Dans la messe de ce jour 1 l’évangile de Jean nous parle de Judas. Il reste un personnage bouleversant. Il n’est pas comme Pierre ou comme le Bon Larron, qui ont commis de vilaines actions mais sont parvenus à s’en repentir. On nous dit que Judas s’est pendu ultérieurement, après avoir rendu les trente pièces d’argent qu’il avait reçu du Chef des prêtres.
Ces actions indiquent à la fois le désespoir et le regret. J’ai lu des commentaires suggérant que, même s’il s’est pendu, Judas « pourrait » s’être repenti. « Qui sommes-nous pour juger ? » Mais il ne fait pas de doute que le cas Judas est une affaire plus que sérieuse, quand on y pense.
Nous nous demandons quel rôle chacun de nous aurait joué dans la Passion. Potentiellement, de terribles choses peuvent sortir de nos désirs et de nos âmes. Nous ne trompons personne d’autre que nous-mêmes si nous pensons autrement. Dans la liste des Apôtres, Judas est habituellement désigné comme celui qui va « trahir » le Christ. Et il l’a fait, aucun doute là-dessus. Jésus lui dit de faire ce qu’il a à faire « rapidement ».
Nous ne pouvons que faire des spéculations sur la raison de la trahison de Judas. Il avait été choisi pour être Apôtre, pour suivre le Christ. De toute évidence, il était intelligent. Il avait un grand potentiel, tout comme les autres Apôtres, même s’ils étaient des pécheurs et des travailleurs ordinaires.
Les Apôtres ont à accepter et porter leur vocation. Je n’ai jamais vraiment faite mienne l’idée que Judas a agi ainsi parce qu’il était voleur ou simplement avide, bien qu’il ait semble-t-il montré de tels penchants. Nombre de récits et nouvelles le présentent comme un intellectuel aigri. Il tenait les cordons de la bourse.
A Béthanie, il objecte à l’onction de parfum précieux sur les pieds de Jésus qu’on « aurait pu le vendre et en donner le montant aux pauvres ». Cette remarque fleure son intellectuel.
C’est à ce moment que le Christ dit « vous aurez toujours des pauvres avec vous » (Matthieu 26/11). Il existe des choses plus importantes que d’autres, mais seulement si nous avons le sens de la transcendance.
Certes, nous savons que le Christ devait être rejeté par Son peuple. Judas était un rouage dans la machination conduisant à la mort de Jésus. Beaucoup de gens ont été impliqués. Pourtant, lui qui a livré le Christ à Pilate porte la plus lourde faute (Jean 19:11).
Dans le plan divin, tous les acteurs impliqués dans l’arrestation du Christ, son emprisonnement, son procès et sa mort sont libres de leurs actes. Aucun d’eux n’était « obligé » de faire ce qu’il a fait. Que l’un d’entre eux ait saisi de quelque manière qu’il avait devant lui le Messie ou le Fils de Dieu est assez improbable. Mais chacun d’entre eux savait pertinemment qu’il avait affaire à un innocent.
Pilate l’a même reconnu. Chacun savait qu’il devait mentir, tromper ou inventer pour parvenir au but poursuivi : se débarrasser de cet homme et de son message. L’un des chefs religieux, Gamaliel, a dit plus tard que, si c’était l’oeuvre de Dieu, aucune opposition ne pourrait lui nuire (Actes 5/39). Il avait raison. Ils sont devenus les acteurs qui ont mené les événements à leur achèvement.
Quand Judas a quitté la pièce, Jésus a continué son discours. Alors que Judas était encore présent, il a entendu ces mots : « Mon but est l’accomplissement des Ecritures. Celui qui partage mon pain a levé la main contre moi. Je vous dit ces choses avant qu’elles n’arrivent afin que lorsqu’elles arriveront vous croyiez que Je Suis. »
Jésus reprend : « Maintenant le Fils de l’Homme est glorifié, et Dieu est glorifié en Lui. » C’est presque comme si le départ de Judas était nécessaire pour que les autres Apôtres puissent entendre ces choses. Le Christ savait que le mécanisme de Sa mort était enclenché. Il devait y faire face. Ses amis allaient fuir ou reculer. Ce qui se mettait en place ne se confinait pas au Cénacle.
La première lecture de la messe est tirée d’Isaïe 49 : « Je ferai de toi une lumière pour les nations, afin que mon salut puisse atteindre les extrémités de la terre ». Nous savons que la connaissance des événements a atteint toutes les nations, bien que souvent limitée, rejetée ou entravée. Peut-être qu’atteindre ne signifie pas toucher au coeur ?
Judas nous fait penser aux obstacles humains répandus sur le chemin du Christ. Ils deviennent les moyens par lesquels le plan de Dieu se réalise. C’est assez inconfortable, plutôt troublant. Les paroles de Gamaliel semblent justes : Ne traitez pas avec ces Apôtres. « Si (leur enseignement) vient de Dieu, vous ne pourrez pas les détruire sans combattre Dieu Lui-même » (Actes 5:39)
On se demande, en ce mardi de la Semaine Sainte, si ce n’est pas ce qui est en train de se passer aujourd’hui – combattre Dieu.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/tuesday-of-holy-week.html
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James V. Schall, S. J. a enseigné à l’université de Georgetown durant 35 ans. C’est un des écrivains catholiques les plus prolifiques aux Etats-Unis.
Tableau : Le remords de Judas, par Edwards Armitage, 1866.