Notre confrère La Vie, à l’instar de beaucoup de journaux de la presse catholique, contribue activement à la réflexion à propos du cinquantième anniversaire de l’ouverture de Vatican II. Je ne serai évidemment pas le seul à relever l’intervention du philosophe Marcel Gauchet dans cet hebdomadaire eu égard à sa personnalité et à la pertinence de sa pensée pour notre temps. Je lis attentivement ses livres et ses nombreuses publications depuis cet ouvrage majeur que constitua Le désenchantement du monde, qui date de 1985. J’ai aussi la chance de le connaître personnellement et d’apprécier son alacrité d’esprit, sa culture considérable et sa rigueur intellectuelle. C’est dire combien j’ai accueilli avec intérêt ce qu’il dit du concile et j’aurais de multiples questions à lui poser.
J’avoue cependant être surpris par certaines de ses affirmations. Lorsqu’il proclame que Vatican II a effacé Vatican I, je ne le comprends pas. Sans doute a-t-il un point de vue extérieur qui lui fait juger du contenu des conciles selon des critères historiques et spéculatifs qui sont les siens, et que non seulement je respecte mais qui m’interrogent personnellement et m’obligent à sortir de moi-même pour accéder à un autre ordre de rationalité. Tout de même, il faudrait s’entendre sur un minimum commun, qui en l’espèce, est le corpus des conciles, leurs textes exacts. Or entre les corpus de Vatican I et de Vatican II, je ne vois nulle opposition mais je constate au contraire une complémentarité, celle que le cardinal Newman identifiait à l’aune d’un développement homogène. Vatican I n’avait pu aller jusqu’au bout de son programme, mais ce qu’il a énoncé, non seulement l’Église ne l’a pas démenti par la suite, mais au contraire n’a cessé de l’intégrer, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la question capitale de la foi et de la raison. Quant au rôle du successeur de Pierre, il a été défini dans des termes tels que l’auteur du désenchantement du monde devrait s’y retrouver, puisqu’il concerne le découplement du spirituel et du temporel facilité, il est vrai, par la fin des États pontificaux, mais significativement affirmé au moment précis de ce tournant de l’histoire de la papauté.
Cette très brève et insuffisante remarque n’est pas seulement une objection, elle constitue une invitation à mieux cerner ce qu’exprime Marcel Gauchet, qui se veut, en l’espèce, l’interprète de la modernité. Il sait cette modernité suffisamment incertaine pour pousser plus avant son analyse. Qu’est-ce qui a changé depuis cinquante ans et qui interpelle particulièrement l’Église d’aujourd’hui ?