Marcela Iacub est ce qu’il convient d’appeler une intellectuelle sulfureuse ou une publiciste provocante. Dans le domaine moral et sur le terrain dit sociétal, elle se signale par des prises de positions extrêmes, qui consistent à dézinguer la morale ordinaire, celle dont Jules Ferry disait qu’elle était celle de nos pères. Parfois, la provocation défie plus que ce qu’Orwell appelait la « commune décence ». Mais ne rappelons pas trop les mauvais souvenirs. Je préfère garder d’elle une conversation, il y a quelques années, aux rencontres Pétrarque à Montpellier, tant elle est aussi capable de liberté d’esprit. J’en veux pour preuve la tribune qu’elle a récemment publiée dans Libération (3 juin 2016) sur l’euthanasie.
Elle y explique comment elle a été choquée par la mise à mort légale d’une jeune fille de vingt ans, déprimée et anorexique. Le cas n’est pas exceptionnel. Depuis quelques années, aux Pays-Bas comme en Belgique, on recourt de plus en plus à l’euthanasie pour des personnes atteintes non seulement de maladies psychiques mais aussi de souffrances d’ordre psychiatrique. Ainsi un Bruxellois a organisé l’euthanasie de ses parents octogénaires, parce qu’ils avaient peur de la solitude. Et aux Pays-Bas, une octogénaire a été euthanasiée parce qu’elle ne souhaitait pas aller vivre dans une maison de retraite.
Ces faits révoltants relèvent-ils d’une pratique totalitaire, se demande Marcela Iacub ? Non : le nazisme, par exemple, donnait la mort à ceux qui, d’évidence, ne la demandaient pas. Dans nos régimes dits de droit, il s’agit de répondre à la libre requête des personnes, qui décident par elles-mêmes, et l’État n’est pas juge de leurs décisions. Sans doute, mais qu’est-ce que la liberté lorsqu’elle ne respire plus dans un certain climat où l’idée du Bien éclaire la conscience ? Mais Marcela Iacub pose autrement le problème. Elle met en évidence la relation du droit de mourir avec « une société qui produit de plus en plus de solitude, et qui se désintéresse des liens au profit du faire et de l’avoir ». Et elle incrimine alors de véritables assassinats d’État. Elle met en cause le principe même de l’euthanasie, au-delà des souffrances psychiques. Plutôt que de désigner les pathologies en cause, on préfère effacer les symptômes en éradiquant les sujets souffrants. Et Marcela Iacub conclut que c’est notre conception de la vie qui est en cause. Une vie, dont le prix est relatif : « Ainsi il irait de la vie comme du chocolat, du ski et de la bière, certains l’aiment, d’autres pas. » Drôle de monde ! Il paraît que c’est le meilleur des mondes…