Journée rude que celle d’hier ! Je me veux ou me crois comme à cinquante ans, même moins, mais ce désir est contredit par des évidences encombrantes. Arrivé le matin en pleine forme place de La Rochefoucauld à Angers afin de prendre le car affrété par la Manif pour Tous, – j’étais avec Natacha et Jean-Pierre Rousseau –, mais de retour le soir je donnais le spectacle affligeant d’un vieux bonhomme se traînant, pas après pas, pour revenir prendre ma place dans le même car… Il avait été mis à stationner en l’allée de Longchamp, au bois de Boulogne…
Cependant pas assez mis hors jeu pour ne pas apprécier à sa juste beauté la vigoureuse végétation de ce bois qui, à cet endroit, semble avoir largement profité des innombrables pluies des premiers mois de la nouvelle année… Malheur pour les uns, bonheur pour les plantes… Eh oui, déjà en effet la fin du « joli mois de mai » ! Près de cent cinquante jours qui ont filé comme des chevaux au galop …
Nous sentons bien que, gagnant, toujours fringants, la Porte Dauphine, nous allons nous y retrouver nombreux : les souvenirs, très dynamisant, du 13 janvier, du 24 mars, du 5 mai sont en ma mémoire comme en celle de mes compagnons de route…
Pourtant, nous savons que nombre de marcheurs seront contre leur gré restés chez eux : des étudiants obligés de préparer enfin plus sérieusement les épreuves de juin… ; des jeunes ayant ce jour-là rendez-vous dans leur paroisse afin d’y prononcer leur Profession de foi, accompagnés naturellement de toute leur famille ; d’autres, avec des adultes, membres ici de différentes chorales, s’apprêtent, devant leur public, à enluminer de leurs chants ce dimanche qui, par chance, promet d’être sec et beau… ; certains, plus nombreux qu’on ne le croit, ont au dernier moment cédé à la tentation du « à quoi bon, la loi est validée »…, les médias ayant donné de la trompe pour faire valoir à quel point cette manif était, selon eux, inutile ; des enfants laissés en nombre à la maison par leurs parents, qu’ont effrayés les propos nocifs des autorités gouvernementales servilement repris par ces mêmes gros et gras médias… Emmanuel Valls avait soigné sa voix grave d’un Vautrin calamiteux et porteur de sinistres prédictions pour mieux et assez scandaleusement décourager le plus grand nombre de venir dire son fait à son grand Maître François Hollande… J’ai honte pour eux, sachant qu’ils n’éprouveront aucun malaise de conscience.
Ce qui en reste c’est par contre un profond mépris pour la façon dont tous ces gens exercent la démocratie. Vendredi et samedi quel vent de panique ils ont tenté de propager parmi nous comme un incendie : ministres et députés formant la tortue comme des légionnaires de César, tandis que les journalistes du Monde, de Libé et autres canards enchaînés ou déchaînés, firent valoir leur asservissement : de plus en plus de mèche et le petit doigt sur la couture du pantalon ! On usait autrefois du mot « gaudillot », j’emprunterai au dictionnaire le mot « larbin ».
Je crois n’avoir jamais constaté dans ma vie un tel alignement médiatique et idéologique. Si ce gouvernement peut se targuer d’une réussite, c’est bien celle-là : avoir, non pas muselé la presse écrite et orale, mais rassemblée sous sa casquette, tel des cheveux agglomérés par un gel délétère, litière pour pensée unique, fougère très antique silicifiée par les millénaires… le Figaro faisant exception parmi les quotidiens, Valeurs actuelles parmi les hebdos !
C’est donc avec un certain scepticisme que nous avons pris le départ : Angers bouillonnait de sportifs se changeant sur les trottoirs, arborant de multiples tenues légère, malgré le froid vif, afin d’aller participer aux épreuves de courses et d’athlétisme (me semble-t-il), tous l’esprit tendu vers les points stratégiques où allaient se dérouler les épreuves, s’échauffant pour être en la forme idéale afin de briller devant la foule des amis et parents venus les admirer, les encourager, les inciter à se surpasser… Bref, beaucoup de monde en moins pour la « manif » de Paris.
Pourquoi étions-nous cependant de si brillante humeur alors que le car s’élançait vers l’autoroute ? Pourquoi partions-nous dans ce Nord où nous attendaient cris survoltés, discours alarmants, incitations renouvelées à la résistance ? Justement parce que nous savions à quel point il est devenu nécessaire de résister à la volonté de l’État de changer peu à peu l’ensemble de nos points de repères civiques et sociétaux, selon des formules qui sont à ce point antichrétiennes, anticatholiques, que l’on devine nos gouvernants avides d’habiter les vêtements de modernes anti-Christ. Comme si dans leur esprit le christianisme était déjà mort !
Ma femme s’était fait un panneau avec une formule vigoureuse et juste, reprise à Gémayel, du Liban, et qui fut assassiné il y a déjà longtemps par un des sbires de l’ancien Assad : « Résister c’est exister »… Moi-même j’en avais préparé un à deux faces : d’un côté il donnait à lire une courte phrase inspirée de saint Paul : « Résistons, soyons inébranlables » ; de l’autre : « Ce n’est pas fini, à peine si on commence ! »…
Tout au long du défilé, de la Porte Dauphine aux Invalides, la foule heureuse, les jeunes d’un entrain endiablé, les sifflets, les trompes de mer bruyantes en diable, les tambours crachant leur notes sonores, les plaisanteries cocasses fusant soudain d’une groupe de costauds ravis de cette fête, les slogans repris par l’ensemble de la foule et emplissant l’espace d’une rumeur sauvage quoiqu’encore bon enfant… Puis, tout à coup, un inconnu m’aborde pour me poser une question. Courte et joyeuse conversation. Un autre me reconnaît parce qu’il était à Notre-Dame des Armées, paroisse sise à Versailles : il y a plusieurs années, j’y avais donné, église bondée, une conférence sur le Linceul du Christ…
Ah mais ! comme aurait dit l’admiré Charles-Albert Cingria, l’esprit ne chaume pas, et les sympathies d’un moment – après on se quittera pour toujours peut-être (à moins que non ?) – ne cessent de me redonner le tonus qu’une sotte fatigue, mais envahissante, a fortement érodé : surtout les douleurs de genoux et de dos qui tentent peu à peu d’user, telle une peau de chagrin, mes ressources en résistance.
Une voix, derrière moi, m’interpelle pour me demander s’il est possible de prendre en photo mes phrases provocatrices : c’est une petite jeune fille au sourire radieux. Merveille ! Plus loin ce sera un homme d’au moins soixante ans qui brandit son appareil et fait de lui un bloc-notes pour blogue virtuel… Ils seront au moins une douzaine au total désireux d’enregistrer les faces de mon panneau…
Parmi les topos et autres discours que lance du podium installé face au chef-d’œuvre de Libéral Bruant, je retiens particulièrement une phrase à la fois juste et pleine d’humour : « Nous ne sommes pas les moutons de Bergé »… Et que non ! Pas plus d’ailleurs que les cocus de Hollande. L’animateur principal n’a cessé de proclamer que nous serons, dans les mois et les semestres à venir, son poil-à-gratter permanent. Commençons vite et « ne lâchons rien » !
Lieu de rencontres brèves que ce long cheminement mais chaleureux défilé… : dès l’arrivée sur la Place Dauphine, je vois le Père Yves-Marie, frère de Saint Jean en poste au prieuré de Mesnil-en-Vallée, qui était venu chez nous célébrer la messe de bénédiction de notre nouvelle demeure ; qui porta le doux message de la consolation à ma belle mère entrée dans une pénible et longue agonie de plus d’une semaine et qui célébra aussi, avec un autre prêtre, la messe de son départ ! Quel sourire de bienheureux chez lui ! À un kilomètre d’intervalle, deux autres frères de Saint Jean, l’un venu de Pellevoisin, prieuré où une petite communauté porte secours à des jeunes désireux de sortir des affres et tourments de la drogue ; le second, avec le Père Jean Marie Luc, animant le prieuré de Murat….
Rencontre également avec le père abbé de l’Abbaye de Kergonan, devisant à la porte de son car avec sa troupe de bénédictins souriant à la manière des enfants : je lui parle de l’exposition sur le Linceul, et sa réponse est des plus encourageantes… Il me dicte son adel afin que je puisse lui envoyer un courriel.
Je n’en dirai pas plus, ne cherchant pas à écrire un roman : tout de même, à signaler encore la présence active de Vincent Crouyx de Chanel, directeur de la station RCF Anjou : il est chef de notre car ! Belle occasion de faire mieux connaissance, surtout qu’il parcourut l’ensemble de notre car pour nous interroger sur ce que nous venions de vivre..
Le retour fut à l’image de notre état : silencieux et ensommeillé. Mais dans la joie la plus profonde. Nous ne savions pas quels étaient les résultats de nos grandes manœuvres mais nous nous avions la conscience en paix, comme des ouvriers ayant rempli leur tâche.
Cependant, à peine arrivé et même avant d’avaler la soupe sortie du congélateur par Natacha, nous avions ouvert le poste de télévision pour aller sur BFM, sans doute la moins gauchisée des chaînes. La police nous donnait donc pour n’avoir été que 150 mille manifestants … malgré la photo de la Place des Invalides que M. Wautiez regardait avec admiration, n’ayant pas peur de l’évidence rendue visible qu’il s’agissait d’une vraie multitude… Nous avions dans le car parié que pour le Préfet de Police nous serions moins que l’estimation de l’avant-veille : pari gagné !
(À suivre)