En 2012 j’ai proposé à une revue catholique un article intitulé “Pourquoi le mariage gay est inévitable“. Le rédacteur en chef m’a répondu que c’était fort intéressant, mais « qu’il ne serait pas judicieux de le publier. On risquait de décourager nos amis qui se consacraient activement à la lutte contre cette tendance. Et même si leurs efforts n’aboutissent pas on peut en tirer plus tard un avantage politique… Je m’interroge sur un avenir incertain, dont j’ignore à peu près tout, qui devrait être inimaginable, mais je suis certain qu’il ne faut pas publier cet article par fidélité envers nos amis. »
Le Seigneur ne m’a pas accordé le don de prophétie, et je m’aperçus que ma jérémiade pouvait bien être prématurée. De même qu’Isaïe, Jonas, et Cie l’ont parfois déclaré, l’équivalent Hébreu des ”précautions politiques” pouvait aider à échapper à des horreurs semblant inévitables.
J’ai alors fignolé mon papier, me concentrant sur quatre facteurs semblant rendre inévitable le mariage gay, mais tous quatre susceptibles de reformulations pouvant en atténuer la probabilité. Un article sur ”The Catholic Thing” est paru voici un an. J’y traitais :
1/ Sans preuve scientifique, on considère que les homosexuels le sont ”de naissance” — ce qui ouvre la porte à des questions de droits civiques.
2/ L’homosexualité, traditionnellement considérée comme une anomalie psychique a été déclassifiée par la Société Américaine de Psychiatrie en 1973, et n’est plus considérée comme une déviance mais comme un comportement normal.
3/ La mentalité dominante qui approuve l’acte sexuel comme refus de procréer ne saurait tirer une argumentation logique réprouvant l’acte homosexuel, par nature impropre à la procréation.
4/ La dévolution du sacrement de mariage ramené à un contrat civil au même titre que les autres contrats est la conséquence de la Réforme protestante.
Je ne redirai pas ici mon argumentation mais j’ajouterai quelques considérations relatives à trois facteurs qui sont apparus comme de plus en plus évidents depuis environ un an. Les deux premiers peuvent être assimilés à ”Civics 101” 1, pleins de bon sens mais sujets à retouches, ils peuvent faire changer la teneur des graffitis sur les murs.
Le premier facteur est relatif au contrôle de l’équilibre dans la séparation des pouvoirs, élément sacro-saint pour les Pères Fondateurs de notre république démocratique ; si ce principe était bien calé, la Cour Suprême ne pourrait rendre des arrêts prenant valeur de loi pour tout le pays — par exemple l’arrêt de 1857 dans l’affaire “Dred Scott“ accordant en fait à tout citoyen le droit de posséder des esclaves, ou, en 1973 l’arrêt Roe contre Wade établissant les bases de l’extermination légale de sa propre descendance (par l’avortement), et, tout récemment “États-Unis contre Windsor“ étendant la légalisation du mariage gay à tout le pays.
Où trouve-t-on l’autorité législative dans cette confection virtuelle de lois par les deux autres pouvoirs ? Comment et quand le Congrès [pouvoir législatif] confronté au pouvoir judiciaire (qui devrait dire le droit selon les lois) et à l’exécutif (qui devrait appliquer les lois) va-t-il se réapproprier son droit constitutionnel de légiférer ?
Le second facteur est le principe sacré des droits des États qu’il faut ranimer par les législations propres aux États — en particulier si et quand le Congrès continue à abandonner ses propres prérogatives constitutionnelles.
La sentence de Juin dans l’affaire citée ”États-Unis contre Windsor” semble laisser aux États un espace permettant de légiférer sur la reconnaissance de la validité des mariages. Selon un ”scénario-catastrophe”, le chemin peut être tracé pour des chicanes sans fin parmi les États ”bleus” 2 et ”rouges” 3 ou dans les États indifférenciés dont les habitants peuvent bien être vigoureusement ”pro” ou ”anti” mariage gay. Mais bloquant l’intervention des juges de tels chicanes pourraient conforter le Dixième Amendement de la Constitution 4, empêchant le gouvernement [fédéral] d’intervenir dans des domaines strictement propres à la compétence des États.
Enfin, un facteur que les Pères Fondateurs ne pouvaient guère anticiper dans leurs rêves les plus fous est l’impact peu ou prou civilisé de l’Internet et des “réseaux sociaux“ qui déchaînent au vingt-et-unième siècle des phénomènes de manifestations violentes.
Dans l’État du Wisconsin on a assisté en 2011 soir après soir à des manifestations vers le Capitole de Madison [Capitale de l’État], retransmises à la télévision régionale et nationale : les législateurs étaient assaillis alors qu’ils tentaient de faire passer un texte auquel les Démocrates étaient hostiles (beaucoup d’entre eux se sont éclipsés vers l’Illinois pour ne pas participer au vote).
Une foule de protestataires envahissait le Capitole, hurlant et menaçant le Gouverneur Walker et les élus Républicains, qui, finalement, passèrent un texte rendant caduque l’obligation d’adhérer à un syndicat pour certaines catégories de fonctionnaires. [NDT : dans à peu près la moitié des États subsiste l’obligation d’adhérer à un syndicat pour être embauché. Cet “archaïsme social“, bien que soutenu par Obama, est actuellement fort contesté.]
Je me trouvais récemment un soir au Texas, où le sujet N°1 à la télévision était l’obstruction menée par le sénateur Démocrate Wendy Davis contre une loi destinée à encadrer l’avortement ; les manifestants entassés dans les tribunes ont empêché en braillant le décompte des voix avant l’heure limite pour faire passer le texte, en dépit des efforts du service d’ordre cherchant à expulser les trublions. Comment protéger les délibérations législatives et les décisions juridiques de la piraterie d’agitateurs voués à empêcher la sérénité des débats chez les législateurs ?
On peut imaginer un “changement de cap“ grâce au soutien d’États réussissant à légiférer en se protégeant d’incursions de manifestants hostiles ; peut-être aussi la vigoureuse résistance dans tout le pays des évêques catholiques contre l’obligation par “Obamacare“ d’assurer la gratuité de la pilule et autres contraceptifs fera-t-elle évoluer les mentalités en ce qui concerne la contraception.
Tableau : Graffiti (Le festin de Balthasar, Rembrandt, vers 1636).
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/on-the-inevitability-of-gay-marriage.html