Le communisme soviétique a toujours refusé Dieu. Sa construction de « l’homme nouveau » est rigoureusement temporelle, matérielle, terrestre. L’histoire communiste chinoise à l’inverse, spécialement entre 1960 et 1976, a revêtu une dimension métaphysique. Lénine une fois arrivé au pouvoir puis Staline et ses successeurs furent des pragmatiques en comparaison avec Mao. Il y eut bien des projets démentiels comme le plan cotonnier, mais rien qui soit à la taille de la démesure chinoise. La « révolution culturelle prolétarienne », loin d’être une déviation, fut l’expression logique de cette volonté prométhéenne de changer l’histoire et le monde, c’est-à-dire la Chine. Non pas un nouvel homme, mais un peuple nouveau, totalement, totalitairement, ce que Mao a toujours appelé « les masses », prétention inouïe, démente, inédite, catastrophique bien entendu. Mao en démiurge.
Une analyse communément entendue aujourd’hui est que, sortant de l’indivision, de la confusion avec leurs semblables et la terre-mère, et de la divinisation de Mao qu’elle sous-tendait, les Chinoises et les Chinois qui ont traversé un processus d’individualisation en même temps souvent que d’urbanisation, ne vivraient que dans le relatif, l’immédiat, sinon l’éphémère, sans « conscience », sans morale, sans mémoire, sans savoir, et bien entendu sans Dieu, sans même le concept d’un absolu ou d’une transcendance.
Contrairement à nos maoïstes soixante-huitards qui sont repartis en quête d’autres absolus, d’autres tentatives héroïques à prétention apocalyptique, comme celle de Khomeini, d’agir sur le cours de l’histoire et de la destinée des peuples, les sujets de la révolution et parfois ses enfants, en Chine, sont entrés à fond dans la simple vie humaine et, pour la première fois, la recherche du bonheur individuel. Sauf les plus de 70 ans, ils ne savent rien du passé récent – depuis 1949 et la proclamation de la République populaire -, rien des grandes famines du Bond en Avant, rien de la décennie des « gardes rouges », rien même, pour les moins de 25 ans, de Tiananmen. Et il semble que cela aujourd’hui indiffère tout le monde, hormis quelques intellectuels et militants des droits. Même s’ils savaient, la majorité des gens ne changeraient rien à leur vie quotidienne.
La question qui se pose est alors : qui est ce Mao dont le portrait trône encore sur de nombreux monuments publics ? Comment faire la distinction entre l’homme Mao héros de la « Longue Marche » et le Dieu Mao qui dévore ses enfants durant la dernière décennie de son règne ? Accessoirement, comment célébrer Deng Xiaoping comme auteur de la révolution économique de 1978 sans parler du bourreau de Tiananmen en1989 ? La question est de savoir si le Parti peut survivre à la vérité sur ces deux idoles.
Le Parti Communiste Chinois n’a cessé de réécrire l’histoire de la Chine contemporaine. Même si ses mensonges ne trompent personne et ne devaient rien changer à l’appétit de vivre des jeunes Chinoises et Chinois, on ne peut pas impunément ni durablement priver un peuple de son passé. On attend de la nouvelle direction collective, survivants de la révolution culturelle, qu’elle amorce, à sa manière, à la chinoise, une sorte de « révolution de velours », qui serait ici de la soie, la déconnexion entre la vérité et le parti. C’est à eux de savoir comment le parti pourra ensuite garder le pouvoir s’il n’est plus porteur de LA Vérité. Cela ne devrait pas être trop difficile compte tenu du cynisme ambiant. Mais justement c’est la seule voie vers la diffusion d’une nouvelle « conscience historique » qui pourrait évoluer en « conscience morale » et à l’accueil d’autres vérités, moins matérielles et plus spirituelles. On a souvent parlé du « maoïsme », notamment en France et en Italie, comme d’une hérésie catholique, la forme révolutionnaire du catholicisme pour certains jeunes. A cause de Mao, aujourd’hui en Chine, il sera longtemps difficile de parler de Dieu et spécialement de Jésus-Christ, non tant parce que le régime a combattu les Eglises et les diverses confessions, sectes ou rites, mais parce qu’il a fait de Mao un Dieu, un Dieu de substitution, un homme divinisé. De l’homme fait Dieu à Dieu fait homme c’est bien entendu tout le contraire. La Révélation à travers la nouvelle évangélisation de la Chine passe à nouveau par l’Histoire.