Le problème, c’est que dans ce compromis entre eau bouillante (position catho progressiste incarnée par la sémillante Frigide) et eau froide (position catho tradi-éclairée, interprétée par Chantal), arrive ce qui devait arriver : le mélange qui s’annonçait comme un débat relancé (cf. le titre « Le Débat continue ») se transforme finalement en eau bien tiède et stagnante, même si Frigide Barjot a l’art de nous la faire passer pour une nouvelle eau chaude géniale qu’elle aurait inventée ! Mais c’est toujours le même discours qui tourne en boucle.
Comme à son habitude, Frigide Barjot sonne trompette, se prend pour le général de Gaulle face à une foule, et pense qu’en mettant le paquet sur la forme et des phrases-choc populistes, elle palliera l’absence de contenu (« évoluer », p. 39 ; « J’appelle ici et maintenant », p. 38 ; « faire évoluer » p. 39 ; « aussi appelons-nous à un référendum. Que le Peuple décide ! », p. 39 ; « notre demande », p. 40 ; « nombre d’homos nous ont suivis », p. 41 ; « redonner la parole aux Français », p. 41). Elle minaude, en s’exprimant tantôt comme la « bonne copine » qui ose tout, tantôt comme la femme du monde qui sait se tenir (« Je vous laisse la responsabilité de vos propos », p. 41 ; « Vous faites fi des sentiments amoureux ! », p. 40). Et au bout du compte, quand on se penche sur les idées, on pleure ! En effet, dans le débat sur la loi Taubira, elle garde sa grande obsession pour l’enfant (« Cette focalisation sur l’intérêt supérieur de l’enfant est essentielle », p. 39) afin de ne surtout pas juger des actes homos (comme si le « mariage pour tous » ne posait problème que dans ses conséquences sur la filiation… Et les deux membres de l’union homo alors ? et la différence des sexes aimante mais parfois stérile ? et les célibataires ? et la violence de la pratique homo, qu’en fait-elle ?). Elle garde ses interdits rigides, injustifiés et arbitraires, par peur de l’image et de l’accusation d’homophobie (surtout pas d’« abrogation sèche » ! p. 41). Elle garde ses propositions bidon (le référendum, l’Union civile aménagée, l’adhésion à l’Avenir pour tous, etc.). Elle continue d’ignorer totalement le sujet de l’homosexualité (par exemple, elle décrète que l’homosexualité est une donnée « naturelle » et qu’elle n’est absolument pas une réalité construite, alors que concrètement, on n’a pas la réponse, mais juste beaucoup de coïncidences qui nous aident au moins à ne pas rejeter les thèses constructionnistes en bloc ni à souscrire aux thèses essentialistes en bloc non plus !). Elle n’aborde l’homosexualité que sous l’angle affectif et sentimentaliste. Selon elle, il faut valoriser légalement les « sentiments amoureux » (p. 40) des « couples » homos. Et en plus, elle fait preuve d’une homophobie et d’une misanthropie inconscientes en réduisant les êtres humains à leurs pulsions sexuelles (elle parle sans arrêt « des » homos, « des » hétéros, et tient pour établie l’existence de l’hétérosexualité, en noyant ainsi la différence des sexes et les Droits de l’Homme). Enfin, elle fait croire qu’elle est suivie par « bon nombre d’homos ». Ma main à couper qu’ils ne sont pas plus de dix !
Chantal Delsol, quant à elle, n’arrive pas, par sa modération et son scepticisme de bon aloi, à freiner le bulldozer rose dans ses excès. L’opposition molle contribue plutôt à la tiédeur de l’ensemble. On voit bien que la philosophe tient certains bons bouts de la bobine… mais qu’elle les perd aussi très vite. Par exemple, elle reprend (sans le savoir ?) la thèse pertinente du philosophe Guillaume Bernard expliquant que, contrairement à l’euthanasie ou l’avortement, c’est une grande première dans l’histoire de l’Humanité que la différence des sexes soit mondialement remise en cause par le « mariage pour tous ». L’exemple est juste. Mais où nous conduit-il ? Nulle part dans la démonstration de Chantal Delsol. Elle ose également amorcer une opposition à la justification sociale de l’homosexualité : c’est audacieux… mais pas étayé. Sinon, autre début raté : elle esquisse un début de critique de l’hétérosexualité, mais malheureusement elle essentialise celle-ci aussi en la définissant comme une « norme » sociale mondialisée (p. 40) : elle n’a donc rien compris. Idem : sa récusation de la « fausse bonne idée » du référendum frigidien eût été pertinente si elle avait expliqué que la réalité du mariage est ontologique, ne se discute donc pas, y compris quand c’est le Peuple qui est consulté. Au lieu de ça, Chantal Delsol a présenté l’excuse bidon du relativisme culturel (« La France n’a culturellement pas la tradition des référendums »). Zéro pointé.
Par ailleurs, la philosophe se montre finalement peu téméraire, tant sur la manière de dire son désaccord (« Ce n’est pas à moi de juger… » sort-elle ; « Je vous laisse la responsabilité de vos propos » lui rétorque Frigide. Ça va durer longtemps, vos courbettes ?) que sur le fond. Car on ne comprend toujours pas pourquoi tout d’un coup madame Delsol se lâche en sortant que « le mariage homosexuel est un pur délire ». On est prêt à prendre, mais à condition d’avoir l’argumentation. Là, rien ! Enfin, Chantal Delsol s’abaisse malheureusement — par politesse ? par ignorance ? — à des compromissions qui sont au mieux inutiles (exemple : le souhait d’une réconciliation entre l’Avenir pour tous et LMPT. Une réconciliation… OK… mais pour quoi ? Pour voir la boulimie de notoriété frigidienne ressurgir sur nos écrans ?), au pire dangereuses (elle justifie le PaCS par défaut, comme une solution de repli : « Le PaCS existe déjà. Pourquoi aller plus loin ? », p. 41… alors que le PaCS est la passerelle idéologique du « mariage pour tous », et la première loi qui a été socialement homophobe en France car elle a essentialisé les citoyens français à partir de leurs tendances sexuelles et non plus leur sexuation).
Chantal Delsol pointe donc trop timidement les contradictions et la vanité des propositions de Frigide Barjot, et trop peu le nœud du problème — la bipolarité homosexualité/hétérosexualité — pour être crédible. Elle finit même par brosser Frigide Barjot dans le sens du poil en lui reconnaissant le statut de détonateur du grand mouvement de conscience qui s’est levé en France en 2013. « Force est de vous rendre hommage en reconnaissant que votre action a été le facteur déclenchant de la mobilisation des foules dans la rue » (p. 38). D’où tire-t-elle que les manifs de rue ont été un succès ? ou bien que c’est Frigide Barjot qui a levé les foules ? De rien. De sa démagogie. Du « on dit ». De la télé. De Frigide elle-même. Car les Français se seraient levés de toute façon massivement, avec ou sans Frigide (qui leur a volé la vedette). Les Français ne se sont certainement pas déplacés pour les beaux yeux de Virginie Tellenne. C’est uniquement le mariage — et l’intuition de son importance — qui a mobilisé autant. Remettons, s’il vous plaît, les gens à leur place au lieu de tresser de fausses couronnes.
En conclusion, le titre aguicheur « Mariage pour tous : le débat continue » vend du rêve. Mais certainement pas du débat. Frigide Barjot fait feu de tout bois pour faire parler de son nouveau livre 1 et pendant ce temps-là, on fait semblant de traiter des sujets de fond sans les aborder en profondeur. On fait semblant de se contredire poliment. Et chacun rentre chez soi. Next ! Ça fait un joli article inutile de plus. Il n’y a pas à tortiller. Tant qu’on ne remettra pas en cause l’hétérosexualité, on continuera de jouer à la dînette !