peut-être que tu projettes sur Marie tous les travers, les petits côtés maternants, possessifs ou autres, que tu as pu rejeter…

Si tel est le cas, aujourd’hui, devant cette Maman avec son Enfant sur la croix, voudrais-tu donner un pardon à ta propre mère ? Voudrais-tu au moins dans ton cœur accueillir ta maman, même si elle n’a pas été ce qu’elle aurait dû être (ce qui reste à prouver, tellement nous pouvons être subjectifs). N’oublie jamais qu’après Dieu, c’est à elle que tu dois la vie. Tu ne connaîtras qu’au ciel tout ce qu’elle a pu souffrir pour te nourrir, peiner pour te porter, s’épuiser pour t’élever. Peut-être l’as-tu rejetée, insultée, bafouée… Accepte aujourd’hui de l’aimer telle qu’elle est — avec toutes ses pauvretés —, et de la confier à Marie.
Jésus te confie sa Mère. Toi, confie ta mère à Jésus !

Franchement, dis-moi : comment aimer Jésus, sans aimer Celle qu’il a le plus aimée au monde ? Celle qui l’a le plus aimé au monde… Celle qu’il s’était préparée, choisie. En qui il a habité pendant neuf mois… Et qui ne l’a pas quitté pendant les neuf heures de la Croix : le temps de gestation de l’Église.

C’est lorsque son Père semble s’effacer, que sa Mère est là, présente comme jamais. Délicatesse du Père ? S’effacer quelques instants pour que l’Enfant se tourne vers sa Maman… Et pour nous aussi, quand Jésus semble se taire, Marie est parole vivante, nous parlant de son Fils. Tant de personnes, d’abord attirées par Marie, ont pu être conduites par Elle à la grotte de Bethléem, à la colline du Calvaire, au jardin de Pâques !

Pour d’autres, c’est le contraire : Jésus doucement leur présente sa Mère…
Peut-être que dans certains moments de prière silencieuse, ou bien en contemplant son icône où son Enfant est presque toujours dans ses bras 4, tu pourras entendre Jésus te murmurer : « Ta maman, la voici ! Je te la confie… » n

  1. En trois versets, cinq fois le mot mère. D’abord deux fois sa mère, puis deux fois la mère (pour marquer le passage d’une maternité personnelle à cette maternité universelle) Enfin : ta mère ! Il ne dit pas « votre mère » au pluriel. Car pour une mère, chaque enfant est toujours unique. Le don par Jésus de sa propre Mère n’est pas globalisé, généralisé, mais est ici personnalisé : à Jean, à toi, à moi… Je m’inspire ici des si profonds enseignements du Père Marie-Dominique Philippe.
  2. Martin Luther dira que la Mère de Dieu est aussi « Mère de l’Église de tous les temps, étant Mère de tous les fils qui seront régénérés dans le Saint-Esprit » [WA 49, 492-8].
  3. Cela me rappelle cette scène bouleversante d’un camp de travail forcé, en Roumanie. Quand le petit Mikaël de 7 ans peut enfin venir y voir sa mère, vieillie de vingt ans – les gardes s’interposant pour qu’ils ne puissent pas s’approcher l’un de l’autre –, que lui crie-t-elle de loin, plus fort que la bise glaciale, plus fort que les hurlements et les sarcasmes des sbires ? « Mikhaï, mon petit, aime Jésus ! » Rien d’autre, mais tout est dit de ce qui fait la vie. Mikhaël Wurmbrandt, Le fils du pasteur, p. 97.
  4. En fait, toujours des icônes de Jésus d’abord, mais avec sa Mère.