Le Père Torell
Le père Jean-Pierre Torrell 1 le confesse volontiers : plus il a travaillé la théologie dogmatique, notamment à l’école de Thomas d’Aquin, plus il a eu envie d’ explorer l’approche spirituelle du mystère de Dieu. Son livre sur la Vierge Marie se trouve à l’intersection de ces deux sciences. A la fois une synthèse infaillible sur la théologie mariale et en même temps une méditation sur le rôle de Marie dans l’œuvre du Salut, et donc sur la place de la mère de Dieu dans la dévotion personnelle d’un catholique. C’est assurément le livre le plus solide consacré à la Vierge Marie depuis le Court traité sur la Vierge Marie du père Laurentin, paru en 1967.
« Marie résume en sa personne tout ce qu’enseigne la doctrine catholique au sujet de la créature devant Dieu. » Reprenant une intuition du cardinal Congar, le père Torrell confirme la place charnière que joue Marie dans le débat œcuménique : « La discussion avec nos frères protestants se résume en un point : Qu’il s’agisse des rapports de la grâce et de la nature ou de l’Eglise comme instrument de salut et par contrecoup de l’existence du ministère ordonné, on retrouve toujours le même problème de fond : la participation et la coopération humaine à l’œuvre de son salut. Si Marie représente le cas le plus éminent de cette collaboration de l’homme avec Dieu, il ne faut pas s’étonner de la cristallisation sur sa personne de bien des difficultés… »
Le père Torrell, avec la méthode progressive de tous les bons professeurs, aborde les principales questions de la théologie mariale avec simplicité, rigueur et sobriété. Il met d’emblée en garde contre les « discours vides » qui remplissent bien des livres à propos de la Vierge Marie. Dans la meilleure tradition théologique, le dominicain de Fribourg s’appuie sur l’Ecriture sainte et toute la tradition, y compris liturgique, pour essayer de comprendre ce que signifie l’expression du Credo « Conçu de l’Esprit-Saint, né de la vierge Marie ». Il oriente donc son propos vers la relation entre le Sauveur et sa mère. Dans une deuxième partie, il aborde le rôle de Marie dans la vie du croyant, de la maternité spirituelle de Marie à l’égard des chrétiens.
Aucune des questions que se pose le contemporain en ce qui concerne Marie n’est laissée dans l’ombre. La crédibilité des évangiles de l’enfance de Jésus où le rôle de Marie est important, la conception virginale, le vœu de virginité de Marie mis en cause par la question des usages de l’époque et celle des frères de Jésus, la possibilité d’une virginité conservée après l’enfantement, l’importance de la formule « Mère de Dieu » pour la théologie de l’Eglise, la définition des dogmes récents de l’Immaculée Conception et de l’Assomption, le rôle des apparitions mariales et leurs messages, l’émancipation de la femme… Il en profite pour offrir des excursus didactiques sur le canon des écritures, sur la place du miracle dans la foi, sur l’influence de la recherche scientifique dans la théologie…
Ce qui ravit dans cet essai, c’est l’audace tranquille du théologien qui va jusqu’au cœur de l’objection, qui s’attache à démonter d’abord les critiques les plus vaines pour se consacrer aux questions les plus judicieuses et les plus honnêtes. Il y a une sorte d’ingénuité désarmante dans son propos, une fraîcheur à laquelle la théologie n’est pas habituée. Mais la rigueur de la démonstration n’en est que plus lumineuse et l’efficacité de la méthode d’autant plus redoutable. En ce qui concerne la Vierge-Marie, le père Torrell rappelle constamment que l’originalité de sa vocation n’est pas présente dans le dessein de Dieu pour esbaudir les fidèles. Il s’agit d’éclairer notre foi dans le Christ. « La conception virginale n’est pas d’abord un privilège de Marie : c’est un dogme christologique. » Si la théologie mariale doit être traitée avec sérieux, c’est qu’elle concerne le mystère de l’Incarnation et le mystère de l’Eglise.