La garde des sceaux, a donc confirmé la détermination du gouvernement. Défendu au nom de « l’exigence d’égalité », son projet de loi entend aussi ouvrir à deux hommes ou à deux femmes un droit à l’adoption, mais Christiane Taubira affirme qu’il ne s’agit pas d’un droit à l’enfant, en raison de la rigueur de la procédure d’adoption.
Le texte exclurait par ailleurs « de [son] périmètre » la procréation artificielle. Enfin l’objection de conscience est clairement refusée aux maires, au nom de « l’ État de droit » et de leur mission d’officiers d’état civil, mission dont Christiane Taubira souligne au passage que les maires « sont très fiers ». La ministre concède cependant que son projet de loi « ne préjuge pas de ce que les parlementaires décideront. »
Justement, alors qu’on avait d’abord pensé que Christiane Taubira avait été chargée par l’exécutif de distraire une opinion publique en plein désenchantement, l’annonce gouvernementale semble avoir pris de cours un événement sur lequel le lobby homosexuel comptait pour pousser beaucoup plus loin ses revendications : ce même 11 septembre se tenait au Sénat un colloque organisé par la sénatrice écologiste Esther Benbassa où s’exprimait tout ce que le lobby homosexuel comporte de plus transgressif. Le retentissement de ce colloque a été éclipsé par l’annonce gouvernementale au grand dam de l’Interassociative-lesbienne, gay, bi et trans (Inter-LGBT) que l’Agence France-Presse (AFP) se plaît à désigner comme « l’interlocuteur habituel du gouvernement pour les sujets liés à l’homosexualité ».
Effectivement, c’est au porte-parole de l’Inter-LGBT qu’il est revenu d’annoncer, au sortir d’une longue réunion avec Christiane Taubira le 13 septembre, la date de présentation du projet de loi au conseil des ministres : ce sera le 24 octobre 2012. Dans son étrange exercice de rapporteur des propos ministériels, Nicolas Gougain précisait alors que Christiane Taubira « s’en remettrait aux arbitrages du président de la République et du Premier ministre ».
Les réactions politiques ont alimenté le débat pendant plusieurs jours. La plupart des élus de droite — à l’exception notable de Roselyne Bachelot — ont contesté le projet gouvernemental, tantôt sur le fond, tantôt sur la forme, à l’image de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin estimant que ce projet risquait de provoquer « une diversion par rapport à une crise extrêmement brutale » et de la « division », « alors qu’il faudrait rassembler le pays et chercher la cohésion sociale ».
Tandis que Christine Boutin réitère son appel à un référendum, des leaders de droite et de gauche n’hésitent plus à confier leur sentiment que ce sujet risque de dégénérer en puissant affrontement civil.
À gauche, la contestation porte sur l’exclusion de la procréation artificielle d’un projet qui semble diviser le gouvernement lui-même… Le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et le Parti radical de gauche (PRG) ont notamment réagi en réclamant l’intégration d’un droit d’accès à l’AMP (assistance médicale à la procréation) dans le projet. Plusieurs parlementaires de la majorité présidentielle promettent des amendements en ce sens, comme le député PS du Nord Bernard Roman.
à l’inverse, un vent de fronde monte au sein de l’Association des maires de France dont nombre des adhérents sont prêts à entrer en contestation.
Et c’est de l’Île-de-Beauté que les premières escarmouches ont été notées par l’AFP, relayant un article de Corse matin. Ces « réfractaires » qui ne veulent pas célébrer en mairie des mariages entre personnes de même sexe ont découvert qu’on entendait les y forcer sans aucune concertation préalable.
Le gouvernement aurait-il sous-estimé la puissance — et la diversité — de l’opposition à ce projet ? Alors qu’il s’attache jusqu’à maintenant à soigneusement esquiver la question que cette opposition entend mettre au cœur du débat : l’enfant.
Il s’agit de prendre au mot le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarant à propos de cette question : « Ce qui compte, c’est le bonheur des enfants.» Or, de nombreux spécialistes de l’enfance ont commencé de souligner l’injustice d’une disposition qui prétendrait les priver délibérément d’un père ou d’une mère. Les personnes adoptées elles-mêmes, ou les couples qui ont déjà reçu un agrément en vue de l’adoption pourraient à leur tour s’exprimer, de même que les personnes qui ont subi cette prétendue « homofiliation » et qui en ont souffert, ce que les études sérieuses qui commencent à sortir tendent à démontrer.
Dans l’embrasement médiatique, il faut noter les titres particulièrement ambigus que l’AFP a choisis pour synthétiser les réactions de deux cardinaux français. Pour résumer les propos de l’archevêque de Paris, une première dépêche donnait l’impression qu’il avait baissé les bras : « André Vingt-Trois et le mariage homosexuel : « Nous observerons la loi » ». En réalité le président de la Conférence des évêques de France avait au contraire exprimé sa volonté d’infléchir le projet gouvernemental, et de nouvelles dépêches ont corrigé le premier titre. Procédé inverse avec l’archevêque de Lyon : pour résumer une longue émission au cours de laquelle le mot « polygamie » n’avait pas été prononcé, l’AFP avait choisi un titre provocateur : « Le mariage gay ouvrirait la voie à la polygamie et à l’inceste, selon le cardinal Barbarin ». Le Primat des Gaules n’avait fait que lister les revendications qui fleurissent incontestablement, notamment sous le vocable de « polyamour ». D’ailleurs, les deux ministres Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem ont tour à tour contesté la virulence des réactions suscitées par une dépêche caricaturale.
Dans un entretien au Monde, le président du Consistoire central israélite de France, Joël Mergui, a quant à lui confirmé que « la religion juive ne reconnaît évidemment pas le mariage homosexuel » en s’interrogeant « au-delà de l’interdit religieux » (…) « sur le sens d’une société qui accorderait la même normalité à des familles où l’enfant aurait deux pères ou deux mères au lieu d’un père et d’une mère, le modèle traditionnel ». Un front supplémentaire : le débat est bel et bien lancé.