Manif pour la vie - où est la jurisprudence selon les conservateurs ? - France Catholique
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Manif pour la vie – où est la jurisprudence selon les conservateurs ?

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Une « Manif pour la vie » une fois de plus, dans le froid glacial de Janvier à Washington. J’y participais dès la première fois, et tous les ans mon moral a été regonflé. Le nombre d’avortements montant d’année en année — égalant presque les six millions de morts de l’Holocauste — nous ne pouvions imaginer que la situation pourrait durer bien plus longtemps. Et pourtant nous avons gravement sous-estimé la façon dont les gens se débarrasseraient du sentiment que quelque chose de grave se passait et s’installeraient avec ce nouveau « droit » dans la vie quotidienne.

Mais la dérive de l’opinion a également révélé la pauvreté de la « jurisprudence des conservateurs » comme la critique majeure que les juristes et juges conservateurs pourraient porter pour expliquer les vices de la sentence « Roe v. Wade » dans le domaine constitutionnel. Selon l’argument courant, la Constitution est muette à propos d’un droit à l’avortement. Il n’y a donc aucune base permettant aux juges fédéraux de proclamer un nouveau droit fédéral, inclus dans la Constitution, et de balayer les lois sur l’avortement en vigueur dans les différents États. La solution consiste donc à abroger la sentence « Roe v. Wade » et renvoyer la question dans le domaine politique, la soumettant aux législateurs et à leurs électeurs.

La « Manif pour la vie » a bien saisi au fil des années de quoi il s’agit, par les cris toujours répétés des manifestants « abrogez « Roe v. Wade ».» Et la Manif atteint son terminus devant la Cour Suprême ; là est la source du mal, et le remède doit en venir.

La « Manif pour la vie » confirme donc l’opinion selon laquelle il nous faut prier les juges siégeant dans ce bâtiment de nous libérer de cette malédiction qu’ils ont créée. Et à nouveau nous entendons qu’un nouveau président pourra désigner les juges qui abrogeront « Roe v. Wade » ou l’enterreront sans appel. Mais cette idée s’accompagne de la notion, relevée par mon ami David Forte, que le Président est le « Grand Électeur » qui choisira ces hommes et ces femmes qui auront le véritable pouvoir.

Et, par un effet pervers, l’attention est distraite des véritables outils — et des véritables responsabilités — dont disposent les organismes politiques aux niveaux Exécutif et Législatif pour contrer, amoindrir et même finir par renverser les décisions de la Cour Suprême.

Ce genre de manœuvre a été accompli avec la sentence Dred Scott sur l’esclavage et pourrait être répété de nos jours au moyen d’une série de mesures déjà versées en attente dans le mixer, ou déjà inscrites au menu. « Roe v. Wade » pourrait être désossé, bribe par pribe, jusqu’à ne plus être qu’une coquille vide, une façade sans substance. Les mesures mijotent déjà dans un Congrès garni de militants pro-vie dans une vaste partie de l’hémicycle, mais il faudra un président disposé à mettre sa signature sur ces mesures discrètes pour en faire une loi. Une vieille citation : « Commencez par signer — et la suite viendra. »

La « jurisprudence des conservateurs » s’en prenait à la faute de « Roe v. Wade » qui allait au-delà des mots et ouvrait une polémique morale sur la substance de la loi sur l’avortement au Texas. C’était une mauvaise querelle morale, fort éloignée de l’embryologie et des règles du simple bon sens. Mais selon l’esprit de la jurisprudence des conservateurs, la meilleure façon d’éviter tout jugement moral consiste à éviter tout raisonnement moral sur la morale de la loi — comme si la loi et toute tentative de jugement pouvaient être isolées du raisonnement et de la question : « est-ce bon ou mauvais, justifié ou non?.»
Dans un excellent ouvrage « Slavery, Abortion, and the Politics of Constitutional Meaning [Esclavage, Avortement et Analyse politique de la Constitution.], le Professeur Justin Dyer montrait que la méthode convenable pour les juges de l’affaire « Roe » consistait à se pencher sérieusement sur les arguments développés par les avocats au Texas. Ces arguments tentaient de montrer pourquoi il était éminemment raisonnable de considérer l’existence de l’embryon dans le sein comme indubitablement humaine, et pourquoi les lois promulguées pour la protection de la vie humaine s’appliqueraient certainement à ce petit humain dans le sein de sa mère.

Mais en même temps l’évolution dramatique de l’opinion à propos de l’avortement a submergé les clichés de la jurisprudence du camp conservateur. Si la Cour Suprême abroge explicitement la sentence « Roe », on peut s’attendre à voir des Cours de différents États trouver un droit à l’avortement en embuscade dans le texte de leurs propres Constitutions. Et, après tout, on n’a pas tout le temps besoin de textes. Ce n’est pas dans les termes de notre Constitution qu’on trouvera les éléments les plus marquants de la jurisprendence — par exemple : « présumé innocent jusqu’à preuve de culpabilité. »

Une règle implicite dans la logique de la loi veut que « tous les cas semblables soient traités également, selon des modes identiques.» On n’a pas besoin de beaucoup d’imagination chez les juges pour invoquer ce « principe d’égalité » et dire qu’il y a indubitablement une profonde injustice dans les lois interdisant des actes chirurgicaux réservés exclusivement aux femmes.

En d’autres termes, le sentiment d’un droit inaliénable à l’avortement ayant largement imprégné le pays, nous avons dépassé la limite d’une solution consistant à abroger « Roe ». Le remède ne peut se trouver que dans une série de mesures à adopter au Congrès et dans les États et gagnant peu à peu le soutien de la population — qu’il serait légitime d’empêcher la mise à mort de bébés dont le cœur bat déjà.

On ne pourra remédier au mal causé par « Roe » qu’en réveillant la capacité de raisonner selon la morale, capacité qui n’a jamais manqué au public, et en la secouant parmi les juges.

26 janvier 2016.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2016/01/26/the-march-for-life-and-the-emptiness-of-conservative-jurisprudence/

Photo : La Manif pour la vie 2016 à Washington.