Quand j’étais séminariste protestant, je pensais que j’avais de bonnes raisons de ne pas prier ou vénérer Marie. La mère de Jésus, si elle était sainte, ne l’était qu’à cause du Christ, et donc tout culte particulier qu’on lui rendait découlait nécessairement de la vénération, unique, sans équivalent, due à Notre Seigneur. C’est certainement la pensée des Réformateurs. Comme Jean Calvin l’écrit dans ses Institutions de la religion chrétienne, “celui qui cherche refuge dans l’intercession des saints dérobe au Christ l’honneur de la médiation.” J’ai attendu la lecture de l’Introduction à la Mariologie de Manfred Hawke pour réaliser que les enjeux œcuméniques concernant Marie visaient tout de même un peu plus haut qu’à éviter “un culte idolâtre.”
Les premiers Réformateurs se sont révoltés contre l’Église catholique d’abord pour la question du salut. Là où l’Église enseignait que la coopération de l’homme était requise pour son propre salut, Luther, Calvin, Zwingli, entre autres, rejetaient cela comme rabaissant à la fois la doctrine de la grâce et celle de la souveraineté de Dieu. Le salut doit être entièrement et en totalité l’œuvre du Christ, déclaraient-ils, affirmant les doctrines protestantes de la sola fide et de la sola gratia. Comme Luther l’écrivait dans La Captivité babylonienne de l’Église, “toutes les œuvres sont estimées devant Dieu par la seule foi.” Néanmoins, les Réformateurs de la première génération conservaient une idée de Marie qui ferait frémir la plupart des protestants de notre temps. Martin Luther continuait à croire à la virginité perpétuelle de Marie et à sa conception immaculée. Calvin voulait tenir sa virginité perpétuelle comme une chose au moins possible et blâmait les autres protestants de rejeter d’emblée la doctrine catholique. On peut se demander si ce maintien par les Protestants de certaines conceptions du catholicismes n’était pas davantage motivé par un reste de leur éducation ou leur lecture de l’Écriture.
Avec le temps, l’étoile de Notre Dame chez les protestants a faibli, au point que tout culte qui lui était rendu semblait sentir le “romanisme”. C’était certainement la marque du protestantisme dans lequel j’ai été éduqué d’abord comme évangélique ensuite comme étudiant d’un séminaire calviniste. Le culte de Marie et de n’importe quel saint, obscurcissait la vénération et le culte exclusifs dus au Christ seul (bien que, ironiquement, la vénération qu’on avait pour des réformateurs comme Luther et Calvin pouvait être tout à fait démonstrative).
Pourtant, Karl Barth, le théologien réformé “néo-orthodoxe, a présenté une articulation utile des soupçons que nourrissent les protestants à l’égard du culte marial. Barth écrit dans Dogmatiques d’Église:
“Le dogme marial est ni plus ni moins le dogme normatif, critique, central, de l’Église catholique romaine, et c’est du point de vue de ce dogme que toutes leurs positions importantes doivent être regardées et c’est ce qui les fait se maintenir ou disparaître. Le dogme de la ”mère de Dieu” de l’Église catholique est tout simplement le principe, le type et l’essence de la créature humaine coopérant comme assistante (ministerialiter) à sa propre rédemption sur la base d’une grâce prévenante et donc dans cette mesure le principe, le type et l’essence de l’Église.”
Cette declaration de Barth est assez remarquable. Admettons que les théologiens et le clergé catholiques ne soient pas d’accord avec sa première description du catholicisme, qui ne place pas l’Incarnation et la Résurrection au centre du dogme catholique. Mais il y a là quelques vues valables (même si incomplètes) dans la dernière observation de Barth sur Marie, en ce qu’elle est un élément de sotériologie.
Le plan providentiel de Dieu requiert de Marie le fiat. A l’Annonciation le “oui” est requis et il est donné : “Voici la servante du Seigneur; qu’il me soit fait selon ta parole” (Lc 1:38). Hauke explique: “Marie, Mère vierge du Sauveur, est étroitement unie à l’œuvre du salut. Dieu a fait dépendre l’Incarnation du “oui” de cette femme, qui devient au plus profonde partie du mystère de l’Alliance. “Sans le consentement de Marie, il n’y a pas de Messie.
En Marie, nous voyons aussi un modèle parfait de nous-mêmes. Nous sommes aussi choisis par Dieu, soit par le baptême reçu dans notre petite enfance, soit par la reconnaissance plus tardive que le Christ nous appelle à Lui-même et à Son Église. Pourtant notre coopération est requise. Nous pouvons rejeter les promesses du baptême faites en notre nom par nos parents. Nous pouvons par ignorance volontaire et désobéissane explicite mépriser les ouvertures que Sa grâce nous fait plus tard dans nos vies. Même pour le fidèle cette bataille doit être menée chaque jour, quand de nouvelles tentations ou épreuves se présentent.
Le Christ notre Seigneur a déclaré que notre manquement à Lui obéir et à remplir notre vocation de Chrétiens peut déboucher sur une condamnation éternelle (Mt 25 1-46). Saint Paul enseigne sensiblement la même chose:”Travaillant avec lui, donc, nous vous supplions de ne pas recevoir la grâce de Dieu en vain” (2 Cor 6:1). Bien sûr, cette participation à notre salut n’est pas accomplie seulement par la volonté comme les Pélagiens hérétiques l’enseignaient, mais par la grâce de Dieu qui opère au commencement, au milieu, et à la fin de nos actes.
Néanmoins, Barth a raison de décrire l’enseignement catholique comme la confirmation de Marie comme “le type et l’essence de la créature humane” coopérant à sa propre rédemption. Les catholiques visent à imiter Marie en étant entièrement soumis à la volonté divine. Hauke explique :” Marie est comme le point focal qui permet de voir les vérités centrales de la foi catholique.”
Ceci explique pourquoi les protestants ont progressivement répudié les dogmes mariaux. Dans la mesure où la mariologie met en lumière la participation humaine à l’œuvre de salut, elle viole les principes protestants de la sola fide et de la sola gratia. La mariologie devient, selon Barth, “une tumeur, une construction maladive de la pensée théologique. Les tumeurs doivent être excisées”. Pour le protestantisme, la dévotion mariale n’est pas simplement un détournement idolâtre du culte de Dieu. Elle vicie l’économie du salut.
Le témoignage de Marie, tel que l’Église l’enseigne, nous rappelle que nos volontés ne sont pas si détruites par le péché que nous ayons besoin d’une grâce irrésistible (autre doctrine de la Réforme), mais qu’elles restent suffisamment intactes pour que nous soyons vraiment capables de répondre dans la foi et l’amour aux ouvertures de la grâce divine. Pour les protestants, le dogme marial n’est pas simplement un détournement, mais une attaque contre le vrai Cœur du protestantisme, et donc un sérieux obstacle aux conversions.
Mais j’ai découvert dans ma propre conversion, que Marie – que beaucoup de catholiques ont priée pour moi – est au contraire quelqu’un qui peut vraiment faire disparaître les obstacles.